ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juin 1999.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers (1),
Président
M. Jacques GUYARD,
Rapporteur
M
. Jean-Pierre BRARD,Députés.
——
La commission d’enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers est composée de :
MM. Jacques guyard, président, Jacques Myard, Rudy Salles, vice-présidents, Bernard Perrut, Mme Chantal Robin-Rodrigo, secrétaires, Jean-Pierre Brard, rapporteur ; Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Richard Cazenave, Eric Doligé, Jean-Pierre Foucher, Jacques Heuclin, Jérôme Lambert, Mmes Catherine Picard, Yvette Roudy, M. Philippe Vuilque.
S O M M A I R E
_____
INTRODUCTION
***Première partie : l’organisation des sectes : des structures qui assurent l’opacité et la rentabilité d’un phénomène mouvant
(1)I.— un phénomène mouvant
(1_1)A.— de fortes disparités
(1_A)1.– La typologie de 1995 garde toute sa pertinence
*2.– Le paysage sectaire actuel
*a) Les mouvements en expansion
*b) Une tendance à la déspécialisation
*3.– Les mouvements sectaires au regard de l’objet de la Commission
*B.— une instabilité fréquente
*1.– Le renouvellement des adhésions à l’intérieur des mouvements
*2.– La transformation des mouvements
*II.— une organisation opaque
*A.— des structures pyramidales en réseau
*1.– L’organisation sectaire et ses variantes
*a) L’existence d’un siège international situé à l’étranger
*b) La mise en place de structures fédérales
*c) Le recours à des structures dédiées aux investissements immobiliers
*d) La présence d’une branche économique
*e) La possibilité de structures de financement spécifiques
*2.– Les montages juridiques les plus représentatifs
*a) La Contre réforme catholique ou l’exemple d’une organisation sectaire complète
*b) La Scientologie ou l’exemple d’une organisation pyramidale particulièrement poussée
*c) Les Témoins de Jéhovah ou l’exemple d’un montage associatif intégré
*3.– Les structures particulières
*B.— les buts recherchés
*1.– La recherche d’une reconnaissance publique pour la vitrine de la secte
*2.– Le maintien de la clandestinité du réseau sectaire
*
III.— L’utilisation de statuts avantageux
*A.— le recours à l’association déclarée et le détournement de la loi de 1901
*1.– Une personne morale soumise à des obligations minimales mais disposant d’une large capacité juridique
*a) Des obligations minimales
*b) Une large capacité juridique
*2.– L’utilisation de la présomption d’absence de lucrativité
*a) Une présomption d’absence de lucrativité
*b) Un statut fiscal privilégié
*c) L’application des critères de la gestion lucrative aux associations sectaires
*3.– Le recours au bénévolat
*a) Une notion difficile à cerner et parfois utilisée de façon abusive
*b) Le régime applicable
*B.— la revendication du statut cultuel et le recours à la loi de 1905
*1.– Un régime dérogatoire au droit commun des associations déclarées
*a) Les associations cultuelles en régime de séparation
*b) L’exercice d’un culte en régime concordataire
*2.– Un statut interprété de manière divergente par l’administration
*3.– Un statut soumis aux hésitations du juge
*4.– Le régime de protection sociale des cultes
*c.— l’utilisation de la législation relative à la vie politique
*1.– Une législation offrant un statut et des avantages financiers propices au développement du phénomène sectaire
*a) Les avantages liés au statut de parti politique
*b) Le bénéfice de l’aide budgétaire publique
*c) Le remboursement des dépenses de campagne électorale
*d) L’accès aux temps d’antenne de la campagne radiotélévisée
*2.– Les possibilités d’aménagement de la législation
*D.— Les vitrines humanitaires des sectes et le recours au statut d’organisation non gouvernementale
*1.– Un statut mal défini, mais offrant des avantages non négligeables
*a) La notion et le statut d’ONG
*b) Des avantages non négligeables
*c) Les exemples de sectes reconnues ONG
*2.– La convention européenne du 24 avril 1986
*a) Un élargissement de la capacité juridique des OING
*b) Un champ d’application défini de manière extensive
*c) Des possibilités de restriction limitées et difficiles à mettre en œuvre
*
deuxième partie : l’influence des sectes : un indéniable poids économique et financier
*I.— une influence économique inquiétante
*A.— panorama des activités économiques des sectes
*1.– Les secteurs de prédilection
*2.– La pénétration des entreprises
*3.– Une exploitation habile des techniques commerciales
*a) Le démarchage personnalisé
*b) La franchise
*c) La vente pyramidale
*d) Les techniques de commercialisation des doctrines
*B.— le secteur de l’éducation
*1.– Les enseignants recrutés
*2.– Les méthodes éducatives commercialisées
*3.– Les établissements contrôlés
*4.– Les assistantes maternelles
*c.— le secteur de la santé
*1.– L’ampleur du phénomène
*a) Le recrutement sectaire
*b) Une industrie parallèle de soins
*2.– Les mesures proposées
*a) Accroître la vigilance du ministère chargé de la Santé
*b) Mieux établir les responsabilités des institutions ordinales des professions de Santé
*c) Réfléchir à des aménagements législatifs et réglementaires
*D.— le marché de la formation professionnelle
*1.– Un marché propice au développement des pratiques sectaires
*a) Des enjeux financiers et commerciaux importants
*b) Une réglementation minimale
*c) Un contrôle limité dans sa définition et dans ses moyens
*d) Un marché investi par plusieurs organisations sectaires
*e) Des infractions nombreuses
*2.– Une réforme nécessaire
*a) Permettre un agrément et un contrôle efficaces
*b) Des aménagements techniques utiles
*c) Une plus forte implication de l’administration
*d) Encourager les efforts en faveur de la déontologie
*II.— un poids financier insoupçonné
*A.— une richesse inégale
*1.– Les deux sectes les plus riches
*2.– Les " grandes sectes "
*3.– Les " sectes moyennes "
*4.– Les " petites sectes "
*5.– Les sectes inclassables
*B.— des revenus d’origines comparables
*1.– Les dons
*a) L’appréciation du degré de spontanéité des dons
*b) L’existence de contreparties aux offrandes
*2.– Les revenus d’activités
*a) L’importance des revenus tirés des activités sectaires
*b) L’exemple de la Scientologie
*3.– Les financements publics
*C.— une puissance financière utilisée à des fins convergentes
*1.– Asseoir l’influence du mouvement
*a) L’acquisition d’un patrimoine souvent éloigné de l’objet des associations concernées
*b) Le parc immobilier des sectes
*c) Des investissements au service des pratiques sectaires
*2.– Enrichir les dirigeants du mouvement
*3.– Financer l’organisation internationale
*troisième partie : les pratiques sectaires : une fraude très répandue
*I.— Les infractions à la législation sociale
*A.— les infractions au code du travail
*B.— les infractions au code de la sécurité sociale
*1.– Des infractions apparemment peu contrôlées
*2.– Le litige avec la Scientologie
*3.– Le redressement opéré sur les Témoins de Jéhovah
*II.— Les infractions économiques et financières
*A.— des infractions pénales multiples et fréquentes
*1.– Un développement inquiétant de la délinquance économique et financière
*2.– Les condamnations prononcées
*3.– Les procédures en cours
*B.— des infractions souvent impunies
*1.– La faiblesse du nombre de plaintes
*2.– Le taux élevé de désistements
*3.– La difficulté de l’instruction
*C.— un arsenal juridique adapté mais difficile à utiliser
*1.– Un arsenal accru et perfectionné
*a) L’application des dispositions du nouveau code pénal a fait l’objet d’un début de jurisprudence
*b) Les infractions nouvelles
*2.– Un arsenal toutefois difficile à utiliser
*a) La question d’une incrimination spécifique
*b) Les obstacles psychologiques et matériels
*III.— La fraude fiscale
*A.— une fraude importante par son montant et la diversité des malversations
*1.– Les activités associatives non déclarées
*a) L’absence de déclaration d’activités lucratives
*b) L’absence de déclaration des dons manuels
*c) L’absence de déclaration des revenus du patrimoine
*2.– L’utilisation des sociétés filiales à des fins frauduleuses
*a) La fraude à la TVA
*b) La minoration de l’assiette de l’impôt sur les sociétés
*3.– La distribution occulte de revenus
*B.— une fraude généralement impunie
*1.– Une dette très importante
*2.– Une dette généralement impayée
*3.– L’absence de poursuites pénales
*IV.— Les dimensions internationales de la fraude sectaire
*A.— des circuits internationaux de financement occulte
*1.– L’importance des transferts de fonds depuis ou vers l’étranger
*2.– Des circuits peu contrôlables
*B.— les exemples de financement international de sectes
*1.– Les transferts sous couvert d’une marque déposée
*2.– La fuite de capitaux par l’intermédiaire d’une société civile immobilière
*3.– L’exemple de la collecte des fonds scientologues
*V.— la nécessité de renforcer la mobilisation de l’administration
*A.— Des efforts importants mais inégaux
*1.– Les moyens
*2.– La coordination entre les administrations
*3.– La collaboration entre États
*4.– Le rôle confié à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes
*B.– Les améliorations indispensables
*1.– Mobilisation
*2.– Coordination
*3.– Spécialisation
*4.– Coopération internationale
*conclusion
*Synthèse des propositions de la commission
*annexes
*EXPLICATIONS DE VOTE
*
Au début de ses Anti-mémoires, André Malraux relate une conversation avec le prêtre qui fut, pendant la Résistance, aumônier du Vercors : " Qu’est-ce que la confession vous a appris des hommes ? – Que les gens sont beaucoup plus malheureux qu’on ne croit et, le fond de tout, qu’il n’y a pas de grande personne. "
Les différents travaux qui, depuis une vingtaine d’années, ont essayé de cerner, avec toujours davantage de précision, le fait sectaire, auraient pu légitimement accréditer ce constat. Comment, en effet, expliquer autrement un phénomène qui, en apparence, échappe à toute rationalité ?
Nul ne peut nier que le premier aliment des sectes, à côté des doutes sur le sens de l’existence et des discours sur les " excès de la valeur de tolérance ", selon les termes d’un éminent universitaire, provienne de la misère humaine, dont on connaît les composantes dans une société développée de cette fin de siècle : le chômage et la crainte de perdre son emploi ; les marges de grande pauvreté qu’aucune politique sociale n’a pu, jusqu’ici, résorber vraiment ; les maladies incurables et un taux incompressible de morbidité contre lesquels la médecine classique affiche cruellement ses limites ; la solitude croissante dans un univers qui a perdu l’essentiel des institutions traditionnelles de la solidarité ; la complexité toujours grandissante de la vie quotidienne qui suscite toutes formes de rêves d’évasion.
Le développement des sectes demeure, avant toute chose, le symptôme du malaise d’une société. Même s’il n’existe évidemment pas d’adepte-standard, on peut en revanche déterminer le profil du candidat à être victime d’une secte : celui qui, avec raison ou non, croit avoir trop souvent rencontré l’injustice ou les privations, et qui vit un manque affectif, quel que soit son niveau social et intellectuel, franchit un seuil de fragilité qui le rend particulièrement vulnérable aux tentations sectaires.
Pour sa part, la commission d’enquête sur les sectes constituée en 1995 au sein de l’Assemblée nationale avait, dans son rapport, souligné le lien fort entre le développement du phénomène sectaire et l’existence d’une demande, de besoins qui ne trouvent pas d’autre moyen d’être satisfaits.
Au demeurant, s’il est évident que le contexte dans lequel se développe le phénomène sectaire ne saurait être ignoré – la psychologie et la sociologie sectaires ont fait et font encore l’objet d’analyses multiples et approfondies au sein d’instances spécialisées – et que d’importants efforts de sensibilisation de l’opinion et de mobilisation des pouvoirs publics ont été réalisés au cours de la période récente, l’hydre est non seulement toujours vivante, mais paraît évoluer et prospérer dans un corps social encore impuissant à secréter un antidote. C’est bien pourquoi, l’Assemblée nationale a estimé, le 15 décembre 1998, que le moment était venu de remettre l’ouvrage sur le métier, pour compléter et prolonger le travail réalisé en 1995. Car si l’on devait, d’une phrase, caractériser l’évolution du phénomène sectaire au cours des dernières années, ce serait pour montrer qu’il a perdu en spiritualisme ce qu’il a gagné en mercantilisme et que sa nocivité s’en est accrue d’autant. Il fallait donc mettre l’accent sur un aspect plus précis de l’activité des sectes, à savoir leur dimension et leur intervention dans les domaines économiques et financiers.
Il est clair pour tous ceux – des spécialistes individuels du phénomène aux associations de défense des victimes et aux organismes publics – qui ont affaire aux agissements des sectes, que l’argent constitue souvent à la fois le moteur du véhicule, la destination du trajet et les méandres du chemin. Or, si la recherche de moyens matériels, voire du profit, n’a, en elle-même, rien de répréhensible, encore faut-il qu’elle se déroule dans le respect des règles qui l’encadrent et des libertés fondamentales de l’individu. Prendre la mesure de la puissance économique et financière des sectes, mettre en lumière, le cas échéant, les dérives constatées, afin de suggérer les correctifs nécessaires était donc devenu une mission d’intérêt public, dont l’ensemble des groupes politiques représentés à l’Assemblée nationale a ressenti l’exigence. Tel est le sens de l’adoption, à l’unanimité, de la résolution créant une commission d’enquête " sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers ".
Cette résolution est le fruit de la synthèse de deux propositions :
– la première du Président de la présente Commission et de plusieurs de ses collègues du groupe socialiste tendant à créer une " commission d’enquête sur l’influence des sectes dans les milieux économiques " (n° 908) ;
– la deuxième du Rapporteur et de plusieurs de ses collègues du groupe communiste tendant à créer une commission d’enquête relative aux exigences pécuniaires, aux relations financières internationales, à la situation patrimoniale et fiscale des sectes " (n° 811).
Compte tenu de la proximité de leurs objets, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République a proposé, et a été suivie à l’unanimité par notre assemblée, de les regrouper en une seule.
La Commission d’enquête a, dès sa première réunion, le 22 décembre 1998, été confrontée à une série de choix méthodologiques délicats qu’elle souhaite expliciter en toute clarté. En effet, tout au long de ses travaux, elle a été animée par un esprit consensuel, extrêmement constructif, visant à fournir des éléments d’analyse aussi précis que possible et non à alimenter une polémique.
Tout d’abord, la Commission a décidé à l’unanimité d’appliquer la règle du secret prévue à l’article 6 de l’ordonnance n° 58.1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Les auditions auxquelles il a été procédé n’ont donc fait l’objet d’aucun compte rendu public et le présent rapport préserve l’anonymat des personnes entendues.
Tout en ne méconnaissant nullement les critiques formulées, notamment par un certain nombre de défenseurs des mouvements sectaires, à l’encontre du choix similaire fait par la Commission d’enquête de 1995, elle a en effet estimé que devait prévaloir le souci de ménager aux témoins sollicités la plus grande liberté de parole.
Pour appréhender le phénomène sectaire, la Commission s’est appuyée sur le rapport de 1995 qui, après avoir exposé la problématique de la définition des sectes, en avoir relevé la difficulté juridique, puis étudié l’approche sociologique et retenu comme fondement le critère de dangerosité au regard de l’ordre public ou des libertés individuelles, a adopté une conception recourant à la méthode du faisceau d’indices.
Enfin, la Commission a été pleinement consciente du caractère inhabituel voire confidentiel de certaines des informations qu’elle se devait néanmoins de rechercher pour remplir la mission qui lui avait été assignée par l’Assemblée nationale.
La Commission a procédé à 48 auditions qui lui ont permis d’entendre des personnes d’horizons très divers susceptibles de lui apporter un éclairage précis sur l’objet de son enquête : responsables administratifs, magistrats, universitaires et chercheurs, acteurs de la vie économique (tant responsables d’entreprise que salariés) ainsi que représentants d’organismes d’aide aux victimes des sectes et dirigeants de mouvements sectaires.
Compte tenu des délais très stricts dans lesquels sont enserrés les travaux des commissions d’enquête parlementaires, il était évident qu’elle ne pouvait envisager d’auditionner l’ensemble des sectes concernées par ses investigations, ni même d’examiner la situation économique et financière de près de 200 mouvements sectaires.
Aussi a-t-elle décidé d’adresser un questionnaire à une soixantaine d’entre eux – ce qui au total représentait 80 envois, certains mouvements sectaires ayant été interrogés au titre de plusieurs de leurs associations.
Les réponses au questionnaire ont été, selon les sectes, plus ou moins détaillées (), souvent accompagnées de protestations parfois extrêmement virulentes. Dans un certain nombre de cas, la Commission n’a reçu aucune réponse ou seulement une lettre de protestation.
Quelques mouvements sectaires ont souhaité être entendus par la Commission. Celle-ci a fait droit à leur demande dès lors qu’ils acceptaient de répondre au questionnaire et que leur courrier était parvenu dans un délai compatible avec le calendrier des travaux de la Commission. En tout état de cause, il faut noter que le questionnaire comportait, in fine, une rubrique permettant à chacun de s’exprimer librement.
La Commission s’est largement appuyée sur les éléments fournis directement par les sectes lorsqu’ils étaient exploitables. Elle a également bénéficié de la collaboration des ministères les plus concernés : Défense, Economie et finances, Education nationale, Emploi et Solidarité, Intérieur et Justice.
Au terme de ses six mois de travail, la Commission tient à rappeler quels étaient ses objectifs.
Le premier n’était pas de juger, car une commission d’enquête n’est pas une juridiction, mais d’informer le Parlement et d’alerter l’opinion sur le poids économique et financier acquis par le phénomène sectaire afin d’orienter une réflexion des pouvoirs publics vers des mesures susceptibles de corriger les abus et les dérives.
Le second n’était pas d’être exhaustif, car l’ampleur et la volatilité du phénomène l’interdisent, mais d’être illustratif et démonstratif afin d’aider à la compréhension de mécanismes complexes, dont l’épaisseur du mystère sert de protection.
Il s’agissait en fait de compléter le travail de 1995 en mettant un verre grossissant sur la partie des activités sectaires qui représente – la Commission en a une conviction encore renforcée – un élément vital du phénomène.
La Commission a toutefois dû limiter son champ d’investigation aux seuls mouvements implantés en France métropolitaine et, dans la mesure du possible, à leurs liens économiques et financiers avec l’étranger, les sectes propres aux départements et territoires d’outre-mer méritant à elles seules une enquête particulière.
Le présent rapport se propose donc de montrer que, au-delà d’un discours d’inspiration ésotérique ou religieuse qu’il n’était pas dans l’objet de la Commission d’examiner, le phénomène sectaire s’appuie sur une organisation destinée à assurer l’opacité et la rentabilité de ses activités et a ainsi acquis un poids économique et financier important qui repose sur une pratique très répandue de la fraude.
La Commission a pu constater que les deux premières difficultés qui se présentent à l’analyse du sectarisme, surtout dans le domaine économique et financier, résident, d’une part, dans le caractère mouvant du phénomène, d’autre part dans le caractère opaque des organisations sectaires.
Dans la première phase de ses travaux, la Commission a voulu camper le décor de ses investigations en essayant de retracer, à grands traits, l’évolution du panorama sectaire depuis la publication du précédent rapport.
Elle a observé, d’une part, de fortes disparités, d’autre part, une instabilité fréquente des mouvements sectaires.
Si la typologie des mouvements établie en 1995 garde toute sa pertinence, le paysage sectaire a toutefois connu des évolutions et mérite d’être représenté dans sa forme actuelle avant de l’appréhender au regard de l’objet de la Commission.
1.– La typologie de 1995 garde toute sa pertinence
Avaient été distinguées, à l’époque, treize familles de sectes, classées en fonction de leur objet principal :
En affinant l’analyse, le rapport de 1995 complétait cette approche par " type dominant " d’une prise en compte de " types associés ". Or le caractère composite de certaines sectes s’est encore accru, on le verra, et dans une double direction :
Enfin, la distinction entre grandes et petites sectes semble se justifier plus que jamais, avec d’un côté, la puissance internationale de l’Eglise de Scientologie, et à l’autre extrême, une multitude de petits mouvements, ne rassemblant parfois que quelques dizaines de personnes.
2.– Le paysage sectaire actuel
Les deux plus grands facteurs d’évolution du paysage sectaire depuis quatre ans résident dans l’expansion de certains types de mouvements et dans une tendance, presque générale, à la déspécialisation.
a) Les mouvements en expansion
Si certaines sectes rencontrent des difficultés, notamment depuis 1995 et l’organisation de la lutte contre le phénomène décidée à la suite du rapport de la précédente commission d’enquête, certaines mouvances connaissent une influence croissante.
Marquent le pas les mouvements émanant de sectes internationales ou multinationales, pour deux raisons essentielles : d’une part, la pression des pouvoirs publics qui articulent de mieux en mieux leurs dispositifs, d’autre part, le fait que l’Europe de l’ouest en général et la France en particulier ne constituent plus des terres " de conquête " pour les multinationales sectaires, qui privilégient désormais leur implantation notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale ainsi qu’en Chine.
Des bouleversements sont survenus à la tête de mouvements importants, freinant leur développement ou entraînant même leur déclin.
Ainsi le Mandarom a mal surmonté le décès de M. Gilbert Bourdin en 1998, laissant les adeptes désemparés et l’organisation aux prises avec des démêlés administratifs et judiciaires.
La mise à l’écart du fondateur du Patriarche, M. Lucien Engelmajer, a entraîné des modifications statutaires importantes et une déstabilisation de l’équipe dirigeante.
Quatre types de sectes, selon la typologie rappelée ci-dessus, paraissent connaître aujourd’hui une expansion importante :
b) Une tendance à la déspécialisation
Les mouvements sectaires ont connu, au cours des dernières années, un processus de relative déspécialisation ou d’indifférenciation. Les frontières entre les catégories sont devenues beaucoup moins rigides. De plus en plus, on rencontre diverses composantes au sein d’une même secte. Ainsi, les alternatives, les guérisseuses et les psychanalytiques ont propagé leur objet dominant comme composantes d’autres mouvements. Leur objet donnant lieu à des activités particulièrement lucratives, beaucoup de leurs consœurs ont cherché à les agréger à leur objet principal. On forcerait à peine le trait en disant que le prototype de la secte moderne est celui qui permet d’intégrer le maximum de thèmes différents.
Ainsi, la Scientologie et les nébuleuses Prima Verba et Anthroposophie, que l’on rencontrera à plusieurs reprises au cours de ce rapport, offrent un ensemble complet de prestations qui en font les hypermarchés des produits sectaires : on y dispense des conférences, des cours, des séminaires de développement personnel, des stages de formation professionnelle, on y vend des produits qui guérissent le Sida comme la calvitie, on y pratique des cultes qui vous mettent en rapport, au choix ou en bloc, avec les anges, les disparus, les divinités de toutes sortes ; on peut y sauver votre entreprise si elle rencontre des difficultés économiques, ou votre famille si elle éprouve le mal de l’incommunicabilité entre les êtres ; on peut vous y aider à vous débarrasser de vos ennemis, et bien sûr, on peut vous y enrichir, le tout à des tarifs d’amis qui deviennent progressivement monstrueux …
Cette tendance à l’indifférenciation se manifeste le plus souvent par l’adjonction dans un premier temps d’une composante nouvel-âge ou guérisseuse dans un groupe de type originel différent.
Le processus de déspécialisation s’accompagne d’un développement des réseaux qui gravitent à la périphérie des sectes, de l’apparition de " filiales " prenant souvent le statut de sociétés commerciales et d’infiltration d’entreprises où un adepte occupe une position stratégique.
Les tableaux figurant en annexe du rapport donnent une idée, sinon exhaustive, du moins représentative, de l’expansion du phénomène sectaire au travers de la création de " filiales " des organisations principales et de la constitution de réseaux économiques.
3.– Les mouvements sectaires au regard de l’objet de la Commission
Le rapport de la Commission d’enquête de 1995 comportait une liste de près de 200 mouvements, à partir de laquelle a été sélectionné un certain nombre d’organisations au regard de l’objet et du champ d’investigation de la présente Commission, à savoir la dimension économique et financière du phénomène, qui est l’un des aspects les plus confus et les plus difficiles à cerner des organisations sectaires.
Aussi bien, le critère de dangerosité retenu en 1995 reste indépendant du poids économique et financier. Un mouvement sectaire peut être en effet extrêmement dangereux pour les personnes sans avoir d’importance économique ou financière notable.
En revanche, des organisations non relevées dans le précédent rapport mais qui, d’une part, remplissent certains des critères sectaires retenus dans le rapport de 1995 (), d’autre part, ont acquis un poids économique et financier certain, ont été signalées à la Commission qui, au vu des éléments d’information recueillis, a souhaité les inclure dans le champ de ses investigations : il en va ainsi de l’Ancien et mystique ordre de la Rose-Croix (AMORC), de l’Anthroposophie, de Prima Verba, d’Au Cœur de la Communication (ACC) et de Stop au Cancer.
La Commission a donc privilégié, dans son enquête, les organisations économiquement les plus puissantes mais aussi des mouvements de moindre importance se livrant à des dérives caractéristiques dans les domaines économique et financier.
L’instabilité est consubstantielle au phénomène sectaire, comme elle l’est à toute forme d’organisation plus ou moins clandestine, plus ou moins avouable dans ses buts.
Elle se manifeste de deux manières : par le renouvellement des adhésions à l’intérieur des mouvements, et par les modifications structurelles de ces derniers.
1.– Le renouvellement des adhésions à l’intérieur des mouvements
Certains sociologues se sont élevés contre l’idée communément admise de l’embrigadement sectaire et, tout au contraire, estiment que les sectes connaissent un " turn over " important. L’un d’eux l’explique par " le besoin d’électrochoc et de nouveau départ " qui anime les personnes entrant dans une secte. Une fois cette expérience accomplie, les mêmes personnes souhaiteraient, après un certain temps, se libérer de l’emprise de la secte et " resocialiser " leur existence.
La Commission a, pour sa part, observé que le profil des groupes-cibles des mouvements sectaires évoluait avec le temps. Il y a une trentaine d’années, le recrutement sectaire s’opérait principalement chez des adolescents et des jeunes adultes qui désiraient vivre en communauté au service de certains idéaux, par exemple chez Moon ou chez Les Enfants de Dieu. Il y a vingt ans, les organisations sectaires, notamment la Scientologie et Bhagwan, se sont mises à valoriser l’individualisme et la recherche du " moi ", s’adressant à des personnes un peu moins jeunes (autour de la trentaine).
Dans les années les plus récentes, les mouvements nouvel-âge, guérisseur et apocalyptique se sont adressés à des personnes plus âgées et surtout beaucoup plus vulnérables.
On assiste aussi, de la part des mouvements sectaires, à des initiatives originales pour approcher le public et diversifier les cibles de recrutements.
Le Mouvement raëlien a proposé, sur Internet, l’attribution à chaque individu, y compris aux nourrissons qui " créent un potentiel d’échanges ", d’un revenu minimum d’existence (RME).
Une de ses filiales, domiciliée aux Bahamas et dénommée Valiant Venture Ldt, offre une assistance scientifique aux parents désirant avoir un enfant qui serait le clône de l’un deux.
La population carcérale, les chômeurs et les populations immigrées constituent également des cibles dorénavant privilégiées :
2.– La transformation des mouvements
Afin de déjouer les contrôles que les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre, les mouvements sectaires se transforment avec une facilité déconcertante. Les sectes les plus performantes dans les activités frauduleuses sont passées maîtresses dans l’art d’abandonner leurs habits anciens et de faire peau neuve.
D’autres modifications interviennent à la suite des conflits et des scissions qui montrent l’extrême mobilité du phénomène.
Les exemples sont nombreux. On citera ici, à titre d’illustrations, quelques cas représentatifs du phénomène :
D’autres mouvements procèdent par ailleurs à des réorganisations ou des transferts d’activités :
II.— une organisation opaque
Le mode de structuration d’un organisme traduit bien souvent les objectifs qui lui sont assignés. Pour remplir la tâche qui lui était confiée, la Commission devait par conséquent examiner la manière dont les sectes s’organisent. Cet examen a permis de constater que les préoccupations purement organisationnelles des mouvements sectaires rejoignent souvent leurs ambitions économiques et financières.
L’organisation des sectes n’est ni facile à appréhender, ni aisément restituable. Les sectes entretiennent sur leurs activités comme sur les structures qui les composent une part de mystère. Elles mettent aussi en avant des vitrines présentées sous la forme d’associations poursuivant un objet apparemment cultuel ou ésotérique, qui cachent souvent un réseau de personnes morales ou physiques qui se prêtent à des activités de toute autre nature. L’extrême diversité du phénomène, la multiplicité des mouvements et les différences observées quant à leurs effectifs entraînent en outre de grandes disparités dans leur mode d’organisation.
Les exemples portés à la connaissance de la Commission permettent cependant de dégager des traits dominants qui, avec des nuances liées à la particularité de chaque mouvement, se reproduisent. Le but est généralement d’obtenir une certaine reconnaissance publique pour la vitrine du mouvement et une garantie de clandestinité pour le réseau sur lequel il s’appuie.
A.— des structures pyramidales en réseau
Le contrôle du mouvement par ses dirigeants repose, dans la grande majorité des cas, sur des structures pyramidales en réseau. Il est ainsi possible de dégager un schéma type de l’organisation sectaire qui se décline, avec des variantes, en fonction de chaque situation. Cependant, à côté des groupes particulièrement représentatifs de ce schéma, il existe aussi des sectes qui ont mis en place des organisations originales et, à plusieurs égards, novatrices.
La présence de caractéristiques dominantes que l’on retrouve dans plusieurs organisations pose la question de l’existence d’une structure " intersectaire " qui serait chargée d’assurer la défense et la coordination des différents mouvements.
Plusieurs exemples de collaboration entre sectes ont été portés à la connaissance de la Commission qui, de son côté, a pu observer certaines similitudes dans le libellé des lettres qui lui ont été adressées en réponse au questionnaire qu’elle a envoyé aux principales sectes. En outre, plusieurs organes jouent ouvertement un rôle de concertation entre les sectes. Depuis plusieurs années, le Centre d’études sur les nouvelles religions (CESNUR)
– dirigé par M. Massimo Introvigne – constitue une tribune utilisée pour la défense du sectarisme. Il semble avoir été relayé par une nouvelle association créée en 1996, sous le nom d’" Omnium des libertés individuelles et des valeurs associatives ". Cette association, tout comme le CESNUR, a notamment été l’instigatrice d’une campagne de dénigrement des travaux réalisés par la précédente Commission d’enquête.
1.– L’organisation sectaire et ses variantes
Les annexes au rapport donnent des informations détaillées sur l’organisation des mouvements sectaires les plus représentatifs. Elles permettent de constater que, malgré la diversité des courants auxquels les sectes se rattachent et les différences notables constatées dans les activités qu’elles déploient, leur organisation repose sur des constantes que l’on retrouve, avec un degré de sophistication juridique inégal, dans la plupart des mouvements.
Les sectes implantées en France sont, en règle générale, l’émanation d’une " secte mère " dont le siège international est situé à l’étranger. Elles s’appuient souvent sur une structure fédérale et organisent leurs activités autour de trois branches : une branche reposant sur une structure associative chargée de propager la doctrine du mouvement ; une branche composée d’un ou plusieurs organes, associatifs ou non, dont l’activité comporte un caractère économique ; et une branche immobilière constituée de personnes morales qui servent de supports juridiques aux investissements immobiliers. Dans plusieurs cas, une structure spécialement dédiée au financement de la secte s’ajoute à ces trois branches. L’ensemble constitue les instances nationales de la secte dont l’implantation sur le territoire s’appuie sur un maillage plus ou moins serré d’établissements ou d’associations locales. Par ailleurs, l’organisation sectaire est relayée par un réseau économique parfois très étendu, prenant des formes diverses qui seront plus particulièrement étudiées dans la deuxième partie du rapport.
a) L’existence d’un siège international situé à l’étranger
Les Etats-Unis constituent le premier pays d’accueil des instances internationales des sectes qui y trouvent un droit et un système de pensée favorables à leur création et à leur développement. La Scientologie, les méthodes Avatar ou Landmark sont des créations américaines. Les Témoins de Jéhovah ont établi leur siège international outre-atlantique, de même que l’AMORC qui a choisi de domicilier sa structure internationale en Californie. Le Japon est également une zone de prédilection du sectarisme, et la Soka Gaikkaï, Mahikari et Moon y disposent de sièges internationaux. Les autres régions du monde concernées sont surtout l’Inde, le Brésil et certains pays européens comme l’Autriche, les Pays-Bas ou la Belgique. En outre, plusieurs sectes semblent attirées par les pays à fiscalité privilégiée, comme le Luxembourg ou la Suisse où l’on relève plusieurs sièges internationaux.
L’existence d’un siège international à l’étranger permet d’établir des liens juridiques et financiers entre la secte mère et son émanation française, et, le cas échéant, d’opérer des transferts de fonds parfois conséquents. Tel est notamment le cas de la Scientologie, de Mahikari, de la Soka Gakkaï ou de Moon. L’AMORC a reçu en mars 1993 un apport de 46 millions de francs de la " Supreme Grand lodge of the Ancient and mystical Order rosae crucis ", structure mère de la secte implantée en Californie, afin d’acquérir l’immeuble qu’elle occupe au 199, rue Saint-Martin à Paris. Bien qu’il soit moins connu, l’exemple de l’Eglise du Christ est révélateur des relations que peuvent nouer une secte internationale et son obédience française. L’Eglise du Christ de Paris est en effet membre d’une secte internationale domiciliée à Boston aux Etats-Unis, et reçoit des subventions de son organisation mère qui, en outre, prend en charge les 450.000 francs de salaire annuel perçu par le président de la branche française. En sens inverse, cette dernière verse chaque année un pourcentage de ses recettes à l’organisation américaine, de même qu’à l’organisation non gouvernementale Hope World Wide qui sert de vitrine humanitaire à la secte.
Certaines sectes, de création apparemment purement française, ne semblent pas disposer d’un siège à l’étranger. C’est semble-t-il le cas du Mandarom, de l’Office culturel de Cluny, de la Pentecôte de Besançon, de la Contre réforme catholique. L’absence de domiciliation officielle dans un pays étranger n’empêche cependant pas d’y créer éventuellement des implantations ou d’y ouvrir des comptes bancaires, comme on le verra lors de l’examen des aspects internationaux de la fraude sectaire.
b) La mise en place de structures fédérales
Les structures formant la secte sont assez fréquemment affiliées à une personne morale fédérative qui est la gardienne de l’unité du groupe et assure le contrôle de ses organes, parfois en leur imposant leurs statuts ou des prélèvements financiers.
Il existe notamment une Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah dont le rôle exact sera examiné plus loin. L’Union des églises de Scientologie regroupe les différentes " églises " scientologues qui ont adopté les statuts types établis par cette instance fédérale, et se conforment aux règles qu’elle a établies. La Soka Gakkaï dispose également d’une Union des associations cultuelles Soka du boudhisme Nichiren, et l’Office culturel de Cluny s’est constitué sous la forme d’une fédération intitulée Fédération d’animation globale, qui regroupe des associations avec lesquelles elle passe des conventions prévoyant des échanges de services, de matériel ou de personnel et des mouvements financiers, chaque membre versant à la fédération un pourcentage de ses recettes. De même, les différentes implantations de la Pentecôte de Besançon sont regroupées au sein d’une Fédération évangélique missionnaire.
c) Le recours à des structures dédiées aux investissements immobiliers
Les sectes disposent d’un patrimoine immobilier important qui sera examiné dans la deuxième partie du rapport. Ce patrimoine n’appartient pas toujours aux associations qui constituent les organes dirigeants de la secte, et plusieurs mouvements ont recours à des montages juridiques spécifiques qui passent, dans la majorité des cas, par la constitution d’une société civile immobilière (SCI).
Il existe de nombreux exemples de SCI propriétaires et gestionnaires des biens immobiliers utilisés par des sectes. Jusqu’en 1978, certains des biens immobiliers des Témoins de Jéhovah étaient juridiquement détenus par la SCI Villa Guibert. Le patrimoine immobilier de Moon est rattaché à plusieurs sociétés, comme les SCI Le Nouveau Belvédère et Internationale Vredesstichting. Certains immeubles de Krishna ont été achetés par l’intermédiaire de deux SCI. L’utilisation de SCI a également été relevée pour Invitation à la vie, Energo Chromo Kinèse, la Fraternité blanche universelle, Mahikari, l’Office culturel de Cluny et la Pentecôte de Besançon. L’AMORC a créé la SCI Pernelle afin d’acquérir des locaux en vue de leur utilisation par ses sections locales implantées sur le territoire.
Les associations sectaires peuvent être locataires de biens appartenant à des sociétés civiles immobilières auxquelles elles versent un loyer. L’existence de loyers n’est pas incompatible avec un contrôle, par l’organisation, de ces sociétés qui peuvent être détenues directement ou par l’intermédiaire de personnes " écrans ". On peut en effet s’interroger sur le montant des loyers payés par certaines sectes. L’Association de l’Esprit Saint pour l’unification du christianisme mondial, instance française de Moon, a par exemple déclaré payer un loyer annuel de 20.700 francs pour son siège au 9-11, rue de Châtillon dans le 14ème arrondissement de Paris, appartenant à la SCI Vredesstichting. Ce loyer semble particulièrement bon marché pour les quelque 1.200 m2 de bureaux et de salles de conférence ainsi mis à la disposition de la secte.
d) La présence d’une branche économique
La quasi totalité des sectes examinées dans le présent rapport ont une activité économique, certes d’importance inégale et dont le caractère lucratif n’est pas toujours établi, mais directement exercée par l’organisation sectaire elle-même, indépendamment du réseau d’entreprises dont elle peut par ailleurs disposer. Ces activités économiques sont souvent assurées par les associations constituant les organes centraux de la secte, notamment à l’occasion de leurs activités " spirituelles ", lorsque ces dernières passent par la vente de prestations ou de produits. Dans de nombreux cas, les sectes ont choisi de créer des structures commerciales distinctes, spécifiquement chargées de poursuivre un but économique. Ces structures sont la face lucrative de la secte qui peut par ailleurs, par l’intermédiaire de ses associations, continuer à avoir des activités économiques directes, notamment par la vente d’ouvrages et d’objets ou la facturation de stages, cours, conférences ou autres prestations.
Le Patriarche, récemment rebaptisé Dianova, constitue l’exemple le plus représentatif de structures commerciales sectaires. M. Lucien Engelmajer, fondateur de la secte, a bâti un véritable empire économique formé de plusieurs sociétés commerciales détenues par l’association portant son nom, et notamment une société de restauration rapide, la SA New Lunch, regroupant huit établissements en France sous l’enseigne " Fiesta paella " ou " Paella store ole ". Certaines de ces sociétés sont encore en activité. On retrouve une organisation similaire pour l’Antroposophie dont les activités économiques sont assurées par de nombreuses sociétés de distribution ou des écoles réparties dans plusieurs départements.
Une partie des activités lucratives de la Scientologie a été confiée à la SARL Scientologie espace librairie qui, domiciliée à la même adresse que les instances nationales de la secte, vend notamment les ouvrages de L.R.Hubbard et sous-loue les locaux utilisés par plusieurs églises locales. La même séparation est observée dans le cas de l’AMORC qui dispose, à travers l’Espace AMORC implanté à Paris, d’un luxueux centre de conférences loué à des clients parfois prestigieux et géré par la société Diffusion rosicrucienne créée à cet effet par la secte. Cette dernière a également déclaré, sous l’appellation Domaine de l’enfance et des loisirs, une association spécifiquement chargée des activités d’hébergement d’enfants. L’association mère française entretient des relations financières régulières avec ses satellites économiques. Jusqu’en 1994, elle versait une subvention à la société Diffusion rosicrucienne à laquelle elle continue à acheter des fournitures et des impressions pour environ 3,5 millions de francs chaque année. Elle verse également au Domaine de l’enfance et des loisirs une subvention qui a atteint 1,5 million de francs en 1997.
D’une manière générale, les sectes ont tendance à constituer des structures juridiques distinctes chargées d’assurer l’édition de leurs publications. C’est notamment le cas du Graal, des Roses Croix d’or et de l’AMORC. Par ailleurs, des sociétés peuvent être créées pour assurer la fabrication et la commercialisation de produits de la secte. Un des dirigeants d’Energo chromo kinèse, M. Patrick Véret, a créé la société Nutrition énergétique des organes et des méridiens (NEOM) pour fabriquer et vendre les produits paramédicaux de la secte. De même, Krishna dispose d’une structure dénommée Hare Krishna qui vend notamment des produits végétariens.
Tradition Famille Propriété, association mère de la secte du même nom, a recouru à une association distincte, dénommée Avenir de la culture, à laquelle elle a confié les activités de démarchage nécessaires à la diffusion de ses préceptes. Les deux associations entretiennent des relations étroites, le président et le trésorier de chacune d’entre elles étant salariés par l’autre.
La face lucrative de Mahikari est constituée par trois sociétés dans lesquelles la secte japonaise détient des participations : une société de droit étranger située au Luxembourg (LH Yoko Shuppan Europe SA), une agence de voyage (HIKARI France) et une SARL spécialisée, d’après sa déclaration au registre du commerce, dans la formation et l’organisation de congrès (LH France). Cette dernière est détenue par l’organisation japonaise de la secte et par la société implantée au Luxembourg où elle verse d’importants honoraires (1,2 million de francs en 1995). L’agence de voyage a été constituée pour les besoins de l’association Sukyo Mahikari, organe central de la branche française, dont elle constitue le prolongement, l’ensemble de ses clients étant formé d’adeptes pour lesquels elle organise des voyages au Luxembourg ou au Japon. Invitation à la vie a également créé une agence de voyage qui, pendant plusieurs années, a organisé les " pèlerinages " pour les adeptes.
La Soka Gakkaï a créé une société chargée d’exercer ses activités lucratives. Il s’agit de la Société européenne de restauration et de services détenue à 99 % par la secte, qui commercialise ses supports " pédagogiques ".
e) La possibilité de structures de financement spécifiques
Certaines sectes ont mis en place des structures spécifiques afin d’assurer le financement de leur organisation. Trois exemples ont été portés à la connaissance de la Commission. Même s’ils sont peu nombreux, ils montrent que les sectes peuvent recourir à des montages juridiques qui atteignent un degré de sophistication important.
Les Témoins de Jéhovah disposent, on va le voir, d’une association chargée d’assurer la péréquation des dons qui sont versés aux différentes implantations locales de la secte.
Le Patriarche-Dianova qui fait partie des mouvements économiquement les plus actifs, a créé en 1993 un holding qui a investi dans plusieurs structures constituant le réseau économique du mouvement. L’association L. Engelmajer et ses filiales sont en effet propriétaires d’une société holding luxembourgeoise de participation sociale et financière, la SOPASOFIE. D’après les informations figurant dans le rapport de la Cour des comptes sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie (), le capital social de ce holding atteignait 10 millions de francs, réparti entre l’association Lucien Engelmajer qui détiendrait 15 % des actions, les associations françaises, suisses, portugaises et espagnoles constituant la secte, et les associations contre le Sida qui lui sont liées.
Le réseau de l’Anthroposophie dispose également de deux structures de financement à travers la Nouvelle économie fraternelle et la Société financière de la nouvelle économie fraternelle. La première est une association formée afin d’expérimenter des " relations d’entraide économique et financière se fondant, en particulier, sur une circulation transparente de l’argent, éclairée par une conscience altruiste ". La seconde est un organisme bancaire créé sous la forme d’une société coopérative anonyme affiliée à la Caisse centrale de crédit coopératif. Agréée par la Banque de France en 1988, elle est habilitée à recevoir du capital et de l’épargne et peut consentir des prêts. L’association reçoit des cotisations, des dons et des subventions (émanant de la Fondation de France, de la Fondation d’entreprise de la MACIF ou de la Délégation générale à l’innovation et à l’économie sociale). Ses ressources annuelles, estimées à 800.000 francs en 1994, lui permettent d’affecter une subvention d’équilibre à la société financière. Elles sont également utilisées pour accueillir les demandeurs de crédits, et financer l’étude et l’accompagnement de leurs projets. Il s’agit d’une aide préalable destinée à assurer la réussite des programmes pour lesquels la société financière décide d’accorder des prêts. Le capital social de cette dernière atteignait, à la fin de 1994, 9,3 millions de francs, et, à la même date, une augmentation de capital de 15 millions de francs était envisagée. La banque proposait deux produits financiers : les comptes de dépôts à terme et le livret " NEF-crédit coopératif " dont les caractéristiques étaient proches du livret A de la Caisse d’épargne. Elle disposait en 1994 d’un encours d’épargne de 13 millions de francs pour les comptes à terme et de 10 millions de francs pour les livrets.
2.– Les montages juridiques les plus représentatifs
Les montages juridiques mis en place par plusieurs sectes sont particulièrement représentatifs et méritent un développement particulier.
a) La Contre réforme catholique ou l’exemple d’une organisation sectaire complète
Répertoriée dans le rapport de la précédente commission d’enquête sous l’appellation " Petits frères et petites sœurs du Sacré-Cœur ", la Contre réforme catholique est une secte de faible importance d’un point de vue économique et financier. Pour autant, son organisation reproduit fidèlement le modèle sectaire type. Il s’agit par conséquent d’un exemple de " petite " secte particulièrement soucieuse de son organisation.
Elle est en effet organisée en quatre structures qui, toutes, sont domiciliées à la même adresse, à savoir la Maison Saint Joseph à Saint-Parres-les-Vaudes dans l’Aube. Elle dispose, en premier lieu, de deux associations chargées d’assurer son activité de prosélytisme : la Contre réforme catholique du XXème siècle, relayée par les Amis de la Communauté du Sacré Cœur de Saint-Parres-les-Vaudes. Par ailleurs, ses biens immobiliers sont regroupés dans la SCI La Maison Saint Joseph. La secte a enfin formé une SARL, L’imprimerie Saint Joseph, afin d’assurer la publication et la diffusion des œuvres de son fondateur, M. Georges de Nantes.
Les quatre organes de la secte établissent des relations financières croisées. Destinataire du produit des ventes et des abonnements, l’Association des Amis reverse ses ressources (entre 0,8 et 1,4 million de francs selon l’exercice) à la Contre réforme qui, pour sa part, attribue une subvention d’équilibre à la SARL (entre 0,6 et 1,1 million de francs).
b) La Scientologie ou l’exemple d’une organisation pyramidale particulièrement poussée
L’organisation de la Scientologie est aujourd’hui devenue un sujet d’étude, et plusieurs ouvrages portant sur la secte lui consacrent des développements particuliers. On a notamment beaucoup écrit sur les instances internationales du mouvement auxquelles il est généralement attribué une ambition planétaire et l’utilisation de techniques de renseignement redoutables. La Commission n’a pas pu vérifier l’existence de telles pratiques qui, au demeurant, n’entraient pas directement dans son objet. En revanche, elle a pu constater le degré de sophistication de l’organisation scientologue.
Dans chacun des pays où elle est implantée, la Scientologie assure un maillage très serré du territoire destiné à assurer le fonctionnement pyramidal de la secte.
De la base aux instances nationales, il existe trois niveaux de structure dont le rôle et la place au sein de l’organisation sont strictement définis par un règlement interne.
· Les missions de la Scientologie
Les missions constituent l’outil de base de la propagation de la secte. Elles sont chargées de s’adresser aux personnes qui n’ont jamais eu de contact avec cette dernière, et ne peuvent proposer que les prestations élémentaires de la Scientologie. Elles sont cédées à des adeptes confirmés sous la forme d’un contrat de franchise qui prévoit le reversement d’un pourcentage (10 % en général) du chiffre d’affaires de la mission. Les missions sont liées entre elles par des relations fédérales, et sont placées sous l’autorité d’un bureau territorialement compétent, comme le Bureau de SMT installé à Copenhague, en charge de l’ensemble de l’Europe. Elles sont également surveillées par le Bureau international des missions scientologues dont le siège est à Los Angeles, et qui est chargé de leur apporter conseil et assistance.
Lorsqu’elles n’ont pas les moyens d’assurer l’enseignement de R. Hubbard, les missions renvoient leurs adeptes vers les églises, et touchent une commission sur les revenus perçus par ces dernières sur chaque nouvelle recrue.
· Les églises de Scientologie
Les églises forment les principales instances de la Scientologie dont elles coordonnent l’ensemble des associations présentes sur leur territoire de compétence. Elles dispensent les cours jusqu’au niveau V, et restent soumises aux directives transmises par l’organisation internationale de la secte. Elles sont traditionnellement découpées en plusieurs sections (finances, éthique, comité de surveillance…).
· Les celebrity centers
Les celebrity centers servent de vitrines à la Scientologie. Ils s’adressent aux adeptes ou futurs adeptes pour lesquels la secte entend réserver un traitement particulier, justifié par leur position sociale, et notamment par leur appartenance au monde du spectacle ou des affaires. Ces centres dispensent des cours de niveau V, ainsi que des formations spécifiques destinées aux chefs d’entreprise. Les membres des celebrity centers sont mis en avant par la secte pour cautionner son existence et sa réputation.
La Scientologie disposait d’un celebrity center en France, installé à Paris. Il a fait l’objet d’un redressement fiscal pour activité lucrative non déclarée et le Tribunal de commerce de Paris a prononcé sa liquidation judiciaire par un jugement du 10 juillet 1997.
La branche française de la Scientologie a subi une restructuration en 1996 qui a abouti à une multiplication des structures. Chaque église de Scientologie a été dédoublée en, d’une part, une association dénommée " Eglise de Scientologie " chargée des rites et des cérémonies et qui prétend profiter du statut d’association cultuelle, et, d’autre part, une association intitulée " Association spirituelle de l’Eglise de Scientologie " chargée d’assurer certaines prestations proposées par la secte (cours de dianétique, auditions…). Ce dédoublement existe ainsi dans cinq villes : Paris, Lyon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand et Angers. En outre, les associations revendiquant le statut cultuel ont été regroupées dans une " Union des églises de France ". Parallèlement, il existe toujours quatre missions scientologues implantées à Bordeaux, Toulouse, Nice et Marseille, qui constituent des associations autonomes, chargées d’assurer les services de base. Les centres de dianétique forment les établissements locaux de la secte, dénués de personnalité morale et rattachés à une église. Enfin, la SARL Scientologie Espace librairie a été créée pour regrouper les aspects les plus directement lucratifs des activités de la secte (vente de produits et d’ouvrages). Cette société dispose d’un établissement secondaire auprès de chaque église de province et assure ainsi, à travers la commercialisation des produits scientologues, la liaison entre ces différentes associations.
Pour tenter d’être complet, il faut ajouter que certaines activités périphériques ont été confiées à des associations spécifiques créées à cet effet, comme " Non à la drogue, oui à la vie " ou les centres Narconon, qui constituent la vitrine présentée comme " caritative ", et la concrétisation de son implication dans la lutte contre la drogue.
Cette organisation aboutit à un cloisonnement des structures qui entretient l’illusion d’une séparation des activités. La branche spécifiquement prosélyte est constituée par les églises et les associations spirituelles. Les activités économiques sont ventilées entre d’une part les associations spirituelles et les missions pour ce qui concerne les prestations " intellectuelles " tournant autour de la diffusion de la dianétique, et d’autre part la SARL pour la vente de produits. Cette dernière sous-loue également des immeubles aux associations. Une telle séparation a l’avantage de créer une étanchéité entre les différentes structures, cette démarche n’étant pas propre à la Scientologie. C’est l’argument qui a été utilisé par la présidente d’une église scientologue qui, devant la Commission, a déclaré ne rien connaître des activités de l’association spirituelle pourtant installée à la même adresse, et dont elle est membre, et a par conséquent refusé de répondre à certaines questions.
La restructuration de la Scientologie ne doit tromper personne. Au-delà des découpages juridiques, les associations scientologues restent soudées par une communauté de locaux, de pratiques et d’intérêts, et entretiennent des liens financiers étroits qui seront examinés plus loin.
c) Les Témoins de Jéhovah ou l’exemple d’un montage associatif intégré
Le mouvement des Témoins de Jéhovah repose sur une fédération et cinq associations qui constituent les instances nationales de la secte, ainsi qu’un réseau d’associations locales qui représentent ses implantations sur le territoire. Ces différentes personnes morales sont organisées dans un souci de sectorisation des activités qui reproduit le schéma sectaire classique. Néanmoins, la confusion des rôles qui caractérise la répartition des compétences entre les associations nationales, de même que les relations juridiques et financières étroites qu’elles entretiennent, font de la secte une organisation particulièrement intégrée.
· Une sectorisation des activités
Les Témoins de Jéhovah s’appuient sur un réseau d’associations locales qui assurent les activités de la secte dans leur zone de compétence, et sont notamment propriétaires de plusieurs centaines de lieux de réunion.
La secte vient également de créer une Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah, déclarée le 15 février 1999, qui a pour objet de regrouper les associations constituant la secte, afin de contribuer à la diffusion de son message et à la défense de ses adeptes. Cette structure est, d’un point de vue financier et comptable, une coquille vide qui ne reçoit aucune recette autre que les cotisations de ses membres, et ne semble disposer d’aucun actif.
Les cinq associations constituant les instances nationales du mouvement sont réparties entre Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine et Louviers dans l’Eure. La première adresse correspond généralement au siège social des associations, tandis que la seconde est le centre national de la secte qui y dispose d’un complexe administratif, industriel et d’hébergement conséquent.
L’Association cultuelle des Témoins de Jéhovah de France est l’association nationale spécifiquement chargée des activités de prosélytisme. Elle supervise et dirige les Témoins qui assurent la diffusion du message de la secte, et organise les grands rassemblements. Elle prend également en charge les frais relatifs à l’activité des " prédicateurs " qu’elle entretient, notamment en finançant leurs frais de déplacement, en leur assurant une véritable couverture sociale en cas de maladie ou de retraite.
L’importance acquise par le centre de Louviers dans la diffusion du message de la secte et la concentration d’adeptes qui y sont réunis ont justifié la création d’une association particulière dénommée " Communauté chrétienne des Béthélites ". Cette association a pour objet de concourir à la propagation des principes jéhovistes par la parole et par l’édition, le mouvement ayant mis à sa disposition les installations industrielles, et notamment d’imprimerie, dont il est propriétaire. Elle est également chargée de préserver et de défendre le cadre de vie du complexe de Louviers qui constitue un centre de passage et d’hébergement important accueillant 20 " invités " par mois et 10.000 " visiteurs " par an. En outre, elle prend en charge les frais d’entretien de ses membres permanents.
L’Association Les Témoins de Jéhovah est le noyau dur de la secte. Elle est chargée de ses activités d’édition, d’impression et de diffusion, et sert de support juridique à l’activité commerciale et industrielle de l’imprimerie installée dans l’Eure (). Elle est également propriétaire de la majeure partie du patrimoine mobilier et immobilier de l’organisation, et notamment de la plupart des biens qu’elle possède à Louviers.
Le reste des immeubles des Témoins de Jéhovah, hors patrimoine détenu par les associations locales, appartient à la quatrième association à compétence nationale, l’association Villa Guibert, qui a remplacé en 1978 la société civile immobilière du même nom. Cette dernière était initialement le support juridique des biens immobiliers de la secte. L’Association Villa Guibert a pour objet de mettre à la disposition des autres associations du groupe des terrains et bâtiments. Comme on le verra dans la deuxième partie du rapport, l’association a vendu une grande partie de ces biens. En outre, la construction du complexe de Louviers sous l’égide de l’Association des Témoins de Jéhovah a entraîné une concentration de l’actif immobilier sur les comptes de cette entité. Destiné à regrouper l’ensemble des instances nationales de la secte dont il constitue une vitrine et un centre d’importance européenne, ce site représente en effet l’investissement le plus important.
Enfin, l’Association pour la construction et le développement des lieux de culte des Témoins de Jéhovah, déclarée en 1990, forme la dernière pierre de l’édifice. Elle a été créée afin de permettre le financement de la construction des " salles du royaume ", c’est-à-dire des lieux de réunion des associations locales. A cet effet, elle centralise une partie des dons recueillis par les implantations territoriales de la secte. Ces dons sont transférés, sous forme de prêts accordés par les associations locales, à l’association nationale. Cette dernière les utilise en accordant, à son tour, des prêts aux mêmes associations locales pour financer leurs projets immobiliers. L’Association pour la construction et le développement des lieux de culte est donc, vis-à-vis des associations locales, à la fois détentrice d’une créance (112,1 millions de francs au 31 août 1998), et redevable d’une dette (44,2 millions de francs à la même date). Elle peut également financer l’achat des matériaux nécessaires à de telles constructions, et offre un soutien technique à travers 11 " comités de construction rapide ", composés de 5 à 6 membres chargés d’organiser et de superviser les opérations immobilières locales. L’association assume ainsi un véritable rôle de péréquation financière par l’intermédiaire d’un " fonds de secours et de solidarité ", alimenté par des dons émanant de la base de la secte et destiné à aider les investissements locaux.
On retrouve au sein des compétences de ces cinq associations le découpage entre les quatre branches de l’organisation sectaire type. L’Association cultuelle et la Communauté des Béthélites assurent plus particulièrement les activités de prosélytisme, tandis que l’Association Les Témoins de Jéhovah constitue la branche économique et une partie de la branche immobilière formée par ailleurs de la Villa Guibert. L’Association pour la construction et le développement les lieux de culte est en quelque sorte la " banque " de la secte dont elle assure la répartition des moyens de financement.
· Une certaine confusion des rôles
La répartition des rôles entre les différentes associations de Témoins de Jéhovah qui vient d’être décrite repose sur les caractéristiques dominantes des fonctions assignées à chacune de ces structures. L’organisation jéhoviste est cependant trop complexe pour être réduite à un schéma aussi clair. Dans les faits, chaque association peut être amenée à intervenir dans un domaine extérieur à sa spécialisation, et la secte entretient sur ce point une indéniable confusion des rôles.
Il est, en premier lieu, intéressant de noter que les dons manuels qui constituent le fondement de la puissance financière de la secte sont perçus par trois associations différentes (l’association cultuelle, la communauté des Béthélites et l’association dédiée à la construction et au développement des lieux de culte). La secte n’a donc pas créé un réceptacle unique de la générosité de ses adeptes. En l’occurrence, depuis la taxation des offrandes perçues par l’Association Les Témoins de Jéhovah, les dons ont été réorientés vers les trois associations qui viennent d’être mentionnées qui, elles, n’ont pas fait l’objet d’un contrôle fiscal. De ce point de vue, la sectorisation des structures présente l’avantage de créer une étanchéité entre entités juridiques, y compris vis-à-vis de l’administration.
De même, le patrimoine immobilier n’est pas centralisé dans les mains d’une seule structure, et il appartient rarement à la personne morale qui l’utilise directement, comme le montre l’exemple du complexe de Louviers, propriété de l’Association des Témoins de Jéhovah, mais mis à la disposition des Béthélites. En outre, certaines activités de la secte peuvent être assurées par l’ensemble des structures qui la forment. Les importantes contributions que la branche française apporte aux " missions " étrangères sont, par exemple, assurées par toutes les associations nationales qui régulièrement versent des subventions à l’étranger. Seule la Villa Guibert, financièrement moins puissante, ne semble pas participer à cette aide.
Bien qu’elle se présente comme exclusivement cultuelle, l’Association cultuelle des Témoins de Jéhovah de France participe aux opérations d’investissement de la secte, notamment en finançant des travaux nécessaires aux rassemblements des adeptes, comme, par exemple, la construction d’un parking à Bordeaux. Elle peut également être amenée à avoir des activités financières en octroyant des prêts aux autres associations. En sens inverse, l’Association Les Témoins de Jéhovah qui forme la branche économique et immobilière intervient dans l’activité qualifiée de cultuelle. Elle a notamment créé un fonds d’entraide destiné à aider les anciens membres du centre de Louviers, vitrine " spirituelle " de l’organisation. Elle joue par ailleurs un rôle important dans le financement des autres associations auxquelles elle consent des prêts.
Ces exemples montrent que l’organisation des Témoins de Jéhovah constitue un tout. Les différentes personnes morales qui la forment peuvent difficilement en être extraites et examinées indépendamment des activités poursuivies par les autres.
· Des relations juridiques et financières étroites
Les instances nationales des Témoins de Jéhovah ont en effet passé entre elles plusieurs conventions.
Il existe, en premier lieu, une " convention de mise en commun d’activités " qui lie l’Association les Témoins de Jéhovah, l’Association cultuelle, la Communauté des Béthélites et l’Association pour la construction et le développement des lieux de culte. Signée le 2 juillet 1997, cette convention quadripartite stipule que les associations " décident de mettre en commun une partie de leur activité afin de favoriser toutes les opérations utiles et nécessaires à l’exercice de leurs missions ". Elle prévoit notamment que les membres de la Communauté pourront exercer leurs fonctions dans les autres associations signataires, et que l’Association les Témoins de Jéhovah effectuera pour le compte d’une autre partie à la convention " des transports en France et à l’étranger ".
Par ailleurs, depuis 1996, les relations entre l’Association Les Témoins de Jéhovah et la Communauté des Béthélites sont régies par une convention annuelle qui prévoit que cette dernière " s’engage à affecter (à la première) un certain nombre de Béthélites en fonction des circonstances, la tâche à accomplir étant nécessairement liée à la production et à la diffusion des périodiques, brochures, livres religieux et des bibles ". Elle ajoute que les membres de la Communauté ainsi mis à disposition continueront à être placés sous les ordres du responsable de cette dernière qui procédera notamment à leur affectation. Il est également précisé que la durée de la mise à disposition ne peut excéder les horaires de travail habituels (huit heures par jour du lundi au vendredi). Cette convention a pour but d’organiser les activités d’édition de l’imprimerie de Louviers, juridiquement rattachées à l’Association les Témoins de Jéhovah, mais effectivement réalisées par les membres de la Communauté. Elle contient plusieurs indications précieuses sur la réalité de l’objet de cette dernière, et notamment des indices sur les rapports de subordination qui lient le président de l’association à ses membres. Ces indices apportent un éclairage utile sur le contentieux ouvert entre la secte et l’administration au sujet de l’application du droit du travail, contentieux qui sera évoqué dans la dernière partie du rapport.
La Commission a également relevé plusieurs conventions de mise à disposition de biens mobiliers ou immobiliers. La Communauté des Béthélites utilise des locaux et du matériel qui appartiennent à l’Association Les Témoins de Jéhovah, en application d’un contrat de prêt à usage passé en 1996. Elle a conclu une convention similaire avec l’Association Villa Guibert pour des immeubles situés à Incarville, dans l’Eure. Enfin, l’Association Villa Guibert et l’Association Les Témoins de Jéhovah ont octroyé le même avantage à l’Association cultuelle, afin qu’elle ait l’usage de locaux situés à Boulogne et à Louviers.
Ces liens juridiques sont complétés par des mouvements comptables et financiers croisés. Les associations nouvellement créées ont parfois bénéficié d’apports consentis par des structures plus anciennes. C’est notamment le cas de l’Association pour la construction et le développement des lieux de culte qui, au moment de sa constitution, a reçu de l’Association chrétienne des Témoins de Jéhovah un apport de 3,6 millions de francs en numéraire et une créance de 108,1 millions de francs sur les associations locales. Cette structure de financement de la secte, dépositaire d’une partie importante des dons, est devenue l’organe prêteur du groupe. Outre les prêts qu’elle octroie aux associations locales pour leurs salles de réunion, elle a consenti, d’une part, un prêt total de 40 millions de francs à l’Association Les Témoins de Jéhovah pour participer à la construction du complexe de Louviers, et, d’autre part, un prêt de 17,5 millions de francs à la Villa Guibert pour l’entretien du parc immobilier dont elle est propriétaire. La Commission a également relevé un prêt de 5 millions de francs consenti par l’Association cultuelle à la Communauté des Béthélites.
Le cas des Témoins de Jéhovah constitue un exemple parmi d’autres qui montre l’impossibilité d’examiner la situation juridique d’une association sectaire indépendamment de celle des entités qui lui sont liées. En particulier, la Commission appelle l’opinion publique, l’administration ou le juge à la prudence et à la vigilance dans les conséquences qu’ils
peuvent tirer de l’objet " cultuel " que certaines associations se sont donné. L’objet de la Communauté des Béthélites ne peut pas être examiné au regard de ses seuls statuts. Un tel examen doit englober les activités issues des relations conventionnelles ou financières qui lient cette association aux autres branches de la secte. Comme on va le voir plus loin, tous ces éléments doivent entrer en ligne de compte dans l’instruction des demandes de reconnaissance officielle du caractère cultuel de plusieurs associations de Témoins de Jéhovah.
3.– Les structures particulières
Des sectes de création plus récente ou d’inspiration étrangère plus marquée sont organisées selon des modalités qui diffèrent du schéma sectaire classique. Elles reposent sur une organisation éclatée en de nombreuses implantations dont les liens ne sont pas apparents.
Il existe tout d’abord des mouvements sectaires d’obédience américaine qui ne présentent pas de structures centrales officiellement déclarées. Par exemple, la méthode Avatar ne dispose d’aucune association ou entité nationale susceptible de représenter sa branche française. C’est également le cas de Landmark qui n’a pas jugé utile de constituer une structure représentative de son implantation française, et n’apparaît, à un niveau central, qu’à travers une société de droit étranger, Landmark education international.
Il s’agit de deux sectes spécialisées dans les techniques de développement personnel qui agissent par l’intermédiaire d’un réseau de personnes physiques ou d’associations parfois de fait. Une telle organisation est particulièrement adaptée au système de franchise mis au point par ces sectes, et dont on peut considérer qu’il constitue une forme moderne et particulièrement efficace du sectarisme. La méthode Avatar est en effet propagée par une soixantaine de " masters ", c’est-à-dire de personnes qui ont suivi une formation spécifique aux Etats-Unis à l’issue de laquelle elles ont obtenu un diplôme et acquis une licence d’exploitation leur permettant d’utiliser la méthode en France, moyennant le versement d’un pourcentage de leur chiffre d’affaires à la société mère américaine. Un dispositif identique est utilisé par Landmark, notamment pour dispenser le cours intitulé le " Forum ", du nom du stage emblématique de cette secte américaine.
L’absence de structures centralisées n’interdit pas une organisation en forme pyramidale. Même si les lieux de pouvoir sont beaucoup plus difficiles à détecter, et les circuits de décision moins repérables, certains adeptes peuvent être amenés à jouer un rôle de direction pour une zone géographique donnée.
La secte fondée et dirigée par M. Serge Marjollet et connue sous le nom de Prima Verba est un autre exemple d’organisation sectaire novatrice. Elle préfigure peut-être la forme que le phénomène est appelé à prendre dans les années qui viennent. Cette secte s’appuie en effet sur une nébuleuse de petites structures dispersées (associations, SARL ou sociétés civiles) qui n’entretiennent des liens qu’à travers les personnes physiques qui les dirigent ou les administrent, et dont le chiffre d’affaires (), considéré indépendamment de celui des autres, n’attire pas l’attention. Il s’agit donc de mouvements qui choisissent de ne pas avoir pignon sur rue pour garantir l’opacité de leur action.
Alors que des mouvements comme les Témoins de Jéhovah ou la Scientologie ont déclaré plusieurs associations nationales pour lesquelles ils souhaitaient obtenir une reconnaissance officielle, les exemples qui viennent d’être cités montrent que certaines sectes développent une stratégie inverse. Eloignées de tout souci de reconnaissance publique, elles préfèrent la discrétion, voire la clandestinité. Cette divergence d’attitudes met en lumière les deux objectifs, apparemment contradictoires, de l’organisation sectaire.
Les montages juridiques utilisés par les organisations sectaires permettent de concilier deux objectifs. Ils mettent en avant des structures qui, sous un habillage religieux, fondent la revendication de reconnaissance publique qui anime la majorité des sectes. Ils laissent en revanche dans l’ombre le réseau qui gravite autour de la " vitrine cultuelle ". Ces deux buts, apparemment contradictoires, coexistent dans la plupart des mouvements, à l’exception notable des structures éclatées qui ont été évoquées plus haut.
1.– La recherche d’une reconnaissance publique pour la vitrine de la secte
Le découpage de l’organisation en plusieurs structures permet d’isoler, on l’a vu, une ou plusieurs associations chargées de la propagation du message " religieux " qui accompagne, dans la plupart des cas, le discours et les pratiques sectaires. Sont ainsi mises en avant des associations présentées comme cultuelles, tandis que les aspects d’ordre économique et financier qui constituent pourtant souvent une part importante de l’activité de la secte, sont renvoyées à des structures périphériques plus discrètes.
L’organisation des Témoins de Jéhovah est révélatrice d’une volonté d’adapter les statuts de plusieurs de ses structures aux canons de l’association cultuelle traditionnelle. L’organigramme de la secte, tel qu’il a été décrit plus haut, résulte en effet de modifications statutaires successives. La secte a, dans les années 1980, procédé à un changement des statuts de ses instances nationales afin de tenter de les mettre en conformité avec les critères de l’association cultuelle. Cette tentative s’inscrivait dans le cadre d’un contentieux qui sera examiné ci-après, portant sur le refus, opposé par l’administration à la secte, du bénéfice d’un legs. En 1991, est déclarée l’Association cultuelle les Témoins de Jéhovah de France qui, par ses statuts, se considère comme régie par la loi du 9 décembre 1905. En 1996, afin de doter les membres de la secte réunis à Louviers d’une personne morale spécifique, les Témoins de Jéhovah ont créé, on l’a vu, une nouvelle association dont l’objet statutaire est exclusivement cultuel, et qu’ils rattachent également à la loi précitée. La même présentation a enfin été utilisée pour la fédération déclarée en janvier 1999.
Ces modifications statutaires ont pour objectif de permettre à la secte de bénéficier des avantages, notamment fiscaux, qui s’attachent aux associations régies par la loi de 1905. Ce régime, de même que l’enjeu contentieux et symbolique qu’il présente, seront étudiés plus en détail dans la suite du rapport.
La Commission a relevé plusieurs sectes qui recourent à un procédé similaire. La Scientologie présente ses églises et ses missions comme des associations régies par la loi de 1905. Il en est de même, par exemple, pour le Mandarom, Moon ou Sahaya Yoga.
Dans le même ordre d’idée, certaines sectes prétendent ouvertement remplir les conditions requises pour constituer une association d’utilité publique. L’association Invitation à la vie a ainsi fait part de son souhait d’obtenir une telle reconnaissance, et précisé qu’elle comptait adapter ses statuts à cette fin. L’AMORC a également indiqué que, depuis une modification récente de ses statuts, son fonctionnement lui semblait très proche de celui d’une association reconnue d’utilité publique. A travers ces exemples, la Commission voit, de la part des sectes concernées, la reconnaissance implicite de l’existence d’objectifs et de pratiques passées moins présentables que, à elle seule, une modification statutaire ne suffit pas à faire disparaître. Elle tient en effet à rappeler, s’il en était besoin, que l’utilité publique est accordée par décret en Conseil d’Etat, et n’est donc pas un régime simplement déclaratif.
L’habillage religieux utilisé par les sectes ne doit tromper personne. Le caractère exclusivement cultuel des associations prétendues telles reste toujours à démontrer au cas par cas. En outre, à supposer que ce caractère soit établi, les structures concernées restent liées à des entités qui poursuivent un but plus matériel, et font partie d’un groupe bien soudé duquel il est dangereux de les extraire.
2.– Le maintien de la clandestinité du réseau sectaire
Le morcellement des activités de la secte entre plusieurs personnes morales présente l’avantage d’assurer l’étanchéité de ses secteurs d’intervention. Suite aux différents redressements fiscaux dont elle a fait l’objet pour activité lucrative non déclarée, la Scientologie a procédé, on l’a vu, à sa restructuration. Ces redressements et les actions en justice qui les ont suivis risquaient, en effet, de mettre fin à ses activités en France. Cette réorganisation, outre le fait qu’elle a permis à la branche associative d’échapper, pour le moment, aux impôts commerciaux et à la secte dans son ensemble de continuer d’exister, rend plus difficile la preuve du caractère lucratif des activités des églises et des missions scientologues. L’Eglise du Christ est, on l’a vu également, dans une position comparable, l’activité ouvertement lucrative de la secte ayant été confiée à une association distincte chargée d’assurer la vente des livres, fascicules et cassettes vidéo.
Le rattachement de la propriété des biens immobiliers à des personnes spécifiques participe de la même démarche, et contribue à l’opacité de l’organisation. Les sociétés civiles immobilières (SCI) sont souvent utilisées comme un moyen d’acquérir un patrimoine de manière masquée. Les liens entre ces sociétés et la secte sont généralement difficilement repérables, et mettent en jeu des hommes de paille et des prises de participation en cascade. Les SCI assurent l’anonymat des bénéficiaires de l’acquisition, et peuvent en outre permettre la transmission de biens achetés par des prête-noms.
La Commission a eu connaissance d’un montage juridique particulièrement révélateur. L’Association franco-suisse pour la conscience de Krishna a acheté, en 1994, le château de Bellevue à Chatenois dans le Jura par la constitution d’une SCI. Cette société était détenue par la Fondation suisse pour la conscience de Krishna, et par son dirigeant, résident suisse. Ainsi, l’anonymat de l’acquéreur final a été assuré, et la SAFER de Franche-Comté, propriétaire du bien, a vendu aux gérants de la SCI, à savoir un couple de résidents français, sans lien apparent avec la secte de Zurich. Les conditions dans lesquelles cette opération a été réalisée restent pour le moment non élucidées. Elles mettent en jeu des transferts de fonds depuis et vers l’étranger qui seront examinés dans la partie consacrée à la fraude.
Cet exemple montre que la motivation de l’organisation des sectes peut rejoindre des préoccupations très éloignées du discours religieux qu’elles tiennent. Les montages juridiques mis en place peuvent ainsi être utilisés comme un outil destiné à mettre en œuvre des pratiques frauduleuses.
Sans avoir toujours eu des informations précises sur les fraudes qui peuvent en résulter, la Commission a pu observer que l’opacité des organisations sectaires passe souvent par une multiplication des instances et un changement fréquent de dénomination sociale. Ces pratiques permettent d’intercaler des structures écrans entre le noyau dur de la secte et l’administration, afin d’assurer l’insolvabilité de l’organisation. Elles permettent également de recourir à des prête-noms qui garantissent l’impunité des dirigeants de la secte.
Les sectes ont une tendance naturelle à la multiplication et à l’instabilité de leurs structures. Certains de leurs dirigeants créent, chaque année, plusieurs personnes morales différentes, procèdent à leur dissolution ou à leur liquidation, ou modifient à plusieurs reprises leur dénomination sociale, afin de brouiller les pistes qui permettraient de reconstituer leurs activités. L’instabilité juridique est notamment utilisée par plusieurs scientologues notoires, comme MM. Dominique et Jean-Marc Dambrin qui ont multiplié à l’excès les associations et sociétés. De même, M. Jean-Pierre Le Gouguec et Mme Marie-Pierre Le Saux, deux fondateurs de l’Institut des sciences holistiques de l’Ouest, ont créé successivement une dizaine de dénominations sociales différentes. La même " boulimie " est pratiquée par M. Jacques Michel Sordes, devenu un des principaux propagateurs de la secte guérisseuse dénommée Vital Harmony.
Une autre secte guérisseuse, Energo chromo kinèse (ECK), est une affaire de famille qui a suivi un cursus pour le moins tourmenté. Créée par M. Patrick Véret, elle a initialement pris la forme d’une association baptisée ECK. Elle a été remplacée en 1989 par une SARL Centre ECK, liquidée à son tour en 1993. Entre temps, les activités de la secte avaient justifié la création de quatre autres entités (Energo conseil SARL, Jéricho 3000 SARL et les associations Courbe et Ordre nouveau des templiers opératifs). L’ensemble de ces structures a également été supprimé en 1993. Depuis, la secte agit, on l’a vu, par l’intermédiaire de deux branches. La première dirigée par M. Véret est composée de la société NEOM qui a succédé à une société monégasque, la Cogeco, dont elle a repris le stock afin d’assurer la fabrication des produits paramédicaux vendus par la secte. La seconde branche, placée sous l’obédience de Mme Danielle Drouant, ancienne épouse de M. Véret, est séparée entre d’une part une association HST, qui utilisait le terme OTJC (Ordre du temple de la Jérusalem céleste) " en interne " (sic) et qui a été remplacée récemment par une autre association, et d’autre part le laboratoire Pharal, spécialisé dans la vente de produits diététiques.
Prima Verba est également une affaire de famille dirigée par le fondateur de la secte, M. Serge Marjollet, qui, depuis la création du mouvement, a créé plusieurs dizaines de structures différentes à l’existence fugace, alternativement dirigées par lui-même, un certain nombre de ses proches ou des prête-noms. Parmi ces structures, on peut citer la SARL Prima Verba, Deva Light, Espace bleu éditions, Perle de lumière. Il est intéressant de noter que, bien que, selon le registre du commerce, elle soit domiciliée rue de Ponthieu à Paris, la SARL Prima Verba ne figure dans aucun annuaire.
L’opacité du réseau sectaire est renforcée par le soin mis par certains mouvements à gommer de leurs dénominations sociales toute référence au nom de la secte. C’est un réflexe de prudence qui a tendance à se généraliser, notamment depuis la parution de la liste de 1995. Par exemple, le vocabulaire propre au Mandarom n’est plus utilisé par la plupart des entités qui gravitent autour de l’association du Vajra Triomphant qui constitue actuellement l’instance nationale de la secte.
Les changements de structures constituent également un moyen d’éviter de payer ses dettes, faute d’actif suffisant présent à l’intérieur des structures poursuivies. Notamment, le redressement fiscal prononcé à l’encontre du Mandarom reste à ce jour impayé, les deux associations redressées (les Chevaliers du lotus d’or et le Temple pyramide) ayant été dissoutes pour être remplacées par les trois associations actuelles regroupées sous l’appellation de Vajra Triomphant. De même, la dette fiscale de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, branche française de la secte, a été admise en non-valeur pour insuffisance d’actif, à la suite d’un changement de structures et de la transformation de l’association en une Fédération française pour la conscience de Krishna.
Les dirigeants des sectes apparaissent rarement dans la liste des administrateurs des structures sectaires, et recourent généralement à des hommes de paille. Par exemple, Mme Claire Nuer, fondatrice d’Au Cœur de la Communication, ne siégeait pas au bureau de son association. De telles pratiques assurent l’impunité des véritables responsables des dérives sectaires. Les tribunaux sont contraints de poursuivre de simples prête-noms, voire des adeptes de bonne foi, laissés dans l’ignorance des motivations réelles de pratiques dont ils étaient les simples exécutants.
III.— L’utilisation de statuts avantageux
Nombre de mouvements sectaires sont passés maîtres dans l’art d’utiliser à leur profit des cadres juridiques instaurés à de tout autres fins, telles que l’exercice de libertés publiques ou le développement d’activités utiles à la société. Des dispositifs prévus pour faciliter la vie associative, la pratique d’un culte, l’organisation de la vie politique et la coopération internationale se trouvent ainsi investis par des sectes qui en tirent des avantages indus.
A.— le recours à l’association déclarée et le détournement de la loi de 1901
La plupart des mouvements sectaires sont organisés autour d’une association déclarée en application de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. En effet, ainsi que le relevait le rapport de la commission d’enquête de 1995, ce statut présente le grand avantage de comporter des obligations minimales tout en offrant une large capacité juridique. Il comprend en outre une présomption d’absence de lucrativité qui emporte le bénéfice de dérogations, notamment fiscales. Il permet enfin le recours au bénévolat qui peut mettre certaines associations à l’abri de leurs obligations sociales.
L’organisation de pratiques sectaires sous la forme d’une association déclarée est apparue à la Commission comme un véritable dévoiement de la loi de 1901.
Le principe de la liberté associative entraîne une conception très libérale des règles organisant la catégorie de personnes morales créée en 1901. La loi de 1901 prévoit l’existence d’associations de fait, dépourvues de capacité juridique et formées sans aucune formalité : en abrogeant l’article 291 du Code pénal, le législateur a explicitement voulu qu’aucune déclaration, aucun contact avec l’administration ne soient exigés pour former une association. On retrouve le même libéralisme dans la définition des obligations prévues pour bénéficier de la capacité juridique.
L’association déclarée se constitue selon des règles très souples et continuera, tout au long de son existence, à profiter d’une quasi-absence d’obligations. En outre, la cessation de l’activité de l’association n’a pas de conséquence sur son existence juridique.
· Les obligations liées à la constitution de l’association déclarée
L’article 5 de la loi de 1901 prévoit que " toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l’article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs ". Le même article lie le bénéfice de la capacité juridique à une " déclaration préalable à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où l’association aura son siège social ". Cette déclaration comprend, outre la communication des statuts :
Le décret du 16 août 1901 portant règlement d’administration publique pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 a précisé les modalités de publicité des associations déclarées en prévoyant l’insertion au Journal officiel, dans un délai d’un mois, d’un extrait contenant la date de la déclaration, le titre et l’objet de l’association ainsi que l’indication de son siège social.
La capacité juridique est donc accordée sur une simple déclaration à l’administration. Il s’agit bien d’un droit que le juge s’est, pour sa part, appliqué à conforter en déniant à l’autorité administrative toute compétence pour apprécier le caractère licite de l’association ou la légalité de ses statuts. En outre, le législateur a réservé à l’autorité judiciaire le droit de prononcer la dissolution de l’association " fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux bonnes mœurs, aux lois ou qui aurait pour but de porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement " (article 3 de la loi de 1901).
À cet égard, la Commission s’étonne qu’aucune dissolution judiciaire n’ait, à sa connaissance, été prononcée pour le moment à l’encontre d’associations sectaires. Pourtant, dans le cas de l’Eglise de Scientologie de Lyon, l’attendu de l’arrêt de la Cour d’appel faisant grief du délit d’escroquerie ne vise pas simplement un dysfonctionnement local mais la structure même de l’organisation.
La liberté d’association se traduit, s’agissant des organisations sectaires, par la multiplication des structures et la fréquence des changements de dénomination sociale qui ont été décrites plus haut. Plusieurs des exemples examinés montrent comment les dirigeants des sectes peuvent user, voire abuser, de la liberté d’association. Sur ce point, ils sont indéniablement aidés par l’organisation territoriale du dispositif de déclaration qui semble empêcher une centralisation des informations.
· Les obligations prévues en cours d’exercice de l’activité de l’association déclarée
Une association dûment déclarée n’est tenue, au cours de son existence, qu’à des contraintes extrêmement limitées. La loi de 1901, en son article 5, se contente de prévoir l’obligation de déclarer à la préfecture tout changement intervenu dans l’administration ou la direction de l’association, ainsi que toutes les modifications apportées à ses statuts.
En application de cet article, le décret du 16 août 1901 précité prévoit quatre faits générateurs d’une obligation de dépôt d’une déclaration modificative :
En dehors de ces quatre cas de figure, l’association déclarée n’est tenue, quels que soient les événements qui touchent à son existence et à son activité, à aucune obligation tant vis-à-vis des tiers que vis-à-vis de ses membres. Il n’existe notamment aucune disposition qui garantisse son fonctionnement démocratique, voire la simple information de ses membres, sur sa gestion par ses dirigeants. Une association peut avoir une activité et un budget comparables à ceux d’une société commerciale importante, sans que ses responsables aient jamais réuni une assemblée générale, remis des comptes aux membres ou présenté un bilan économique et financier.
L’extrême libéralisme qui caractérise la réglementation de la vie d’une association déclarée n’a pas échappé à certains mouvements sectaires qui l’utilisent comme un gage d’opacité et de confidentialité de leurs pratiques. La Commission reste sceptique sur le caractère démocratique du fonctionnement de nombreuses associations sectaires. Plusieurs exemples de " coquilles vides ", c’est-à-dire d’associations dont les instances délibératives ne se réunissent pas ou très peu, ont été portés à sa connaissance. Ainsi, des instances telles que l’Union des églises scientologiques de France, l’Association française des scientologues, l’Eglise de scientologie du Rhône ont déclaré à la Commission n’avoir organisé aucune assemblée depuis plusieurs années.
Les méthodes comptables de plusieurs associations sectaires ne semblent pas non plus motivées par un souci de transparence envers leurs membres ou les administrations qui peuvent être amenées à les contrôler. Quelques sectes comme les Témoins de Jéhovah recourent aux services d’un commissaire aux comptes. En revanche, d’autres sont beaucoup moins formalistes. Une des instances les plus actives de la secte Moon, la Fédération des femmes pour la paix mondiale, a déclaré ne disposer d’aucun compte de résultat ni d’aucun bilan, alors que son budget atteint, certaines années, plusieurs centaines de milliers de francs. De même, l’Association cultuelle lectorium rosicrucianum se contente d’établir un état récapitulatif de ses recettes et de ses dépenses, et ne tient aucune comptabilité patrimoniale, bien qu’elle soit propriétaire de plusieurs biens immobiliers. Cette attitude est au demeurant parfaitement légale, aucune disposition législative ou réglementaire ne fixant les règles comptables des associations déclarées.
La Commission tient par ailleurs à souligner l’importance des fonds qui transitent par certaines associations sectaires. La plupart exercent une activité économique directe, et plusieurs dégagent un " chiffre d’affaires " non négligeable. Comme on le verra dans la deuxième partie du rapport, le budget annuel des associations de Témoins de Jéhovah atteint certains exercices, d’après les déclarations de la secte, 200 millions de francs et son actif net comptable dépasse le milliard de francs. L’association Sukyo Mahikari a déclaré disposer, pour certains exercices, de 15 millions de francs de recettes annuelles et d’un actif net comptable de 60 millions de francs.
· L’absence de conséquences juridiques liées à la cessation de l’activité de l’association déclarée
L’absence d’activité n’entraîne aucune conséquence sur la capacité juridique de l’association. Toutes les associations sont autant de structures que leurs dirigeants peuvent mettre en sommeil, puis réveiller si le besoin s’en fait sentir.
Ainsi, la Nouvelle Acropole a pu faire renaître sous son contrôle une association ancienne, l’Ecole d’anthropologie de Paris, créée en 1883 et mise en sommeil depuis la Libération. Il s’agit d’une association qui a eu un certain prestige à la fin du 19ème siècle en recrutant des scientifiques de renom, avant de connaître une dérive extrémiste pendant la seconde guerre mondiale. Récupérée par la Nouvelle Acropole, elle est actuellement une " filiale " de la secte qui propose par ce biais des stages à des étudiants étrangers.
Dans leurs réponses au questionnaire de la Commission, plusieurs associations sectaires, bien qu’elles n’aient pas été dissoutes, ont déclaré n’avoir eu aucune activité au cours des dernières années. C’est notamment le cas de l’association Mieux être alpha, dispensatrice de la méthode Silva, depuis 1996 de l’Institut des sciences védiques Maharishi - Paris, antenne de la Méditation transcendantale pour la capitale, d’Au Cœur de la Communication depuis 1997. Otium, une des associations les plus actives, ces dernières années, dans la propagation de la méthode Avatar, a indiqué avoir cessé toute activité depuis 1996, mais ne semble pas pour autant avoir été dissoute.
La loi de 1901 va prochainement fêter ses cent ans. À cette occasion, le Gouvernement a pris l’initiative de lancer une vaste concertation sur la liberté d’association. Il a organisé, en février 1999, les assises de la vie associative. Il a également confié à M. Alain Lipietz, directeur de recherche au CNRS, une mission de réflexion sur l’avenir de la loi de 1901 et demandé à M. Jean-Michel Belorgey, Conseiller d’Etat, de préparer la commémoration de son centenaire. Il est généralement admis que cette loi, déjà modifiée à plusieurs reprises depuis sa promulgation, mérite un " toilettage ". A l’occasion du débat qui s’est engagé, la Commission souhaite attirer l’attention sur deux points qui, à travers l’exemple de l’utilisation que les sectes peuvent en faire, lui semblent mériter quelque aménagement.
En premier lieu, les règles fixant l’organisation de la démocratie associative ne correspondent plus à la place acquise par cette catégorie de personnes morales. L’importance de certaines associations justifie de les soumettre, au-delà d’un certain budget, à l’obligation de procéder à, au moins, une assemblée générale chaque année, et à établir un rapport moral et financier à l’attention de leurs membres.
Par ailleurs, l’importance des résultats comptables et financiers dégagés par le mouvement associatif nécessite de soumettre les structures les plus conséquentes à des obligations minimales de déclaration. Là encore, au-delà d’un certain budget, il conviendrait de prévoir l’obligation de déposer, chaque année, à la préfecture de déclaration le compte de résultat du dernier exercice clos et le bilan à la date de clôture accompagné de ses annexes. La présentation de ces documents devrait être mise en conformité avec les instructions comptables d’ores et déjà adressées aux associations.
La Commission a conscience du risque de fractionnement que cette mesure pourrait entraîner : les sectes pourraient créer plusieurs associations afin de rester en dessous du seuil. Il serait donc utile de mettre en place un dispositif permettant d’agréger les résultats qui pourraient être ainsi fictivement dissociés.
Ces aménagements doivent bien évidemment respecter le principe constitutionnel de la liberté d’association. Il s’agit simplement de soumettre les associations les plus actives à des obligations déclaratives minimales, tant vis-à-vis de leurs membres que de l’administration. Le seuil doit donc être fixé de manière à ne pas porter atteinte au droit de chacun de constituer une association. Les formalités proposées par la Commission pourraient, par exemple, devenir obligatoires à partir d’un budget supérieur à 500.000 francs par an.
b) Une large capacité juridique
Au regard des obligations, notamment déclaratives, auxquelles la loi les soumet, les associations déclarées disposent d’une capacité juridique qui autorise la plupart des actes nécessaires à leur fonctionnement. Dans le cas des sectes, le statut d’association déclarée permet d’exercer des activités économiques largement comparables à celles d’une entreprise, sans être soumis aux mêmes obligations.
Ainsi, toute association déclarée peut, en application de l’article 6 de la loi de 1901, procéder aux principaux actes de la vie économique :
Il n’existe en fait que deux restrictions à la capacité des associations déclarées :
Les associations sectaires utilisent largement la capacité juridique que leur offre leur déclaration en préfecture. Elles sont généralement propriétaires d’un parc immobilier qui, dans certains cas, atteint une valeur très importante. Les différentes associations de Témoins de Jéhovah ont acquis des immeubles et procédé à la construction d’installations industrielles et d’hébergement qui permettent de les comparer à des entreprises commerciales. Elles font également largement usage de la possibilité de contracter, comme le montrent les liens juridiques qu’elles ont établis entre elles. Plusieurs sectes ont communiqué à la Commission les apports dont elles ont bénéficié en application de la loi de 1901. La Soka Gakkaï international France a notamment été constituée par les apports consentis par les deux autres instances nationales de la secte, la Soka Gakkaï France et l’Institut européen de la Soka Gakkaï international. D’une manière générale, la possibilité de percevoir des dons manuels offre aux associations sectaires leur principale source de revenus, et parfois fonde leur puissance financière. Le budget de plusieurs d’entre elles représente, on y reviendra, plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de millions de francs.
2.– L’utilisation de la présomption d’absence de lucrativité
Le recours à une association déclarée présente le grand avantage de faire bénéficier les activités de l’association d’une présomption d’absence de lucrativité qui entraîne l’application d’un statut fiscal privilégié. L’administration puis le juge ont cependant été amenés à contester cette présomption en reconnaissant le caractère lucratif de plusieurs associations.
a) Une présomption d’absence de lucrativité
L’article 1er de loi de 1901 définit l’association comme " la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ". L’absence de recherche de profit a donc été placée par le législateur au centre de la démarche associative. Elle est progressivement devenue un élément consubstantiel de l’association qui, sauf preuve du contraire, est désormais présumée non lucrative.
Telle est l’interprétation qui préside à l’instruction du ministère des finances datée du 15 septembre 1998. Ce texte cite dans son introduction " les associations et plus généralement les organismes réputés être sans but lucratif ", reconnaissant ainsi la présomption de non lucrativité des associations. C’est, de façon générale, le raisonnement qui est suivi en matière fiscale, puisque, comme l’a rappelé, le 19 février 1999, le Secrétaire d’Etat au budget devant les assises de la vie associative, l’exonération des activités associatives est de plein droit, l’assujettissement étant l’exception.
De cette présomption découlent également les modalités de vérification des activités associatives. L’exercice de procédures de contrôle fiscal lourdes, comme le droit de visite et la saisie prévus à l’article L16B du livre des procédures fiscales, est soumis à une autorisation du président du tribunal de grande instance ou d’un juge délégué. S’agissant de la taxation des associations aux impôts commerciaux, le juge n’accorde l’application de ces procédures que si l’administration fiscale est en mesure de le convaincre du caractère lucratif des activités par la production d’un faisceau de présomptions recueillies au cours d’une enquête préliminaire. Ainsi dans l’arrêt " Association l’autobus " (avril 1992), le Conseil d’Etat n’a autorisé l’usage du droit de visite qu’après avoir vérifié que l’administration avait réuni des indices laissant penser que l’activité de l’association pouvait être lucrative.
La présomption de non lucrativité et les règles procédurales qu’elle entraîne rendent le contrôle fiscal des associations sectaires particulièrement difficile. L’administration doit en effet réunir des indices suffisants montrant leur caractère lucratif avant de pouvoir user de son pouvoir de contrôle. Or, comme on l’a vu, certaines sectes se sont organisées de manière à se protéger derrière une structure associative qui cache un réseau de filiales commerciales.
b) Un statut fiscal privilégié
La présomption de non lucrativité est d’autant plus intéressante qu’elle s’accompagne de l’application automatique d’avantages fiscaux importants. Prétendue par principe non lucrative, l’association peut exercer ses activités économiques sans payer aucun impôt aussi longtemps que l’administration n’a pas diligenté un contrôle et prouvé son caractère lucratif.
Les exonérations entraînées par le caractère non lucratif de l’association couvrent les trois impôts applicables aux activités économiques : la TVA, l’impôt sur les sociétés et la taxe professionnelle.
En matière de TVA, les associations sans but lucratif sont exonérées pour les activités suivantes :
En application de l’article 206-1 du code général des impôts, est passible de l’impôt sur les sociétés toute personne morale se livrant à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif. Il en découle que les activités non lucratives des associations en sont exonérées. Cette règle est appliquée par le juge selon une jurisprudence constante.
Enfin, l’article 1447 du code général des impôts assujettit à la taxe professionnelle les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée. La jurisprudence lie le caractère professionnel d’une activité à l’existence de la recherche d’un profit, ce qui a pour effet d’exonérer les activités non lucratives des associations.
c) L’application des critères de la gestion lucrative aux associations sectaires
La qualification d’une gestion associative repose sur la définition donnée à la notion de lucrativité. C’est en effet sur ce concept que le juge accordera le bénéfice des avantages prévus par la loi. Les critères de la gestion lucrative étaient définis dans ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine des œuvres. Ils viennent d’être actualisés par une nouvelle instruction fiscale.
· La doctrine des œuvres
La doctrine des œuvres lie l’absence de lucrativité au respect de deux séries de conditions : recourir à une gestion désintéressée et avoir une utilité sociale.
La gestion désintéressée est traditionnellement définie par quatre critères :
Le juge, et notamment le Conseil d’Etat dans un arrêt d’assemblée du 30 novembre 1973, a ajouté la nécessité de pouvoir faire état d’une utilité sociale. Pour bénéficier du statut d’organisme non lucratif, l’association doit pratiquer des prix permettant aux moins favorisés d’accéder à ses prestations. Elle doit également fournir des services insuffisamment couverts par les entreprises concurrentielles.
À travers plusieurs décisions jurisprudentielles, la doctrine des œuvres a trouvé à s’appliquer à des associations présentant un objet religieux, mais concurrençant le secteur marchand. Le juge a par exemple considéré que doit être regardée comme lucrative l’activité d’une association qui dispense des cours de yoga à ses membres et à des non adhérents, consacre un pourcentage de ses recettes à l’insertion de messages publicitaires dans la presse et verse une partie de ses produits à une " structure mère " située à l’étranger (jugement n°92-924 de la Cour administrative d’appel de Paris, 14 décembre 1993, confirmé par le Conseil d’Etat le 12 avril 1995). De même, doit être regardée comme lucrative une association ayant pour objet de diffuser des messages religieux, qui tire une large part de ses recettes de prestations payantes rendues dans des conditions semblables à celles du marché et qui connaît des excédents réguliers (jugement n°95-4099 de la Cour administrative d’appel de Paris, 6 novembre 1997).
Lorsqu’une association ne subit aucune concurrence dans son activité ou que tous ses concurrents sont eux-mêmes non imposables, la doctrine conclut à l’absence d’assujettissement aux impôts commerciaux. Cette position peut donner lieu à des abus dans la mesure où il est anormal qu’une association qui, sous couvert d’activité religieuse, se livre à des activités à forte rentabilité, soit exonérée d’impôts commerciaux au motif que le public intéressé ne peut s’adresser à une autre structure associative pour obtenir les mêmes produits et services. C’est pourquoi l’absence de concurrence n’est généralement admise comme un motif d’exonération qu’à la condition que les excédents constatés soient affectés à la réalisation de l’objet social (Conseil d’Etat, 14 octobre 1988, n°62147-63703).
Cette jurisprudence a été appliquée à des activités sectaires. L’administration fiscale a prononcé plusieurs redressements pour activité lucrative non déclarée. Ces redressements seront examinés dans la troisième partie du rapport. Il est d’ores et déjà intéressant de noter que le juge a confirmé le caractère lucratif de plusieurs associations sectaires.
En 1985, le Conseil d’Etat a assujetti à l’impôt l’association Hubbard des scientologues français au motif que cette dernière a recherché les excédents de recettes, non pour en faire bénéficier ses dirigeants, mais pour les reverser à une association mère (Conseil d’Etat, 14 octobre 1985, n°37583). Par la suite, le juge administratif a été amené, à plusieurs reprises, à confirmer le caractère lucratif des activités de la Scientologie. Le 13 mai 1993, la Cour administrative d’appel de Paris a estimé que le Celebrity Center poursuivait une activité lucrative dans la mesure où il effectuait des opérations à titre onéreux, procédait à une recherche permanente d’excédents et recourait largement à des méthodes commerciales (arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 13 mai 1993, confirmé par le Conseil d’Etat le 8 juillet 1998). La Cour a adopté le 5 avril 1994 la même position, également validée en 1998 par le Conseil d’Etat, sur les activités de l’Eglise de scientologie de Paris.
Les activités économiques poursuivies par la Soka Gakkaï à travers les associations formant la branche française de la secte ont, elles aussi, été jugées lucratives. Dans un jugement daté du 10 décembre 1996 sur lequel la Cour administrative d’appel n’a pas encore statué, le Tribunal administratif de Paris a, par exemple, considéré que l’association " Nichiren Shoshu française " tirait la majeure partie de ses recettes d’activités commerciales consistant en la vente de revues, brochures, livres, accessoires pratiques et cours ou séminaires payants pour laquelle elle dégageait une marge variant de 42,28 à 49,64 %, soit des taux supérieurs à ceux habituellement pratiqués dans ce secteur. Constatant en outre qu’elle plaçait ses excédents dans l’acquisition de valeurs mobilières et qu’elle possédait 99 % d’une SARL, le juge a conclu au caractère lucratif de l’association.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris daté du 6 novembre 1997 relatif au Mouvement raëlien est également révélateur du caractère particulièrement lucratif des activités organisées par la secte sous couvert de structures associatives à l’objet prétendument religieux. Pour confirmer l’assujettissement de l’association " Mouvement raëlien français ", le juge a en effet pris en compte le fait que cette dernière vendait des ouvrages, des cassettes, des médailles, des parapluies et autres articles dont, pour la plupart, les prix étaient supérieurs à leur coût de revient, les bénéfices perçus sur certains produits dépassant de plus de 50 % leur prix d’achat. Le juge s’est par ailleurs appuyé sur l’importance des recettes dégagées, en augmentation de plus de 50 % en deux ans, et sur l’ampleur des frais de publicité qui représentaient plus de 35 % des charges de l’association. Il résulte également des conclusions du commissaire du Gouvernement que, si les droits d’auteur perçus par M. Vorilhon, dirigeant de l’association, avaient été abandonnés à une fondation, cette dernière finançait son train de vie.
Le juge administratif vient d’adopter une position similaire pour la secte Horus dans un jugement du 11 mars 1999 par lequel il s’est prononcé en faveur du caractère lucratif de l’association dirigée par Mme Marie-Thérèse Castagno, et confirmé le redressement fiscal décidé par l’administration.
· L’instruction fiscale du 15 septembre 1998
Les principes de la doctrine des œuvres ont été synthétisés dans l’instruction fiscale du 27 mai 1977 qui, en liant l’absence de lucrativité au respect de cinq conditions, a repris les critères définis plus haut.
En publiant, le 15 septembre 1998, une nouvelle instruction, la Direction générale des impôts et le Service de la législation fiscale viennent d’abandonner les critères traditionnels de la doctrine des œuvres et, afin de tenir compte de l’évolution du secteur associatif, de fixer une nouvelle définition de l’absence de lucrativité.
La principale innovation de ce texte repose sur la méthode retenue. L’instruction prône un examen de chaque cas par étape, afin de guider la démarche de l’administration. Il convient, en premier lieu, d’examiner si la gestion de l’organisme est désintéressée. Dans la négative, ce dernier est nécessairement soumis aux impôts commerciaux. Dans le cas contraire, l’administration est invitée, dans un deuxième temps, à vérifier si l’organisme ne concurrence pas le secteur commercial, auquel cas il n’est pas imposable. Si la concurrence est établie, l’instruction prévoit une troisième étape au cours de laquelle les modalités de gestion de l’organisme sont examinées de manière à apprécier leur similitude avec celles utilisées par les entreprises commerciales. Pour cette dernière étape, l’instruction énonce la règle des " 4 P " qui permet d’étudier, dans l’ordre de leur énumération, le produit proposé par l’organisme, le public visé, les prix pratiqués et la publicité utilisée. Il s’agit de quatre critères d’importance décroissante qui, s’ils montrent le recours à des méthodes de gestion similaires à celles du secteur concurrentiel, entraîneront l’assujettissement aux impôts commerciaux.
L’instruction prévoit en outre l’imposition automatique des associations qui exercent leur activité au profit d’entreprises. En revanche, elle admet le caractère désintéressé d’une association qui rémunère des dirigeants dans la limite d’un montant brut mensuel égal aux trois quarts du SMIC.
Elle laisse par ailleurs un délai de six mois aux organismes concernés pour déterminer, à partir d’une réponse circonstanciée des correspondants désignés à cet effet au sein de l’administration fiscale, leur régime d’imposition. Le Gouvernement a également pris la décision d’abandonner les redressements en cours pour toutes les associations de bonne foi.
L’instruction du 15 septembre 1998 s’est en effet accompagnée d’une circulaire, numérotée *4H-2-98 et datée du même jour mais dont le texte n’a pas été rendu public. Ce texte prévoit que, pour les associations en cours de contrôle ou ayant fait l’objet d’une procédure de redressement, " les dispositions (de l’instruction) ne donneront pas lieu à rappel lorsque les impositions procèdent de la remise en cause du caractère non lucratif d’une association de la loi de 1901 qui pouvait s’estimer de bonne foi exonérée et dès lors que les impositions ne sont pas définitives ", c’est-à-dire tant que " les délais de réclamation ou de recours ne sont pas expirés ". La circulaire précise que " la bonne foi ne saurait en principe être admise lorsque l’association est en état de récidive et que l’analyse de l’administration n’est pas remise en cause par les nouveaux critères de l’instruction ", et notamment " lorsque le régime fiscal de l’association lui avait été précisé sans ambiguïté dans le cadre d’un contrôle précédent ou que l’organisme n’a pas régularisé sa situation à la suite de la réponse écrite consécutive au réexamen approfondi de son images par l’administration centrale ". Il est en outre ajouté que " cette bonne foi ne sera pas, bien entendu, reconnue lorsque la structure associative a été utilisée sciemment pour exercer des activités paracommerciales ou illicites ".
La publication d’une nouvelle instruction sur la fiscalité des associations a suscité des réactions divergentes dont les assises de la vie associative organisées en février 1999 se sont fait l’écho. Des protestations avaient, à juste titre, déjà été émises devant les redressements adressés à de nombreuses associations culturelles ou socio-éducatives. Alors que la mission confiée à M. Goulard et la rédaction d’une nouvelle instruction avaient pour objectif d’apporter une solution aux cas les plus criants, le texte publié en septembre 1998 a été considéré par certains comme une interprétation restrictive des critères d’exonération.
Pour la Commission d’enquête, confrontée au problème particulier du phénomène sectaire et aux exemples d’utilisation de la notion de non lucrativité par les sectes, les règles qui viennent d’être énoncées ne semblent pas de nature à freiner le développement des activités commerciales des associations qu’elle a examinées.
Certes, l’instruction met à la disposition de l’administration un outil de contrôle qui lui apporte l’indispensable méthodologie qui lui faisait défaut. Notamment, la primauté donnée au critère de la gestion désintéressée qui devient une condition préalable obligée de la non lucrativité a le mérite de la clarté et trouvera, dans le cas des associations sectaires, matière à s’appliquer.
Il n’en reste pas moins que les assouplissements introduits ne faciliteront pas le contrôle des pratiques sectaires. Ils empêcheront par exemple de redresser les sectes dont l’activité est potentiellement concurrentielle, la concurrence n’étant plus une condition suffisante pour entraîner la perte de l’exonération. De même, il ne sera plus possible d’imposer une association sectaire au seul motif qu’elle a recours à la publicité ou qu’elle effectue des opérations commerciales. Sur ce dernier point, l’instruction admet en effet la possibilité de sectoriser l’activité commerciale dans une ou plusieurs filiales pour permettre à l’association de demeurer exonérée d’impôts pour son activité principale.
La Commission est également très réservée sur la décision, annoncée par le Gouvernement lors des assises nationales de la vie associative, d’accorder une exonération d’impôts commerciaux à toutes les associations dégageant des recettes commerciales inférieures à 250.000 francs par an. Elle voit avec inquiétude l’utilisation que les sectes pourraient faire d’une telle mesure, et notamment l’effet de seuil qu’elle entraînerait. En effet, on peut craindre que cette exonération les incite à morceler leurs activités commerciales en plusieurs structures associatives de manière à rester systématiquement en dessous du seuil.
La Commission souhaite par conséquent que le Gouvernement mette à profit le délai supplémentaire introduit par sa récente décision de reporter l’entrée en application de l’instruction du 15 septembre 1998, pour prendre en considération les risques d’utilisation des règles nouvellement édictées dans un sens favorable au développement du phénomène sectaire.
Elle invite également l’administration fiscale à la plus grande vigilance dans l’examen des imagess individuels et dans l’usage de la marge d’appréciation que lui laisse la possibilité qui lui a été récemment ouverte d’abandonner des rappels en cas de bonne foi. La Commission ne cache pas son étonnement devant la remise de dettes fiscales décidée, en application de la circulaire du 15 septembre 1998, en faveur d’associations sectaires.
Deux cas ont été portés à sa connaissance : l’association Spiritual Human Yoga pour laquelle le rappel d’impôt sur les sociétés de 183 824 francs a été abandonné, et l’association Au cœur de la communication qui a fait l’objet de la remise d’une dette fiscale de 1,3 million de francs. Ces redressements avaient été prononcés pour absence de déclaration d’activités lucratives et, s’agissant d’Au cœur de la communication, pour distribution occulte de revenus. Il semble étonnant de reconnaître la bonne foi d’associations qui, d’après les informations transmises à la Commission, poursuivent manifestement un but lucratif et qui, pour ce qui concerne la dernière, se livrent à des dérives en rémunérant de manière occulte leurs dirigeants. Ces cas semblent relever davantage des activités paracommerciales ou illicites qui, aux termes de la circulaire, interdisent l’abandon des rappels, que de la notion de bonne foi. Alors que de nombreuses associations peinent à obtenir de l’administration fiscale la reconnaissance du caractère manifestement désintéressé de leur gestion, la Commission s’interroge sur la relative mansuétude dont certaines sectes bénéficient.
Le dégrèvement décidé dans le cas de l’AMORC semble avoir été motivé par des raisons différentes qui illustrent les difficultés rencontrées par l’administration fiscale pour prouver le caractère lucratif des activités d’une association. L’AMORC a en effet fait l’objet d’un redressement de 118 millions de francs, pénalités incluses, sur lequel l’administration est revenue en abandonnant une partie de sa créance (environ 32 millions de francs). Interrogée sur ce dégrèvement, la Direction générale des impôts s’est contentée de préciser qu’il se justifiait par " absence de démonstration probante du caractère intéressé de la gestion de l’organisme ", et absence d’établissement de la " nature concurrentielle des prestations d’enseignement ésotérique à distance ". Là encore, la Commission ne peut qu’inciter l’administration, s’agissant de l’examen des imagess relatifs aux activités sectaires, à la plus grande prudence dans l’usage de la marge d’interprétation que les textes lui laissent.
a) Une notion difficile à cerner et parfois utilisée de façon abusive
Dans le droit commun, la notion de bénévolat est consubstantielle à celle d’association et à la présomption de non-lucrativité de celle-ci. Elle consiste, en effet, à participer au fonctionnement ou à l’animation d’une association sans rémunération d’aucune sorte ni contrepartie matérielle.
L’activité bénévole est, le plus souvent, celle des membres de l’association mais elle peut, dans certains cas, être le fait de personnes par ailleurs salariées de l’association et lui apportant une collaboration supplémentaire non rémunérée.
L’absence de contrepartie financière comme critère du bénévolat est entendue de façon assez stricte, aussi bien par la législation (art. L.242-1 du code de la sécurité sociale) que par la jurisprudence (arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale du 17 avril 1985). En sont, en effet, exclus, non seulement les rémunérations en espèces, y compris les indemnités, primes et gratifications, mais également les avantages en nature offerts par les associations à leurs collaborateurs, et consistant en hébergement, repas, mise à disposition d’un véhicule…
En outre, une rémunération, même composée exclusivement d’avantages en nature, a le caractère d’un salaire si l’existence d’un lien de subordination est établie entre les collaborateurs et les dirigeants de l’association.
Toutefois, le collaborateur bénévole peut, sans que soit remis en cause son statut, être remboursé des frais qu’il engage pour le compte de l’association, à la condition qu’il s’agisse de dépenses réelles et ayant donné lieu à des justificatifs. Faute de pouvoir produire ces derniers, l’association voit les sommes versées à ses collaborateurs bénévoles requalifiées par l’URSSAF en salaires déguisés. Dans la pratique, la distinction entre un collaborateur bénévole remboursé de ses frais et un collaborateur occasionnel salarié dont la rémunération est exclusivement ou essentiellement composée d’avantages en nature, n’est pas toujours facile à opérer.
Enfin, est également admis le cumul d’une activité salariée et des fonctions exercées à titre bénévole au sein d’une même association. La jurisprudence a accepté qu’un salarié, membre permanent d’une association, puisse, dans le cadre d’une convention passée avec celle-ci, répartir son temps de travail en heures rémunérées et en heures bénévoles.
Les souplesses et les ambiguïtés du bénévolat peuvent donc assez facilement donner lieu à des détournements.
Dans les associations sectaires, l’adhésion particulièrement intense et l’état de dépendance favorisent considérablement le recours au bénévolat.
La Commission a ainsi été frappée, dans de multiples cas, par la faiblesse numérique des effectifs de salariés travaillant dans des mouvements sectaires et, plus encore, dans leurs filiales exerçant une activité économique.
Le recours au bénévolat est très fréquent non seulement – ce qui était attendu – dans les mouvements affichant un objet spirituel, mais aussi, et plus spécialement, dans les mouvements qui interviennent en matière de formation et de développement personnel. Les adeptes sont conduits à fournir gratuitement certains travaux pour la secte, dans la plupart des cas, soit pour rembourser leurs dettes à son égard, soit à titre de reconnaissance pour les bienfaits dont ils ont bénéficié.
Ainsi, la Scientologie fait travailler des adeptes qu’elle rémunère mais dont la rémunération peut être intégralement affectée au paiement des cours et des services dispensés. On cite l’exemple des installations de Copenhague, siège de l’organisation européenne de la secte, qui auraient été, selon plusieurs témoignages, restaurées par des adeptes volontaires pour une valeur totale de 17 millions de francs. La rémunération mensuelle de chacun était d’environ 5.000 francs, à laquelle s’ajoutaient des avantages en nature de type classique (hébergement et nourriture) et d’autres, plus originaux, consistant en heures de cours et d’études.
D’autres, qui n’arrivent plus du tout à payer leurs cours, sont envoyés à Copenhague pendant quelques mois pour effectuer de petits travaux administratifs dans des conditions très dures : hébergés à la limite de l’insalubrité, travaillant jusqu’à quatorze heures par jour, non déclarés et nourris avec parcimonie.
Dans d’autres cas, l’adepte de la Scientologie fortement endetté se verrait proposer de travailler bénévolement, le plus souvent dans des pays étrangers, où il donnerait, par exemple, des cours dans des écoles de langues.
De même, deviennent des bénévoles-forçats les adeptes nécessitant une phase de rééducation et de réhabilitation. Le " Rehabilitation project force " (RFP) les emploie à des tâches subalternes, dans les locaux de Copenhague ou sur le bateau de la Scientologie, le " Freewinds ".
D’autres mouvements semblent pratiquer un très large recours au bénévolat.
Ainsi, à la fin de chaque séminaire de Landmark, il est demandé aux stagiaires s’ils souhaitent être bénévoles : 5 à 10 % se porteraient volontaires. Leur travail consiste alors à s’occuper principalement de la logistique des séminaires et à faire du démarchage téléphonique.
Sri Ram Chandra, qui organise des séminaires internationaux, dont le dernier, en août 1998, a rassemblé 2.000 participants, emploie des bénévoles dans le cadre de " séminaires chantiers ", qui ont notamment permis la restauration du château servant de siège à l’association.
Les Témoins de Jéhovah font également un large appel au bénévolat aussi bien pour des tâches diverses, accomplies au sein de la Communauté chrétienne des Béthélites sur le site de Louviers, qu’au titre du démarchage à domicile que doivent effectuer les adeptes. L’ampleur des travaux réalisés à Louviers et l’organisation de la communauté ont poussé l’administration à en contester le caractère bénévole ouvrant un contentieux sur lequel on reviendra ultérieurement.
D’autres exemples peuvent être cités à partir de témoignages mentionnés dans le rapport d’enquête de la Chambre des Représentants de Belgique du 28 avril 1997.
La Nouvelle Acropole exige de ses adeptes un certain nombre d’heures de travail bénévole dans son " école ", consacrées à des tâches d’accueil, d’entretien et de secrétariat.
Ogyen Kunzang Chöling (OKC) demande à ses membres du travail communautaire, contre la fourniture gratuite de l’hébergement, la nourriture et l’enseignement de la doctrine.
Sukyo Mahikari exige également de ses adeptes, outre leurs multiples offrandes, d’assurer des travaux et des services pour son établissement central au Luxembourg.
L’actuel régime du bénévolat offre aux mouvements sectaires un allégement considérable du coût de leurs activités, et laisse sans aucune protection des adeptes qui, bien souvent, embrigadés dans le mécanisme sectaire, n’exercent plus à l’extérieur d’activité leur donnant droit à une couverture sociale. Dès lors, l’absence de cette couverture favorise un bénévolat plus ou moins " forcé " puisque les adeptes peuvent difficilement quitter la secte sans se retrouver dans une situation d’extrême précarité sociale.
C’est d’ailleurs, à l’occasion d’un accident du travail survenu en 1996 à l’imprimerie des Témoins de Jéhovah, à Louviers, qu’une inspection a fait apparaître, d’une part, des manquements graves à la législation du travail, sur lesquels nous reviendrons plus loin, d’autre part un système de protection sociale insuffisant.
Les régimes comptable et fiscal du bénévolat, conçus, dans l’esprit de la loi du 1er juillet 1901, pour faciliter la vie associative – en la déchargeant à la fois des coûts élevés du salariat et des réglementations complexes du travail – sont ainsi devenus, pour les mouvements sectaires, des instruments propres à conforter leur opacité et à leur faciliter la pratique de la fraude fiscale et sociale.
Dans la mesure où les contributions volontaires apportées par les bénévoles à la vie des associations peuvent représenter, pour certaines d’entre elles, des volumes de travail ou des quantités de services très importantes sur le plan économique, il semblerait normal que ces apports fassent l’objet d’une valorisation comptable.
C’est pourquoi, le Conseil national de la comptabilité a, dans un avis déjà ancien, rendu le 17 juillet 1985, montré " l’intérêt qui s’attache à la valorisation des contributions volontaires effectuées à titre gratuit " et proposé une méthode qui permettrait de disposer, ne serait-ce que pour des raisons de bonne tenue des statistiques économiques, d’informations en ce domaine.
Cette prise en compte étant, bien entendu, facultative, peu d’associations l’ont intégrée dans leur comptabilité et, on s’en doute, aucun des mouvements sectaires ayant accepté de répondre au questionnaire de la Commission, même ceux qui, comme les Témoins de Jéhovah, utilisent un personnel nombreux à des tâches industrieuses.
Le bénévolat associatif ne bénéficie d’aucun statut fiscal avantageux pour favoriser son engagement. Lui sont appliquées les règles de droit commun, selon lesquelles les remboursements de frais sont non-imposables alors que peut l’être une partie des avantages en nature.
Si ce régime ne soulève pas de difficulté particulière pour les associations en général, il en va différemment pour celles relevant de la mouvance sectaire. En effet, l’absence de salariat peut faciliter l’attribution de revenus occultes à des adeptes que le statut de bénévole fait échapper à tout contrôle fiscal direct.
B.— la revendication du statut cultuel et le recours à la loi de 1905
Certaines sectes revendiquent le statut de religion. Cette revendication procède d’une stratégie globale visant à obtenir une reconnaissance officielle. Elle se heurte au principe de la séparation des églises et de l’Etat qui renvoie les pratiques religieuses à la sphère privée, et ne reconnaît aux pouvoirs publics aucune compétence pour définir ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas.
Le Ministère de l’intérieur a reçu de plusieurs organisations sectaires, notamment du Mandarom et des Témoins de Jéhovah, des demandes de reconnaissance de leur statut de congrégation religieuse. Il s’agit d’un régime d’autorisation dont les caractéristiques sont clairement définies par le titre III de la loi de 1901 qui organise la liquidation des biens des congrégations existantes au moment de sa promulgation. La qualité de congrégation religieuse est reconnue par décret en Conseil d’Etat et, à la différence du régime de l’association déclarée, entraîne des obligations, notamment comptables, importantes. Aucune organisation sectaire n’a, à la connaissance de la Commission, été reconnue congrégation religieuse.
La principale offensive juridique menée par les sectes sur le terrain de la reconnaissance religieuse porte sur le régime de l’association cultuelle prévu par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat dont l’application soulève davantage de difficultés que l’octroi du statut de congrégation. Il s'agit en effet d’un statut créé en 1905 qui a fait depuis l’objet, notamment de la part de la juridiction administrative, de divergences d’interprétation que les sectes savent utiliser avec habileté. La démarche est la suivante : plusieurs associations sectaires demandent à l’administration de bénéficier des avantages, notamment fiscaux, liés au statut d’association cultuelle et s’appuient sur le refus qui leur est opposé pour revendiquer, et parfois obtenir, auprès du juge la reconnaissance de leur caractère cultuel.
Le statut d’association cultuelle est un régime particulier d’association déclarée. La suppression du service public des cultes décidée en 1905 a en effet conduit le législateur à prévoir le remplacement des établissements qui en avaient la charge par des associations cultuelles, s’inscrivant dans le cadre des associations déclarées prévues aux articles 5 et 6 de la loi de 1901, mais organisées selon des règles qui leur sont propres. Par ailleurs, le maintien des trois départements d’Alsace-Moselle en régime concordataire a entraîné l’existence d’associations cultuelles régies par le droit local.
Le régime juridique que le législateur de 1905 a mis en place ne passait par aucune reconnaissance officielle. Une telle reconnaissance aurait été contraire au principe de séparation qui animait la loi. En outre, les associations cultuelles ne bénéficiaient initialement d’aucun avantage particulier par rapport aux associations déclarées. La loi de 1905 a cependant été à plusieurs reprises modifiée, et le régime de l’association cultuelle s’en est trouvé transformé dans son esprit, au risque de rompre l’équilibre entre les droits et les obligations des organismes concernés. Plusieurs avantages, notamment fiscaux, ont en effet été accordés à cette catégorie d’associations qui, d’un régime de droit commun destiné à organiser la séparation des églises et de l’Etat, est devenu un régime dérogatoire.
1.– Un régime dérogatoire au droit commun des associations déclarées
a) Les associations cultuelles en régime de séparation
Le titre IV de la loi de 1905 définit l’association cultuelle comme une association déclarée " formée pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte " et qui devra " avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte ".
Ce même titre soumet les organismes ainsi définis à des obligations comptables et financières particulières. Les associations cultuelles sont en effet tenues de dresser chaque année un compte financier et un état inventorié de leurs biens. Leurs directeurs ou administrateurs doivent notamment soumettre à l’approbation de l’assemblée générale des membres leurs " actes de gestion financière et de l’administration légale des biens ". Ces dernières sont par ailleurs soumises à un contrôle financier exercé par l’administration de l’enregistrement qui paraphe leur " état des recettes et des dépenses ", et qui est par ailleurs destinataire de leur compte financier annuel.
Parallèlement à leurs obligations comptables et financières, les associations cultuelles bénéficient des droits suivants :
Par ailleurs, les associations cultuelles peuvent bénéficier d’avantages qui, sans leur être spécifiques, leur sont applicables. Selon une jurisprudence constante, les locaux à vocation religieuse, quelle que soit la qualification juridique de leur propriétaire, sont exonérés de taxe d’habitation quand ils sont exclusivement affectés à l’exercice d’un culte public et mis à la disposition du public. Cette position a été confirmée par un arrêt de section du Conseil d’Etat du 13 janvier 1993 (Ministre du budget contre Congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah du Puy et Ministre de l’économie, des finances et du budget contre association Agape).
b) L’exercice d’un culte en régime concordataire
L’exercice des cultes en Alsace-Moselle est organisé selon le régime concordataire. Les trois confessions reconnues (les cultes catholique, protestant et israélite) constituent un service public confié à des établissements publics et bénéficient de la part de l’Etat, en contrepartie d’un contrôle de l’administration, d’importantes sollicitudes, comme la rémunération des ministres du culte, la garantie d’un enseignement religieux dans les écoles publiques ou l’octroi d’avantages financiers et fiscaux.
Les cultes non reconnus sont en revanche organisés sous la forme d’associations régies par un droit local qui diffère sensiblement du régime de la loi de 1901. La procédure locale d’inscription est plus lourde que la déclaration prévue dans le reste de la France, l’autorité administrative ayant le pouvoir de faire opposition à l’inscription pour des nécessités d’ordre public. En contrepartie, les associations inscrites en Alsace-Moselle bénéficient d’une capacité juridique plus étendue que celle des associations déclarées en application de la loi de 1901 : elles peuvent recevoir des dons et legs, et acquérir des immeubles autres que ceux qui sont strictement nécessaires à leurs buts statutaires.
Bien qu’ils se situent hors du champ d’application du principe de la séparation des églises et de l’Etat, les établissements publics du culte reconnu et les associations ayant pour objet l’exercice d’un culte dans les trois départements d’Alsace-Moselle bénéficient, par des dispositions législatives spécifiques ou par décision jurisprudentielle, d’avantages similaires à ceux dévolus aux associations cultuelles régies par la loi de 1905.
Ces établissements et associations sont en effet couverts par les dispositions des articles 713 et 795-10° du code général des impôts, relatives respectivement à exonération de droits de mutation à titre gratuit et à l’application d’un taux réduit pour les acquisitions immobilières.
L’article 238 bis du même code réserve le bénéfice de la déductibilité des dons aux seuls établissements des cultes reconnus. Cependant, le juge administratif a donné aux associations cultuelles inscrites selon le droit local la possibilité de faire bénéficier leurs donateurs des mêmes avantages fiscaux (Tribunal administratif de Strasbourg, 20 juin 1989, Association évangélique La Bonne Nouvelle contre Préfet du Bas-Rhin).
S’agissant enfin de la taxe foncière, l’article 4 du code local des impôts directs limite le droit à exonération aux " bâtiments consacrés au service religieux public des cultes reconnus ", et exclut par conséquent les cultes non reconnus. Cette exclusion, appliquée notamment au culte musulman par le Tribunal administratif de Strasbourg dans un jugement du 18 octobre 1993, a cependant été supprimée par l’article 37 de la loi de finances pour 1994 qui a étendu le bénéfice de l’article 1382-4° du code général des impôts aux " édifices affectés à l’exercice du culte, qui, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, appartiennent à des associations ayant pour objet exclusif l’exercice d’un culte non reconnu ".
2.– Un statut interprété de manière divergente par l’administration
Le bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur recense près de 470 associations cultuelles dont une centaine émanent du culte catholique, 150 ont été créées par des protestants, 12 par des orthodoxes et 7 par des arméniens, tandis que 140 concernent le culte israélite, 10 les cultes bouddhistes et une cinquantaine la religion musulmane.
C’est le préfet qui, consulté par un service public, est chargé de vérifier si une association remplit les deux critères fixés par le Conseil d’Etat pour bénéficier des avantages de l’association cultuelle, à savoir la poursuite d’un objet exclusivement cultuel et le respect de l’ordre public. Cette règle est notamment appliquée par l’administration des impôts qui n’accepte de consentir les avantages fiscaux liés au statut d’association cultuelle qu’après avoir pris l’avis des services préfectoraux territorialement compétents. C’est notamment sur la base de tels avis que la Direction générale des impôts a demandé que tous les édifices cultuels des associations locales des Témoins de Jéhovah soient assujettis à la taxe foncière.
La position de la Direction générale des impôts repose sur une lecture stricte de la loi de 1905. Elle considère que les associations de Témoins de Jéhovah n’ont pas pour objet exclusif l’exercice public d’un culte et n’entrent par conséquent pas dans la catégorie des associations cultuelles. Elle juge par ailleurs que sa position est conforme à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la sphère des convictions personnelles et des croyances religieuses. En se fondant sur cet article, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu aux Témoins de Jéhovah le droit de manifester leur religion, notamment dans son arrêt " Kokkinakis ". Cependant, l’administration fiscale considère que cette jurisprudence ne confère pas le statut cultuel aux associations jéhovistes, statut régi par des dispositions spécifiques et demandant le respect de conditions particulières.
Les préfets n’ont pas adopté une position aussi claire. Nonobstant la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, comme on va le voir, considère que les Témoins de Jéhovah ne respectent pas l’ordre public, les préfets consultés par l’administration fiscale ont rendu des avis divergents. Contrairement à la décision de la Haute juridiction, les préfets de la Guyane et de la Saône-et-Loire ont considéré que les associations locales des Témoins de Jéhovah respectaient l’ordre public, et pouvaient par conséquent se prévaloir d’un statut cultuel. D’autres ont refusé de se prononcer en ne prenant pas position ou en renvoyant l’administration fiscale vers le bureau central des cultes, qui n’est pourtant pas habilité à apprécier la situation particulière d’une association.
La position de l’administration sur le statut d’association cultuelle est donc loin d’être homogène, et l’on observe, pour la même secte, de telles divergences d’appréciation que la loi de 1905 apparaît aujourd’hui comme d’interprétation aussi ambiguë qu’aléatoire.
La Commission considère qu’il est urgent de rappeler, par la voie d’une circulaire, les principes qui fondent la séparation des églises et de l’Etat. Ce dernier n’est pas habilité par la loi à reconnaître quelque culte que ce soit, sauf dans la situation particulière de l’Alsace-Moselle, et ses services ne sont donc pas compétents pour se prononcer sur le caractère cultuel de telle ou telle secte.
S’agissant par ailleurs de l’octroi des avantages prévus par la loi de 1905, il est indispensable que les conditions fixées par le Conseil d’Etat soient appliquées de manière homogène sur l’ensemble du territoire. Il est donc nécessaire de rappeler aux préfets les critères de l’association cultuelle tels qu’ils ont été fixés par la Haute juridiction, et l’application qu’elle en a faite dans le cas particulier des Témoins de Jéhovah
3.– Un statut soumis aux hésitations du juge
Le juge n’a pas adopté une attitude unanime face aux sectes : plusieurs juridictions administratives ont accordé le statut cultuel à des associations sectaires. Même si elles ont fait l’objet d’appel et ne sont donc pas pour le moment définitives, ces décisions constituent un premier pas vers une reconnaissance du caractère religieux des mouvements sectaires.
Plusieurs sectes ont déféré au juge administratif le refus opposé à leur demande de bénéficier des avantages liés au statut d’association cultuelle. La plupart des recours portent sur le contentieux fiscal, et notamment sur l’exonération de taxe foncière pour laquelle les associations de Témoins de Jéhovah ont décidé d’engager une bataille juridique de grande envergure, en incitant leurs associations locales à contester devant le juge administratif les décisions d’assujettissement à la taxe foncière dont elles font l’objet. Il s’agit d’un contentieux important : le montant global de la taxe foncière afférente aux " édifices cultuels " dont les associations locales sont propriétaires est estimé à plus de 10 millions de francs par an. Au 1er mars 1999, ces associations avaient présenté 1.577 réclamations puis 1.133 requêtes introductives d’instance devant les tribunaux administratifs.
Jusqu’à présent, le Conseil d’Etat s’est toujours refusé à reconnaître aux associations de Témoins de Jéhovah le caractère d’association cultuelle. Dans un arrêt d’assemblée daté du 1er février 1985, la Haute juridiction a confirmé le refus opposé par l’administration à l’acceptation d’un legs de 775.000 francs consenti par testament à l’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France ". Dans cette décision, le juge a lié la reconnaissance du statut d’association cultuelle à un examen de l’objet et de la nature des activités de l’association, telles qu’elles ressortent de ses statuts. En l’espèce, deux agissements estimés attentatoires à l’ordre public, à savoir l’incitation à ne pas effectuer de service militaire armé et l’hostilité de principe à toute transfusion sanguine, ont pu être considérés comme faisant partie intégrante du culte des Témoins de Jéhovah, et de nature à justifier le refus du statut d’association cultuelle. Le Conseil d’Etat a estimé que " les activités menées par l’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France " sur la base des stipulations de ses statuts en vigueur à la date du décret attaqué ne confèrent pas dans leur ensemble, en raison de l’objet ou de la nature de certaines d’entre elles, le caractère d’une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905 ".
Pour sa part, la Commission estime qu’au-delà des agissements dont fait état la Haute juridiction, ce qui pose fondamentalement problème concernant les Témoins de Jéhovah c’est leur conception diabolisante de la société actuelle et la coupure progressive qu’ils organisent entre celle-ci et leurs adeptes.
La décision de 1985 complétait une jurisprudence antérieure. Elle venait en effet préciser les critères jurisprudentiels de la notion d’association cultuelle, définis par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 21 janvier 1983 " Association Fraternité des serviteurs du monde nouveau ". En 1983, la Haute juridiction s’était contentée de vérifier si l’association requérante avait bien pour objet exclusif l’exercice d’un culte. En l’espèce, l’existence d’activités statutaires extérieures à cet objet, et notamment l’édition et la diffusion de publications doctrinales, étaient, aux yeux du juge, de nature à justifier le refus du statut d’association cultuelle.
L’Association chrétienne " les Témoins de Jéhovah de France ", pour pouvoir bénéficier du legs qui lui était consenti par testament, avait modifié ses statuts, afin d’en extraire toute stipulation extérieure à l’exercice d’un culte, et notamment toutes les dispositions relatives à ses activités d’imprimerie. Le Conseil d’Etat a cependant estimé que cette mise en conformité ne changeait pas la réalité des activités des Témoins de Jéhovah. Dans l’arrêt précité du 1er février 1985, la Haute juridiction, suivant les conclusions du commissaire du Gouvernement, ne s’est pas arrêtée à la forme juridique qu’a voulu se donner l’association requérante en mettant ses statuts en conformité avec la loi de 1905, mais s’est appliquée à examiner la nature de ses activités.
Le Conseil d’Etat vient de réaffirmer sa position dans un avis rendu le 24 octobre 1997 dans lequel il rappelle que le respect du caractère exclusivement cultuel " est apprécié au regard des stipulations statutaires de l’association et de ses activités réelles " et qu’" une association dont les activités pourraient porter atteinte à l’ordre public ne peut bénéficier du statut d’association cultuelle ".
Bien qu’elle ait été récemment réaffirmée, la motivation retenue par le Conseil d’Etat n’a pas reçu une application uniforme sur le territoire. Sur les 1.133 requêtes introduites, le juge de première instance a d’ores et déjà prononcé 305 jugements, dont 248, soit 80 % , ont reconnu la qualité d’association cultuelle et, par suite, ordonné la décharge de la taxe foncière. En revanche, 52 jugements rendus par les tribunaux administratifs de Nancy et de Clermont-Ferrand ont maintenu l’imposition contestée. Le juge de Clermont-Ferrand a par exemple suivi le Conseil d’Etat dans un jugement du 16 décembre 1997, et a refusé le caractère d’association cultuelle à l’Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom en considérant " qu’il est de notoriété publique que les Témoins de Jéhovah refusent les transfusions sanguines et l’accomplissement du service national ".
La Direction générale des impôts a systématiquement interjeté appel des décisions favorables aux associations de Témoins de Jéhovah. Le juge d’appel a ainsi été saisi de 210 requêtes non encore examinées. Il faudra par conséquent attendre les décisions futures des cours administratives d’appel puis, le cas échéant, du Conseil d’Etat.
Si, à l’issue de ce contentieux, la jurisprudence administrative devait être inversée et aboutir à une reconnaissance de la qualité cultuelle des associations sectaires, la Commission considère qu’il conviendrait de réexaminer les textes. Une telle reconnaissance entraînerait le bénéfice d’avantages financiers et fiscaux dérogatoires au droit commun des associations et, surtout, donnerait aux mouvements sectaires la reconnaissance religieuse qu’ils revendiquent. Elle ouvrirait la voie à des abus particulièrement dommageables. Il suffirait en effet à toute association, quelle que soit la nature de ses activités, de se doter d’un caractère religieux en donnant à ses statuts un objet exclusivement cultuel, pour que lui soient attribués le bénéfice de la loi de 1905 et la reconnaissance implicite qui lui est liée.
4.– Le régime de protection sociale des cultes
Selon les dispositions des articles L. 381-12 et suivants du code de la sécurité sociale, les ministres des cultes et les membres des congrégations et des collectivités religieuses relèvent, en principe, du régime général de la sécurité sociale, mais peuvent demander à bénéficier du régime particulier des cultes.
Ce régime, qui a donc un caractère subsidiaire, est géré par la Caisse des cultes qui comporte, pour la branche maladie, la Caisse mutuelle d’assurance maladie des cultes (CAMAC), et pour la branche vieillesse, la Caisse mutuelle d’assurance vieillesse des cultes (CAMAVIC).
Sont affiliés à ce régime principalement les clergés catholique et orthodoxe, les pasteurs évangéliques et les ministres de certaines communautés bouddhistes et hindouistes. L’Eglise réformée de France a, pour sa part, choisi de relever du régime général de la sécurité sociale.
La cotisation d’assurance-maladie s’élève à 11.600 francs par an pour un non pensionné et à 3.600 francs pour un pensionné (alors qu’il n’y a pas de cotisation pour la retraite de base du régime général et une cotisation de 1 % pour la retraite complémentaire).
La cotisation d’assurance-vieillesse est soumise au taux de droit commun de 16,35 % mais avec la valeur du SMIC comme assiette forfaitaire.
L’intérêt principal du régime des cultes tient à quatre éléments :
L’affiliation au régime des cultes relève des décisions du Conseil d’administration de la Caisse. En cas de difficulté, il peut être fait appel à une commission consultative, convoquée par le ministre chargé des Affaires sociales, mais qui ne s’est pas réunie depuis 5 ans.
À la connaissance de la Commission, deux organisations sectaires ont présenté une demande d’affiliation : l’Eglise de Scientologie de Paris en 1989, qui n’a pas fait appel de la décision de refus qui lui a été opposée, et la Communauté chrétienne des Béthélites, association des Témoins de Jéhovah, le 28 octobre 1996. Les conseils d’administration de la CAMAC et de la CAMAVIC ont également rejeté cette demande en juin 1997. La Communauté a saisi le Tribunal des Affaires sociales.
La Commission ne saurait se prononcer sur une affaire judiciaire en cours, mais appelle l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de fixer désormais au moins quelques règles générales pour l’affiliation au régime des cultes. Il ne semble exister, en effet, à l’heure actuelle, ni doctrine en la matière, ni instrument de cohérence avec des décisions administratives, telles que celles relatives à l’exonération de taxe foncière pour les associations cultuelles.
Par cette carence, risquent d’être encouragées, bien au-delà des deux seuls cas que nous venons d’évoquer, les tentatives, par des organisations sectaires, de se faire reconnaître comme culte, en bénéficiant de plusieurs éléments de leur statut.
c.— l’utilisation de la législation relative à la vie politique
Peu de mouvements sectaires ont, jusqu’à présent, utilisé la législation sur la vie politique. Le Mouvement humaniste et la Méditation transcendantale sont les seuls exemples d’organisations sectaires constituées en groupements politiques en France. Cette législation offre pourtant aux sectes une reconnaissance publique, une tribune et des avantages financiers qui, sans aménagement des règles actuelles, risquent de favoriser leur développement.
a) Les avantages liés au statut de parti politique
L’article 4 de la Constitution dispose que les partis politiques " se forment et exercent leur activité librement ". Ce principe constitutionnel de liberté d’exercice des activités politiques fait bénéficier les formations politiques d’une entière liberté de création. Il en résulte notamment que tout mouvement sectaire peut constituer un parti politique et profiter des avantages liés à ce statut, notamment des dispositifs de financement public mis en place depuis 1988.
· Une législation très libérale
La loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique a réaffirmé, en son article 7, le principe constitutionnel de liberté d’exercice des activités politiques. Les seules obligations auxquelles cette loi soumet la formation et le fonctionnement des partis politiques portent sur leur financement. Il s’agit au demeurant d’obligations purement déclaratives.
La loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques a prévu la désignation par les partis d’une personne morale ou physique mandatée pour recueillir des fonds. Lorsqu’un parti choisit de recourir à une personne morale, l’association de financement ainsi désignée doit être agréée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCFP) qui ne dispose, en la matière, d’aucun pouvoir d’appréciation. Le principe de la liberté de constitution des formations politiques interdit en effet à la CCFP de soumettre son agrément à une quelconque appréciation sur le caractère réel et sérieux du projet développé par le groupement concerné. Au demeurant, les partis politiques ont la possibilité de recourir à une personne physique qui n’a pas à être agréée.
L’agrément donné par la CCFP aux associations de financement des partis politiques ouvre pourtant droit à deux dispositions non négligeables.
En premier lieu, en application de l’article 200.2.bis du code général des impôts, les dons versés aux associations de financement des partis politiques agréées donnent droit à une réduction d’impôts pour les donateurs personnes physiques. La loi du 15 janvier 1990 précitée octroyait un avantage similaire pour les personnes morales. Cet avantage, prévu à l’article 238 bis-6° du code général des impôts, a été attribué avant d’être abrogé par la loi du 19 janvier 1995 qui a, on va le voir, interdit la plupart des dons de personnes morales.
En second lieu, par dérogation au principe général d’interdiction des dons émanant de personnes morales, toute association de financement agréée peut consentir des dons à une autre formation politique ou, à l’inverse, recevoir des dons d’une autre formation. En effet, la loi du 19 janvier 1995 a interdit le financement des partis par versement de dons émanant de personnes morales, à l’exception des dons consentis par d’autres groupements. Or, en l’absence de définition légale du parti politique, la CCFP a élaboré une doctrine, validée par une décision du Conseil constitutionnel en date du 13 février 1998, selon laquelle sont autorisées à verser des dons à une formation politique donnée, toutes les autres formations qui bénéficient de l’aide budgétaire publique, ou qui ont désigné un mandataire financier et se sont conformées aux obligations comptables prévues par la loi. Il en résulte bien que l’agrément des associations de financement ouvre droit à réception et versement de dons émanant d’autres formations politiques ou destinés à cette même catégorie d’organismes.
Le recours à une association de financement permet donc de bénéficier, sans autorisation de l’administration, de deux avantages qui sont refusés aux simples associations déclarées : la possibilité de faire bénéficier ses donateurs personnes physiques de réductions fiscales, et le droit de recevoir certains dons. Ces dispositions peuvent très facilement être utilisées par des mouvements sectaires qui choisiraient de recourir au statut de groupement politique. Il suffirait à la secte de se constituer en parti politique, de demander l’agrément d’une association de financement à la CCFP qui l’accorde indépendamment du projet du parti considéré, et de bénéficier ainsi de l’utilisation d’un avantage fiscal et de la possibilité de recevoir certains dons.
Les partis sont par ailleurs tenus de tenir une comptabilité et de la déposer chaque année à la CCFP. Si cette dernière est destinataire des comptes des groupements politiques dont elle assure une publication sommaire, elle n’a cependant pas un pouvoir de contrôle des opérations retracées dans ces comptes et n’est pas habilitée à porter un jugement sur l’opportunité des dépenses engagées par les partis.
Son rôle se limite à :
· Les exemples de constitution de partis politiques par des mouvements sectaires
La vie politique française a assisté à l’émergence de deux partis issus de mouvements sectaires et décidés à utiliser le statut de formation politique pour propager leur message. Leur stratégie semble se confirmer, puisqu’ils ont déposé une liste pour les élections européennes du 13 juin 1999.
La branche française de la Méditation transcendantale a constitué, le 8 juin 1992, un parti politique dénommé Parti de la loi naturelle (PLN). Il s’apparente à des formations similaires créées, à l’initiative du fondateur de la secte, Maharishi Mahesh Yogi, dans 35 pays différents dont l’Australie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Le PLN s'est fixé comme objectif de propager les idées de Maharishi. Selon ce dernier, l’organisation politique doit se conformer à la " loi naturelle " et les affaires du monde doivent être confiées à un groupe pratiquant la méditation transcendantale et le vol " yogique ". La campagne des élections législatives a été l’occasion pour M. Benoît Frappé, président du PLN, de préciser son programme : créer un groupe de 7.000 professionnels de la science védique pratiquant les préceptes de Maharishi, cette seule mesure permettant une baisse de 10 à 20 % du chômage par an, ainsi qu’un recul des maladies et de la criminalité. Le PLN a depuis peu lancé deux nouveaux thèmes : l’interdiction des aliments transgéniques et un " projet pilote de création de cohérence " en Corse consistant à réunir 200 à 400 experts en vol yogique afin de faire baisser la violence et de rétablir l’ordre sur l’île.
Le PLN déclare compter entre 20.000 et 40.000 membres. Il dispose actuellement d’une quinzaine d’unités locales. Il a présenté des candidats à toutes les élections organisées depuis 1993. Ses candidats ont recueilli environ 26.000 suffrages aux élections législatives de 1993, puis un peu plus de 100.000 suffrages aux européennes de 1994. Il semble cependant être en perte de vitesse en n’ayant recueilli que 11.329 voix aux législatives de 1997.
Dès sa création, le PLN s’est conformé à la législation sur le financement de la vie politique en désignant le 1er juin 1992 à la préfecture du Val d’Oise un mandataire financier en la personne de M. Philippe Couturier. Il a, en 1995, remplacé ce mandataire par une association de financement déclarée à la préfecture de police de Paris le 13 janvier 1995. Cette association a reçu l’agrément de la CCFP par une décision datée du 17 mars 1995. Elle est actuellement présidée par M. Jean-Paul Hubert, M. Philippe Couturier étant son trésorier.
Les comptes déposés par le PLN à la CCFP font apparaître un niveau de résultat très variable selon l’exercice : le budget du parti est passé d’environ 147.000 francs en 1992 à plus de 902.000 francs en 1997. Les principales ressources déclarées proviennent, en dehors de l’aide budgétaire publique qui sera examinée plus loin, des cotisations des adhérents (variant de 22.000 francs en 1996 à plus de 172.000 francs en 1993) et de dons de personnes physiques (près de 360.000 francs en 1997), ouvrant droit à réduction d’impôts. Huit personnes morales ont versé des dons entre 1993 et 1994, et ont par conséquent pu bénéficier de l’avantage fiscal alors en vigueur, pour des montants peu importants se situant entre 200 et 15.000 francs. Les principaux postes de dépenses sont les frais de propagande et de communication, les achats et les services, ainsi que, depuis 1995, les charges de personnel liées à l’emploi de salariés. Enfin, le bilan au 31 décembre 1996 fait apparaître un portefeuille de valeurs mobilières de placement de 167.876 francs, et celui au 31 décembre 1997 une dette de 25.515 francs contractée par emprunt auprès d’un établissement de crédit.
Le Mouvement humaniste est la seconde organisation sectaire utilisant la réglementation française relative à la vie politique. Le Parti humaniste (PH) s’est constitué le 10 avril 1984 sous la forme d’une association déclarée à la préfecture de police de Paris. Il est actuellement présidé par M. Didier Gay. L’objet de cette association recouvre un programme politique très général axé autour d’un renforcement de la pratique démocratique et de la promotion de nouvelles réponses aux problèmes de la société. Le PH se rattache à la maison mère du mouvement humaniste créée en Argentine par le fondateur de la secte, M. Luis Mario Rodriguez Cobo, alias Silo. Il a obtenu 3.508 voix aux élections législatives de 1997.
Afin de bénéficier de l’aide publique, le PH s’est mis en conformité en 1997 avec les dispositions de la loi du 15 janvier 1995. Il a constitué le 24 mars 1997 une association de financement déclarée à la préfecture de police de Paris et présidée par M. Jean-Claude Violleau. Cette association a reçu l’agrément de la CCFP le 13 mai 1997.
Compte tenu du caractère récent de cet agrément, seuls les comptes relatifs à 1997 ont, pour le moment, été publiés au Journal officiel. Ils font apparaître un total de recettes de 95.224 francs exclusivement tirés de dons de personnes physiques, sur lesquels 93.794 francs ont été utilisés pour la prise en charge directe de dépenses électorales des candidats. Les donateurs du PH ont pu, comme ceux du PLN, bénéficier de la réduction d’impôts attachée aux dons versés au mandataire financier de toute formation politique.
b) Le bénéfice de l’aide budgétaire publique
Les partis politiques peuvent bénéficier depuis 1988 d’une aide financière inscrite au budget de l’Etat. Depuis la loi du 15 janvier 1990 cette aide, soit au total 526,5 millions de francs en 1999, est divisée en deux fractions égales, la première versée selon des critères très souples, la seconde soumise à des conditions beaucoup plus restrictives.
La première fraction est ouverte, d’une part, à toute formation politique qui a présenté au moins 50 candidats aux dernières élections législatives (le seuil de 5 % de voix, voté par le Parlement en 1990, ayant été annulé par le Conseil constitutionnel) et, d’autre part, aux formations ayant présenté des candidats exclusivement outre-mer. Aujourd’hui, 86 partis ou groupements bénéficient de cette première fraction.
En revanche, le bénéfice de la seconde fraction est lié à une représentation au Parlement. Compte tenu du mode d’élection des parlementaires, seule une vingtaine de partis ou groupements émargent à la seconde fraction.
L’annulation par le Conseil constitutionnel du seuil, exprimé en pourcentage des suffrages, prévu par le législateur pour bénéficier de la première fraction a permis aux deux partis sectaires de recevoir une aide budgétaire publique. En l’état actuel de la législation de la vie politique, c’est par conséquent l’Etat qui finance une partie non négligeable de la propagation des idées défendues par les deux sectes intéressées.
De 1993 à 1999, le Parti de la loi naturelle a reçu de l’Etat, au titre de la première fraction de l’aide budgétaire publique, un total de 1.668.561 francs. Conformément à la loi de 1990, l’aide lui a été ouverte sur le seul fondement du nombre des candidats présentés aux élections législatives. Bien qu’il n’ait obtenu que 26.254 voix aux élections législatives de mars 1993, le PLN a présenté 125 candidats, soit un nombre suffisant pour pouvoir bénéficier de la première fraction. Ces résultats lui ont permis de recevoir chaque année, au titre de la dixième législature, une aide moyenne d’environ 284.000 francs. L’aide actuellement versée est calculée sur la base des résultats obtenus aux élections législatives de 1997 pour lesquelles le PLN a présenté 89 candidats et recueilli 11.329 voix. Ces résultats ont entraîné le versement par l’Etat en 1999 d’une aide de 123.489 francs, et entraîneront le versement d’un montant équivalent jusqu’à la fin de l’actuelle législature.
Le Parti humaniste a présenté 89 candidats aux élections législatives de 1997, ce qui, malgré la modicité du nombre de suffrages qu’il a obtenus lui donne droit à la première fraction de l’aide publique. Ainsi, 38.225 francs en 1998 et 38.238 francs en 1999 lui ont été versés par l’Etat. Une somme équivalente lui sera versée chaque année jusqu’à la fin de la XIème législature.
c) Le remboursement des dépenses de campagne électorale
Indépendamment de l’aide budgétaire annuelle dont bénéficient les formations politiques, la loi du 15 janvier 1995 a institué un remboursement forfaitaire des dépenses électorales engagées par les candidats. Tout candidat à une élection, à l’exception des élections sénatoriales et présidentielles, qui se présente dans une circonscription de plus de 9.000 habitants, est remboursé de la moitié de ses dépenses électorales, dans la limite d’un plafond, s’il a obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour de l’élection considérée.
Le bénéfice de cette disposition est lié au respect par le candidat des plafonds des dépenses électorales prévus par la loi, du dépôt d’une déclaration de situation patrimoniale s’il y est par ailleurs astreint, et des obligations relatives à l’établissement et au dépôt d’un compte de campagne.
Pour les élections concernées par le remboursement forfaitaire, les candidats ne peuvent recueillir des fonds en vue du financement de leur campagne que par l’intermédiaire d’un mandataire qui est soit une association soit une personne morale. Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis à un plafonnement de ses dépenses électorales est tenu d’établir un compte de campagne et de le déposer à la préfecture accompagné de ses pièces justificatives.
Les comptes de campagne sont transmis à la CCFP qui les approuve, les rejette ou les réforme, et en assure la publication au Journal officiel sous une forme simplifiée. Sa décision d’approbation conditionne le droit à remboursement. Le contrôle exercé par la CCFP est cependant de nature strictement comptable : il permet notamment de déceler des éventuels dépassements de plafonds réglementaires, ou de faire respecter les dispositions législatives relatives aux dons. La CCFP ne dispose en revanche d’aucun pouvoir d’appréciation de la nature des dépenses engagées par les candidats.
Les mouvements sectaires peuvent trouver dans le mécanisme de remboursement des dépenses électorales un moyen de faire financer par l’Etat leur propagande, le remboursement n’étant pas lié à un examen de la nature du projet politique développé. Dans la pratique, toute personne membre ou proche d’une secte peut se porter candidat à une élection, déclarer à la préfecture un mandataire personne physique ou une association de financement électorale, et se faire rembourser par l’Etat, à la seule condition d’atteindre 5 % des suffrages exprimés au premier tour, la moitié de ses dépenses. On peut cependant estimer que l’existence du seuil de 5 % limite le bénéfice de cette disposition.
Même si les résultats obtenus par la Méditation transcendantale ne semblent pas avoir entraîné de remboursement public, ses comptes de campagne sont riches d’enseignements. À titre d’exemple, la Commission a constaté que M. Benoit Frappé, président du Parti de la loi naturelle, a conduit une liste aux élections européennes de 1994 pour lesquelles il a déposé un compte faisant apparaître des dépenses totales d’un montant de 943.995 francs. Il a déclaré avoir financé l’essentiel de ses dépenses grâce à :
En revanche, pour les élections législatives de 1993 et 1997 où il se présentait dans la 4ème circonscription du Val d’Oise, M. Benoît Frappé a déclaré n’avoir dépensé que respectivement 17.159 et 1.428 francs, financés pour l’essentiel par des apports personnels, soit des montants apparemment peu conciliables avec le coût d’une campagne.
d) L’accès aux temps d’antenne de la campagne radiotélévisée
Les partis ou groupements politiques peuvent utiliser les antennes du service public de radiodiffusion et de télévision pour leur campagne électorale. Cet accès constitue une autre modalité de financement public de la propagande des partis, le coût de la campagne radiotélévisée étant pris en charge par l’Etat, pour des montants non négligeables et en hausse régulière. Le coût public de la campagne radiotélévisée des élections législatives s’est par exemple établi à 14 millions de francs en 1988, 41,6 en 1993 et 53,8 en 1997.
Les conditions d’accès à la campagne radiotélévisée ont été définies de manière suffisamment large pour que les petites formations puissent en bénéficier. Par exemple, en application de l’article L. 167.1 du code électoral, tout parti ou groupement présentant au premier tour de scrutin des élections législatives au moins 75 candidats a accès aux antennes pour une durée de 7 minutes au premier tour et de 5 minutes au second.
Des mouvements sectaires ont trouvé dans ces dispositions non seulement une nouvelle opportunité de faire financer par l’Etat leur propagande, mais aussi une tribune pour propager leur message et un brevet apparent de respectabilité. Dans son rapport sur la campagne des élections législatives de 1997, le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’est fait l’écho de l’accès du Parti de la loi naturelle et du Parti humaniste à la campagne radiotélévisée. Il relève notamment que parmi les 17 formations non représentées par un groupe à l’Assemblée nationale, mais admises au bénéfice de cette campagne, " certaines délivraient un message dont le contenu n’était pas réellement politique ". Le même rapport ajoute que " plusieurs observateurs n’ont pas hésité à prononcer le mot de secte pour désigner quelques-unes de ces formations, dont une avait été d’ailleurs citée dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes ".
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel soulève les difficultés que présente l’application des dispositions sur l’accès à la campagne radiotélévisée. Ces difficultés revêtent une acuité particulière lorsqu’elles s’appliquent à des formations émanant d’organisations sectaires. Les conditions d’accès à la campagne ont été fixées, s’agissant des élections législatives et européennes, à une époque où la vie politique était dominée par des partis représentés par un groupe parlementaire. Avec la multiplication des formations dénuées d’une telle représentation, l’application de ces conditions aboutit à des résultats qui peuvent sembler peu conformes à une juste répartition des temps de parole. Est-il normal qu’aux dernières élections européennes et législatives, le Parti de la loi naturelle ait disposé du même temps de parole que, par exemple, les partis issus du mouvement écologique ?
2.– Les possibilités d’aménagement de la législation
La Commission constate que les dispositions relatives au financement de la vie politique peuvent, avec une facilité déconcertante, être utilisées par des sectes et favoriser ainsi leur développement. S’il est vrai que, compte tenu de la relative modicité des sommes en cause, l’exemple des deux formations citées n’a pas révélé une utilisation massive du financement public, il n’en est pas moins révélateur de risques de dérives à plus grande échelle.
C’est pourquoi la Commission recommande plusieurs aménagements.
Ne convient-il pas, en premier lieu, de soumettre le bénéfice de la première fraction de l’aide budgétaire annuelle à l’obtention d’un seuil de voix aux dernières élections législatives ?
Cette première recommandation serait de nature à empêcher que l’Etat ne finance, chaque année, la propagande de mouvements sectaires, sans pour autant entraver l’expression de nouveaux courants d’idées et d’opinions. Suggéré à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, un tel aménagement semblerait conforme à sa décision du n° 89-271 du 11 janvier 1990, dans laquelle le Conseil a annulé les 5 % votés en raison du niveau du seuil choisi, et non en raison du principe même d’un seuil.
Il serait également opportun de réserver l’accès à la campagne radiotélévisée aux formations politiques qui ont désigné un représentant national parrainé par un nombre d’élus locaux qui pourrait également varier en fonction l’élection.
Cette deuxième proposition s’inspire du dispositif instauré pour les élections présidentielles françaises et de la législation en vigueur dans des pays européens, comme l’Italie.
D.— Les vitrines humanitaires des sectes et le recours au statut d’organisation non gouvernementale
La plupart des sectes sont présentes dans plusieurs zones géographiques, ont des activités, notamment économiques, transfrontalières, et s’appuient sur des structures internationales parfaitement organisées. Plusieurs d’entre elles ont une position internationale suffisamment importante pour participer à des conférences officielles, comme le montre l’exemple récent de la session de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui s’est tenue à Vienne le 22 mars 1999, et dont certaines délégations étaient composées de scientologues ou de témoins de Jéhovah. Certaines sectes, attirées par l’importance des enjeux financiers en cause, utilisent l’action humanitaire pour acquérir auprès du public une reconnaissance et profiter de la relative mansuétude des organisations internationales, parfois moins exigeantes que les Etats dans l’octroi de leurs subventions et l’accès à leurs tribunes.
Le caractère international des pratiques sectaires pousse les mouvements en cause à recourir au statut d’organisation non gouvernementale (ONG), et, de fait, plusieurs sectes ont été reconnues comme telles. Il s’agit d’un statut auquel, en absence de définition juridique claire, l’accès est relativement facile, et qui, jusqu’à une époque récente, n’emportait pas d’effet en droit interne.
La convention européenne du 24 avril 1986 dont la ratification vient d’être autorisée par le Parlement français donne aux ONG une reconnaissance juridique beaucoup plus large que par le passé. Dictée par la nécessité de faciliter l’activité des ONG dont l’action se heurte souvent aux règles nationales de leurs lieux d’implantation, cette convention offre aux sectes une arme supplémentaire pour obtenir des Etats signataires des droits nouveaux. Comme la loi de 1901, il s’agit d’un dispositif juridique, certes nécessaire à l’exercice d’une activité essentielle aux relations internationales, mais que les sectes pourront utiliser, voire dévoyer, pour asseoir leur influence et développer leurs activités.
1.– Un statut mal défini, mais offrant des avantages non négligeables
a) La notion et le statut d’ONG
Les ONG déploient leurs activités dans des secteurs aussi divers que le domaine économique, social, éducatif, culturel, de la défense des droits de l’homme, de l’environnement ou du développement. L’Union internationale des associations recensait, en 1996, 138.000 ONG, dont 65.000 en Europe. Lorsqu’elles sont implantées dans plusieurs États, il est convenu de les désigner sous l’appellation d’organisation internationale non gouvernementale (OING).
La grande diversité des structures et de leurs objectifs rend difficile la définition juridique des ONG. Le terme est inclus dans l’article 71 de la Charte des Nations Unies : " le Conseil économique et social peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les organisations non gouvernementales qui s’occupent de questions relevant de sa compétence ". La résolution 288 B(X) du 27 février 1950 du Conseil économique et social a ajouté qu’il s’agit d’" une organisation qui n’est pas créée par voie d’accords intergouvernementaux ".
Les droits des ONG bénéficiant d’un statut consultatif ont été précisés par des textes récents. La loi autrichienne sur les associations du 31 mars 1992 reconnaît le bénéfice de la convention européenne du 24 avril 1986, examinée plus loin, aux organismes disposant d’un statut consultatif auprès d’une organisation internationale. De même, un protocole additionnel à la Charte Sociale Européenne en date du 9 novembre 1995 donne une véritable dimension juridique à la notion de statut consultatif. L’article 1er de ce protocole dispose en effet que " les parties contractantes (…) reconnaissent aux organisations internationales dotées du statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe (…) le droit de faire des réclamations alléguant une application non satisfaisante de la Charte ".
Comme la Charte des Nations Unies les y invitait, de nombreuses ONG ont demandé à être régulièrement consultées par les organisations internationales (Nations Unies, Conseil de l’Europe, Agence de la francophonie …). Ces organismes ont fixé des critères d’admission qui se révèlent, la plupart du temps, relativement faciles à remplir. Le Conseil économique et social de l’ONU a notamment défini de manière très large ses critères d’admissibilité. Ainsi, 577 ONG disposent actuellement d’un statut consultatif auprès de ce Conseil, 585 auprès de l’UNESCO et 369 auprès du Conseil de l’Europe.
Les ONG constituent donc des organismes sans but lucratif créés par des initiatives privées qui peuvent bénéficier d’une reconnaissance par une instance intergouvernementale. Elles se différencient des structures associatives nationales par le caractère international de leur composition et de leurs objectifs. Cependant, les implantations, établissements ou sections d’une ONG restent des personnes morales soumises au droit de l’Etat où se trouve leur siège respectif. La majorité des Etats européens ne prévoit aucun statut spécifique aux ONG et les règles qui leur sont applicables sont celles qui régissent les associations, fondations, syndicats, mutuelles ou tout autre organisme à but non lucratif.
Une même organisation aura donc une personnalité et une capacité juridiques différentes selon l’Etat d’implantation. C’est justement ce particularisme juridique, considéré par certains comme contraire au développement des ONG, qui a motivé la convention de 1986 et abouti à un dispositif qui dispense les ONG implantées dans plusieurs pays de créer une nouvelle personne morale.
b) Des avantages non négligeables
Bien qu’il soit facile à obtenir, le statut d’ONG apparaît auprès du public comme un véritable label de crédibilité internationale.
Il offre une tribune dans la mesure où le statut consultatif donne le droit d’assister à des débats, d’en recevoir les imagess préparatoires, d’apporter un point de vue au sein de commissions et de soumettre des rapports écrits. Une telle tribune facilite indéniablement le " lobbying " exercé par les ONG. Ces dernières sont ainsi admises aux grandes conférences internationales et peuvent y prendre la parole, certains pays comme la France les intégrant dans leurs délégations.
Le statut d’ONG confère également une notoriété très utile dans l’accès aux importantes contributions bénévoles du public. En France, l’ensemble des ONG collecte chaque année un milliard de francs. S’y ajoutent les financements publics, d’ampleur moindre, consentis directement par les institutions internationales aux organisations qu’elles ont reconnues.
c) Les exemples de sectes reconnues ONG
Plusieurs exemples de sectes bénéficiant du statut d’ONG ont été portés à la connaissance de la Commission.
Humana, secte répertoriée dans le rapport de la précédente Commission d’enquête, est connue en France pour avoir organisé des collectes de vêtements dans des containers disposés, après autorisation, dans des lieux privés ou publics. Aujourd’hui dissoute, cette association appartenait à une organisation plus vaste, fédérée autour de Tvind, organisme danois ayant statut d’ONG. Créé en 1970 pour soutenir l’enfance défavorisée, Tvind a progressivement élargi son objet à la lutte contre la pauvreté au Danemark, puis à l’aide humanitaire internationale. Cette ONG dispose d’importants moyens financiers tirés du produit de la revente de ses collectes, de subventions provenant d’organisations internationales, et des activités des entreprises, parfois coopératives, placées sous son contrôle dans plusieurs régions du monde.
La Méditation transcendantale a, depuis plusieurs années, une activité internationale importante. Elle a participé à la fin des années 1980 à un programme de réhabilitation de prisons au Sénégal. En 1993, forte des liens étroits qu’elle entretient avec le président du Mozambique, M. Joachim Chissano, elle a lancé dans cet État une vaste opération baptisée " Paradis sur terre " qui, sous couvert d’une œuvre humanitaire visant à améliorer le niveau de vie, donnait à la société " Maharishi heaven on earth " le droit d’exploiter plusieurs millions d’hectares de terres. Après les déclarations du Président Chissano confirmant les termes de l’accord conclu avec la secte, le projet a été abandonné. Le Parti de la loi naturelle, organe politique de la Méditation transcendantale, installé, on l’a vu, dans plusieurs pays, a participé, en qualité d’ONG, au sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) organisé à Vienne en 1996.
Depuis sa création, la secte Sri Chinmoy est bien implantée aux Nations Unies. Au début des années 1970, l’association Sri Chinmoy Church Center crée un groupe à l’ONU. Elle est admise en 1975 comme ONG auprès de cette organisation internationale. La secte utilisera ce statut ainsi que le logo de l’ONU pour organiser des manifestations spectaculaires, comme une marche de la paix en 1983, un concert de la paix en 1984 ou, en 1987 et 1989, une course de la paix. Cette dernière, dans sa version de 1989, comprenait une phase qui avait lieu en France et pour laquelle la secte se recommandait de l’UNESCO, du Ministère de la Jeunesse et des Sports et de la Mission du bicentenaire de la Révolution française. Les soutiens officiels français lui ont cependant été retirés.
L’Eglise internationale du Christ entretient des liens avec une ONG américaine, Hope World Wide, qui bénéficie d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU. La branche française de la secte verse une participation à l’ONG qui, représentée en France par l’association " Hope France ", a pour objet de créer et d’assurer le fonctionnement de toute œuvre à caractère social, charitable ou de bienfaisance.
La Brahma Kumaris World Spiritual University, organisation spirituelle de la secte du même nom, a obtenu en 1983, en sa qualité d’ONG, le statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU, puis en 1987 auprès de l’UNICEF. Elle est également associée au Département de l’information publique des Nations Unies. Elle a, en 1986, lancé " l’appel pour le million de minutes de paix " destiné à bâtir " un édifice de paix par sa propre paix intérieure et son implication personnelle ". En 1988, elle a également participé à un projet de " coopération globale pour un meilleur monde ".
La Soka Gakkaï Internationale est également une ONG avec statut consultatif auprès du Conseil économique et social et du Département de l’information publique des Nations Unies. Son président, M. Daisaku Ikeda, a reçu en 1983 la médaille de la paix décernée par l’ONU. Comme Sri Chinmoy, la Soka Gakkaï a utilisé son statut d’ONG pour tenter de participer, sous le patronage de la Mission créée à cet effet, aux célébrations du bicentenaire de la Révolution française.
Enfin, la Fédération des femmes pour la paix mondiale, émanation de la secte Moon, se présente comme une des branches de l’ONG " Women’s Federation for World Peace International ". Cette dernière fait état d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU et de son affiliation au Département de l’information de la même organisation.
2.– La convention européenne du 24 avril 1986
Si les organisations internationales non gouvernementales (OING) disposent d’un statut dans plusieurs institutions internationales, leurs relations avec les Etats n’étaient jusqu’à une époque récente régies par aucun texte. Ce vide juridique a été comblé au sein du Conseil de l’Europe par l’adoption, le 24 avril 1986, de la convention européenne sur la reconnaissance juridique des OING. Entrée en vigueur le 1er janvier 1991, cette convention s’appliquait, en novembre 1998, à l’Autriche, la Belgique, la Grèce, le Portugal, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suisse. La France a signé cette convention le 4 juillet 1996, et la loi autorisant sa ratification a été promulguée le 18 décembre 1998.
Cette convention a été interprétée par certains comme propice au développement des activités des sectes en France : elle donnerait en effet la possibilité aux sectes qui, dans un pays signataire de la convention, bénéficient d’une capacité juridique plus large qu’en droit français, d’utiliser leur statut d’OING pour bénéficier automatiquement en France de la même capacité.
Cette convention a fait l’objet, de la part du Gouvernement français, d’une déclaration interprétative qui vient préciser à la fois son champ d’application et ses effets juridiques. Certains craignent qu’une telle déclaration dont, au demeurant, la portée juridique pose problème, ne suffise pas à décourager l’installation de sectes en France. Elle offre en effet à ces dernières, lorsqu’elles sont constituées en OING, une capacité juridique élargie, et d’autant plus inquiétante que son champ d’application est défini de manière extensive. En outre, les possibilités laissées aux Etats signataires pour refuser l’application de la convention ou pour en restreindre les effets sont particulièrement minces et difficiles à mettre en œuvre dans le cas des sectes.
a) Un élargissement de la capacité juridique des OING
Le premier alinéa de l’article 2 de la convention prévoit que France devra reconnaître la personnalité et la capacité juridiques qu’une OING, installée sur le territoire français, aura acquises dans le pays où elle a son siège. Dans le deuxième point de sa déclaration interprétative, le Gouvernement français considère que cette disposition n’a " aucune autre conséquence que celles relatives à la reconnaissance de la personnalité juridique et de la capacité qui en découle en droit français ".
Bien qu’on puisse regretter son manque de clarté, la déclaration interprétative semble interdire qu’une OING puisse revendiquer en France des droits supérieurs à ceux auxquels le simple statut d’association déclarée lui donne accès. En particulier, plusieurs experts comprennent la convention comme ne donnant pas droit à la capacité juridique normalement réservée aux associations reconnues d’utilité publique, aux associations cultuelles et aux associations de bienfaisance, et notamment à la possibilité de bénéficier de libéralités. De même, le Gouvernement français semble interpréter la convention comme n’ayant aucune incidence fiscale.
La Commission tient cependant à souligner l’importance des difficultés juridiques créées par cette convention. Au moment où plusieurs pays du Conseil de l’Europe s’apprêtent à adopter, vis-à-vis du phénomène sectaire, une attitude contraire à la position française, elle voit dans ce texte une initiative pour le moins malheureuse dont on n’a pas préalablement mesuré l’ampleur des conséquences, au risque d’ouvrir la voie à des débordements préjudiciables aux travaux engagés depuis quelques années pour lutter contre l’influence des sectes.
Elle rappelle notamment que le Danemark, membre du Conseil de l’Europe, envisage de reconnaître la Scientologie comme une église officielle, et a constitué à cet effet une commission chargée de déposer un rapport qui servira de base à la décision du ministre des cultes. Une telle reconnaissance aurait des effets juridiques directs au Danemark, puisqu’elle conférerait à la Scientologie des avantages, notamment fiscaux, importants. On voit mal comment, dans l’avenir, la secte n’utiliserait pas la décision danoise pour exiger, notamment en se constituant ONG et en se fondant sur la convention de 1986, le bénéfice des mêmes avantages dans le reste de l’Europe. Si les effets juridiques qu’une reconnaissance par le Danemark pourrait avoir en France prêtent à discussion, tout le monde s’accorde pour reconnaître que son aspect symbolique aurait des incidences au-delà des frontières de cet Etat. Une telle reconnaissance officielle ne pourrait en effet qu’être interprétée comme une forme de légitimation de la secte.
b) Un champ d’application défini de manière extensive
L’article 1er de la convention fixe quatre conditions pour qu’une OING puisse demander l’application des dispositions de ce texte, et le premier point de la déclaration interprétative explicite la manière dont la France entend appliquer ces conditions.
Peuvent ainsi bénéficier de la convention les OING qui ont un but non lucratif d’utilité internationale, qui ont été créées par un acte relevant du droit interne d’une partie, qui exercent une activité effective dans au moins deux Etats et qui ont leur siège statutaire sur le territoire d’une partie et leur siège réel sur le même territoire ou celui d’une autre partie.
Le bénéfice de la convention est en fait soumis à l’appréciation du " but non lucratif d’utilité internationale " et à l’existence d’une activité effective dans au moins deux Etats, les autres conditions étant formelles. Or, dans sa déclaration interprétative, le Gouvernement a considéré que toute OING bénéficiant d’un statut consultatif ou d’observateur sera présumée remplir ces deux critères. L’ensemble des ONG sectaires mentionnées plus haut pourront donc bénéficier de la convention.
c) Des possibilités de restriction limitées et difficiles à mettre en œuvre
Le deuxième alinéa de l’article 2 de la convention prévoit la possibilité, par un pays d’accueil, d’opposer des " restrictions, limitations ou procédures spéciales " à l’exercice des droits dont l’OING bénéficie dans le pays où elle a son siège et dont elle demande l’application. Ces dispositions doivent cependant être dictées par un " intérêt public essentiel ". De même, l’article 4 fixe, de manière limitative, les " motifs d’intérêt général " qui peuvent justifier d’écarter une OING de l’application de la convention. Ainsi, un Etat ne pourra invoquer que les faits suivants : atteinte " à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection des droits et libertés d’autrui ", ou mise en cause des " relations avec un autre Etat ou (du) maintien de la paix et de la sécurité internationales ".
Sans se prononcer sur la portée juridique exacte de ces dispositions, la Commission souligne combien leur application sera délicate à mettre en œuvre. Elles se combinent difficilement avec l’article 9 de la convention qui prévoit qu’aucune réserve ne sera admise à l’application du texte et, en tout état de cause, elles donneront lieu à un important contentieux dont l’issue, compte tenu de la position adoptée par les juridictions internationales sur le phénomène sectaire, est pour le moins incertaine.
La Commission considère donc que la convention européenne du 24 avril 1986 ouvre la voie à une reconnaissance officielle, en droit et en fait, des mouvements sectaires internationaux. La déclaration interprétative du Gouvernement français fera en toute hypothèse l’objet d’un abondant contentieux, et permettra aux organisations concernées de faire figure de victimes auprès de l’opinion publique. Dans de telles conditions, il est indispensable que le Gouvernement lance, au sein du Conseil de l’Europe, une campagne de sensibilisation sur les dangers de cette convention.
deuxième partie : l’influence des sectes :
un indéniable poids économique et financier
Si l’on voulait retracer à grands traits l’histoire du mouvement sectaire, aussi bien en France qu’au plan international, il est indéniable que le caractère prédominant de l’évolution qu’il faudrait mettre en avant est celui de l’importance grandissante de l’argent, jusqu’à ce qu’un phénomène, d’abord identifié par sa dangerosité psychologique à l’égard de l’individu, le soit autant aujourd’hui par son poids économique et financier.
Les mouvements sectaires ont maintenant acquis une influence économique inquiétante et disposent d’un poids financier jusqu’ici encore insoupçonné.
I.— une influence économique inquiétante
Après avoir dressé le panorama des activités économiques des sectes, on examinera successivement quelques-uns des points d’application principaux que sont devenus les secteurs de l’éducation, de la santé et de la formation professionnelle.
A.— panorama des activités économiques des sectes
Dans la mouvance de la soixantaine d’organisations sectaires qu’elle a plus particulièrement examinées, la Commission a pu dénombrer près de 400 structures ayant une activité économique. La plupart sont des organismes contrôlés en droit ou en fait par la secte, les autres étant des structures économiques dans lesquelles un ou plusieurs adeptes occupent une position stratégique, comme gérant, directeur ou cadres dirigeants.
Ce panorama, présenté par secte en annexe, n’est qu’une illustration de l’influence économique des sectes : outre le fait qu’il ne porte que sur un nombre limité de mouvements, il ne regroupe que les informations, par définition non exhaustives, que la Commission a pu recueillir dans les délais qui lui étaient impartis.
En revanche, il permet de mettre à jour la stratégie économique des sectes. Il est clair en effet que leurs activités, quoique diversifiées, se déploient plus spécialement dans quelques secteurs de prédilection, visent la pénétration des entreprises et s’appuient sur l’exploitation habile des techniques commerciales.
1.– Les secteurs de prédilection
Le premier domaine d’activité des structures économiques sectaires réside dans le secteur du commerce et de la distribution, plus précisément dans la vente de produits alimentaires et diététiques, la vente de programmes aux entreprises (notamment publicitaires, comptables, de gestion et d’aide à la productivité), le commerce de produits agricoles, et la vente d’objets culturels et d’objets d’art et d’artisanat plus ou moins assimilables.
Elles sont également très présentes dans le secteur de la formation professionnelle et du conseil aux entreprises, le plus souvent dans les domaines des ressources humaines, de la stratégie générale et de la communication institutionnelle. Dans ce secteur, les mouvements sectaires peuvent en effet espérer créer des liens avec des dirigeants d’entreprise ou des cadres supérieurs et faciliter, par cet accès, une politique d’embauche ou de prise de pouvoir de leurs membres à des postes clés.
Les sectes s’intéressent à un troisième secteur : le développement personnel et les loisirs, généralement sous forme de cours et de conférences, de stages et de séminaires. On les retrouve également dans l’éducation et l’accueil des enfants, notamment sous la forme d’écoles privées couvrant les niveaux primaire et secondaire.
Certaines se sont spécialisées dans l’informatique, aussi bien au titre du conseil que de la vente et de la maintenance de matériels. Ce secteur présente des caractéristiques précieuses pour les mouvements sectaires. Le développement de logiciels permet de connaître des informations vitales sur des sociétés clientes et de constituer des banques de données sur les personnes, les marchés, les techniques commerciales et financières.
Enfin, d’autres sectes ont investi les domaines pharmaceutique et médico-social, le plus souvent en liaison avec la mouvance guérisseuse. Leurs cibles privilégiées sont les soins aux toxicomanes, les formations aux médecines nouvelles et les séminaires de guérison. Elles contrôlent également des laboratoires qui fabriquent des produits médicamenteux parallèles, généralement présentés comme des compléments nutritionnels.
2.– La pénétration des entreprises
La recherche de l’argent par les sectes ne saurait se limiter aux fonds des seules personnes physiques. Le principal gisement de richesses réside bien évidemment dans les entreprises.
Aussi bien, les mouvements sectaires se sont-ils efforcés de les infiltrer car ils peuvent en attendre trois sortes d’avantages :
La question de l’infiltration d’entreprises par des mouvements sectaires n’était guère apparue avant le début de la décennie 1990 au cours de laquelle plusieurs affaires d’importance ont été mises à jour.
C’est principalement la Scientologie et ses nombreuses filiales qui ont investi le monde de l’entreprise et obtenu quelques réussites rapides et spectaculaires.
Ainsi, la société Dialogic, spécialisée en ingénierie informatique et dont les dirigeants étaient adeptes de la Scientologie, avait obtenu que lui soit confiée par le RAID, service de la Police Nationale, la fabrication d’un logiciel d’aide à la décision permettant de gérer les situations de crise en temps réel.
Ainsi, le groupe INFI, composé de 7 sociétés spécialisées dans les services informatiques, avait réussi à établir, semble-t-il, des contacts avec des organismes relevant du ministère de la Défense, tels que la Direction technique de l’armement terrestre et le Groupement industriel des armes terrestres. Il avait également proposé ses services à plusieurs entreprises travaillant pour la Défense nationale, comme les Avions Marcel-Dasssault-Breguet Aviation, l’Aérospatiale et la SODETEG, filiale de Thomson.
Ainsi, la société Transylvanie, spécialisée dans la création et le conseil publicitaires, avait-elle passé un contrat avec le ministère de la Défense pour concevoir la maquette de l’encyclopédie de l’Armée de Terre.
Un des exemples les plus significatifs de tentatives d’emprise de la Scientologie sur les entreprises fut la prise de contrôle de la SOGETRAM (Société générale de travaux maritimes) suivie de sa cession en 1998 après que sa direction eut provoqué un conflit social en voulant introduire dans sa gestion des méthodes tirées des enseignements de la Scientologie.
Plus préoccupantes encore sont les tentatives scientologues pour effectuer une percée à l’intérieur d’EDF. En raison de son chiffre d’affaires conséquent (200 milliards de francs), de sa concentration de matière grise, de l’extrême sensibilité de son domaine d’activité et de l’importance de son budget consacré aux prestations de consultants et de bureaux d’étude, l’entreprise nationale paraît susciter le plus grand intérêt de la secte. Les tentatives d’infiltration se sont opérées directement par la présence de plusieurs cadres supérieurs scientologues – dont un ingénieur qui était affecté à un poste stratégique dans le secteur nucléaire – et indirectement par la collaboration avec des sociétés de conseil relevant de la mouvance scientologue.
La Commission, ayant connaissance de ces faits, a été d’abord troublée de la lenteur avec laquelle a réagi la direction générale d’EDF qui a paru, dans un premier temps, sous-estimer le problème. On est même en droit de se demander si, sans l’intervention de responsables syndicaux qui ont servi à la fois de révélateur et d’aiguillon, les tentatives de pénétration scientologues ne seraient pas restées secrètes. Mais l’attitude de l’entreprise a changé récemment. Elle s’efforce, désormais, de traiter le problème dans sa réalité et a engagé, à cet effet, une refonte de toute sa politique de sécurité.
Agissant en éclaireur, la Scientologie n’a pas gardé le monopole des tentatives d’infiltration d’entreprises par des sectes.
Il faut également citer les exemples :
Dans un autre registre, la Commission a eu connaissance de tentatives de mainmise des Témoins de Jéhovah sur des PME, réalisées par cooptation. Certains salariés adeptes de la secte ont cherché à imposer progressivement, au sein de l’entreprise, leur conception de la société, procédant ainsi à " l’infiltration douceâtre " (selon l’expression évocatrice employée devant la Commission) d’une structure économique.
Les exemples qui viennent d’être évoqués ont joué un rôle de signal d’alarme qui a engagé la Commission à procéder à une étude plus systématique et plus en profondeur des techniques commerciales, habilement exploitées par les mouvements sectaires.
3.– Une exploitation habile des techniques commerciales
Les techniques commerciales utilisées par les mouvements sectaires sont en rapport étroit avec le type de clientèle qu’il s’agit de conquérir, c’est-à-dire, d’abord, de séduire, ensuite, de persuader.
C’est pourquoi les mouvements sectaires privilégient trois séries d’approche commerciale et d’organisation consécutive des réseaux de vente :
Ces méthodes, mises sous surveillance particulière de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en raison des dérives auxquelles elles peuvent prêter, favorisent effectivement ce qu’il est maintenant admis d’appeler, depuis que le ministère de l’Economie et des Finances a publié, le 16 octobre 1996, un livre blanc sur ce thème, " les arnaques de la consommation ", filière dans laquelle plusieurs mouvements sectaires se sont engouffrés avec une habileté indiscutable, de même qu’ils ont considérablement perfectionné les techniques de commercialisation de leur doctrine.
Méthode qui n’est certes pas l’apanage des sectes, elle est dans la nature même de leurs activités puisqu’elle permet d’établir instantanément un lien individuel et convivial entre, d’une part, l’organisation qui offre produits et services et promet des bienfaits en retour, et, d’autre part, la cible isolée dont la vulnérabilité déjà repérée se trouve encore accentuée par la mise en contact direct de l’offreur et du candidat demandeur.
Cette technique consiste en effet à fournir un bien ou un service non conforme à l’attente primaire du consommateur mais conforme à son attente secondaire, artificiellement créée et confirmée dans un engagement obtenu par ruse ou mensonge, selon un plan organisé, exploité de façon massive et répétitive. Le consentement de la cible résulte donc de méthodes échappant aux règles courantes du marché et qui sont propres à faire miroiter un gain matériel, financier ou psychologique.
Le démarchage personnalisé permet à des prosélytes qui ont été recrutés pour se livrer à des activités de vente à domicile de recruter à leur tour de nouveaux adeptes parmi les clients potentiels. Les mouvements sectaires les mieux organisés, notamment ceux qui commercialisent des produits pseudo-médicaux, ne pratiquent pas le porte à porte mais un démarchage à domicile sélectif, en fonction du niveau et du motif de vulnérabilité de la personne. Les femmes au foyer, les personnes seules, les jeunes chômeurs, sont particulièrement visés par cette méthode qui s’apparente souvent à l’abus de faiblesse : les colis sont laissés à la disposition du consommateur, qui se sent alors obligé de les payer ; en face de personnes âgées ou en état de fragilité, le vendeur, qui a été formé pour cela, utilise des moyens de vente " à la dure " – selon l’opportune expression ayant cours dans les préceptes de la Scientologie – comme celle consistant à faire durer l’entretien pendant plusieurs heures : la personne démarchée finit par payer pour pouvoir se reposer …
Mais le démarchage personnalisé, ou sélectif, est rarement utilisé en méthode isolée. Il est, le plus souvent, combiné avec des pratiques publicitaires qui l’accompagnent en amont : les publipostages, les petites annonces et les serveurs télématiques ou téléphoniques.
Ces techniques s’imbriquent les unes dans les autres : une petite annonce, insérée dans un journal gratuit ou un magazine de télévision – qui sont les supports privilégiés par les mouvements sectaires, en raison de la quasi absence de contrôle du contenu des publicités par les éditeurs – conduit au paiement, par exemple, d’une documentation thérapeutique ou de la communication des modalités d’un emploi proposé.
La personne qui a effectué un premier paiement, d’un montant généralement faible, mais ne débouchant sur aucun résultat concret, est ainsi entraînée dans un système où il lui sera demandé d’autres paiements, cette fois sans aucune intermédiation publicitaire. Les annonces auront d’ailleurs, du moins dans leur présentation initiale, disparu des supports. Le client est ainsi mis en contact direct avec l’organisation, qui va se montrer de plus en plus présente :
Plus la cible est choisie de façon sélective, plus le discours sectaire est introduit rapidement et plus l’arnaque porte sur une somme importante. Ce fut, par exemple, le cas de démarchages effectués par Prima Verba auprès de personnes isolées pour leur vendre du ginseng à des tarifs exorbitants : jusqu’à 37 fois supérieurs aux prix du marché.
Un autre exemple instructif est fourni par le mouvement Tradition, Famille et Propriété (TFP). Cette secte d’origine brésilienne créée par M.P.C. de Oliviera et proche de mouvements d’extrême-droite, s’est enrichie en organisant une vaste chaîne de publipostage qui dénote une parfaite maîtrise des techniques commerciales. Cette chaîne repose sur la constitution de fichiers des personnes les plus réceptives aux messages réactionnaires et intégristes du mouvement, comme les actions destinées à lutter contre la " dégradation morale et culturelle de la télévision " ou l’utilisation du préservatif. L’opération consiste à rassembler un fichier d’adresses, cibler les envois sur les personnes qui ont déjà donné dans le passé et sont donc les plus susceptibles de donner à nouveau, multiplier les associations utilisant le même fichier pour accroître les possibilités de gains, enfin sélectionner les candidats aptes à devenir des donateurs mensuels de chaque association.
Cette chaîne a vocation à multiplier géométriquement le produit des dons. Pour la réaliser, la branche française de la secte s’appuie sur trois structures : deux associations (Tradition Famille Propriété et Avenir de la culture) et un groupement d’intérêt économique (L’européenne des médias) regroupés en réseau.
De son côté, la Scientologie considère ses adeptes à la fois comme des clients et comme des agents commerciaux. Elle se veut une excellente école de marketing et subordonne à celui-ci toutes ses activités, estimant que " dans toute organisation ou unité de gestion, la ligne la plus attaquée et la plus surpressée est celle de la promotion et du marketing ".
C’est pourquoi elle effectue, ou fait effectuer par des bureaux spécialisés, des études de marché très poussées permettant de définir la nature exacte des demandes sociales à satisfaire et de déterminer les " boutons-clés " qui peuvent transformer n’importe quelle personne en client potentiel. Quel que soit son besoin, la Scientologie veut être en mesure de lui proposer une réponse à la fois religieuse et personnalisée, satisfaisant toujours ou faisant naître un désir de type narcissique.
La secte créée par Ron Hubbard vend ainsi ses marchandises et ses services comme des substituts d’un fantasme de puissance, suffisamment standardisés pour trouver un marché substantiel mais suffisamment souples pour donner lieu à des applications individuelles. Des plans de marketing sont élaborés pour que les produits ne se concurrencent pas entre eux et pour que le corps de la doctrine ne soit pas livré en bloc, car le rendement économique en serait beaucoup trop faible. Un marketing très différencié permet, au contraire, de commercialiser une multitude de formules de résolution de questions personnelles, qui vont des difficultés familiales aux problèmes d’argent ou d’emploi.
Ainsi, Ron Hubbard a créé une véritable religion commerciale : la secte américaine commercialise en effet le cœur de son activité dite religieuse puisqu’elle vend l’accès au " pont ", c’est-à-dire ce qui est essentiel à ses yeux.
La franchise est une technique commerciale déjà ancienne, importée, il y a une quarantaine d’années, des Etats-Unis. Le système consiste pour une entreprise qui souhaite procéder à une vaste expansion territoriale sans avoir à supporter les coûts d’installation et de gestion de nombreux établissements extérieurs, à autoriser des entreprises ou des particuliers à utiliser son nom et l’ensemble de sa signalétique pour vendre des produits sur lesquels elle conserve un certain contrôle.
Le franchisé bénéficie de la notoriété et du savoir-faire du franchiseur, en contrepartie de quoi il lui verse une redevance déterminée en proportion du volume des ventes ou du chiffre d’affaires réalisé.
Le système de la franchise s’est d’abord développé dans les secteurs de l’habillement et de l’alimentation. Il s’est ensuite étendu à un grand nombre de secteurs économiques et, depuis quelques années, aux activités de formation, de conseil et de recrutement.
Plusieurs organisations sectaires recourent à ce système et vendent à leurs adeptes des licences leur permettant d’exploiter les méthodes du mouvement, dans le cadre de stages et de séminaires, contre des royalties représentant de 5 à 25 % du prix du stage.
C’est à travers un dispositif de franchise que la Scientologie est présente dans une centaine de pays. Selon un article paru en décembre 1995, dans Scientology News, ce système aurait permis à plus de 55 000 entreprises dans le monde de bénéficier des méthodes de gestion préconisées par Ron Hubbard.
Le réseau d’entreprises franchisées par la Scientologie s’affiche clairement, dans le cadre de la fondation WISE (World Institute of Scientology Enterprises) créée en 1979. Cet organisme se présente comme une association de personnes utilisant et propageant la technologie et les méthodes de gestion administrative de Ron Hubbard.
WISE octroie deux types de licences aux entreprises :
Compte tenu de l’importance prise par le réseau, WISE a mis en place des comités d’arbitrage pour trancher d’éventuels litiges entre ses membres. Plus d’une centaine d’entreprises en France relèveraient de l’un des deux systèmes de franchise de la Scientologie.
La méthode de développement personnel Avatar fonctionne elle aussi sur le système de la franchise, en incorporant de surcroît une dose de vente pyramidale. Ainsi, un " master " formé à la méthode, délivre des cours, dont il rétrocède entre 30 et 40 % à la société Star’s Edge International, qui conserve une partie de la redevance et verse l’autre partie à la cascade des parrains du " master ".
La Commission a relevé un système comparable notamment pour Landmark Education International et pour la méthode Silva.
Toutefois les adeptes franchisés ne font généralement pas état de l’identité de leur franchiseur, du moins dans un premier temps. Ainsi, dans le conflit qui opposa la société SOFIAC à l’organisme de formation DIACE Conseil, aucun document commercial ne mentionnait le rattachement à la Scientologie. Celui-ci a été découvert par une lettre de l’organisme de formation qui faisait référence à l’" ARC " scientologue (affinité, réalité et communication, soit les trois composantes de la compréhension selon Ron Hubbard).
L’usage détourné du mécanisme de la franchise permet ainsi à des organisations sectaires d’étendre de nombreuses ramifications sans être repérées, non seulement par le client final, mais parfois aussi par le franchisé lui-même qui a cru, de bonne foi, acquérir une méthode intéressante.
La vente pyramidale est un système selon lequel plusieurs niveaux de vendeurs, du " parrain " à différents degrés de " filleuls " – les filleuls de chaque degré étant les parrains du degré inférieur – bénéficient d’un intéressement à progression géométrique.
Importée elle aussi des Etats-Unis, mais à une époque plus récente, cette méthode aboutit inévitablement à sa propre saturation puisqu’elle ne peut être alimentée que par le recrutement et les mises de fond d’un nombre toujours croissant de vendeurs du premier degré, pendant que les niveaux de parrains successifs ne correspondent plus à d’autre activité professionnelle que celle consistant à encaisser les dividendes prélevés sur l’activité des niveaux inférieurs.
Dans la pratique, le système cesse de fonctionner lorsque la progression géométrique du nombre de nouveaux vendeurs n’est plus quantitativement possible et que corrélativement un ou plusieurs niveaux de parrains ont encaissé le maximum de dividendes.
La vente à la boule de neige repose sur le même principe à la différence près que sa démultiplication est plus rapide et, surtout, s’exerce sur une zone beaucoup plus restreinte.
Ces techniques avaient été introduites en France il y a une dizaine d’années sous forme de jeu d’argent, avec le succès rapide et éphémère dans certains milieux " branchés " du mécanisme de " l’avion ". Quelques personnes se réunissaient dans une soirée et devaient remettre chacune une somme d’argent, plus ou moins importante selon les cercles, à l’une d’elles, désignée comme pilote. Après avoir empoché la totalité des fonds collectés, le pilote pouvait soit se retirer de l’avion, soit devenir, ou redevenir passager. Un copilote devenait pilote à son tour et encaissait l’argent d’un deuxième versement collectif. Bien évidemment, la mécanique s’arrêtait assez vite de fonctionner en raison de l’impossibilité d’attirer un nombre de passagers suffisant après quelques " décollages ". Les premiers sortaient largement gagnants du jeu alors que les suivants avaient dépensé, en pure perte, des sommes qui pouvaient être considérables.
Le système de vente pyramidale est prohibé en France, par l’article L. 122-6 du code de la consommation qui interdit de proposer des gains financiers en fonction d’une progression géométrique du nombre de personnes recrutées.
Cette interdiction ayant été détournée par l’existence de certaines formes déguisées, l’article 13 de la loi du 1er février 1995 a introduit deux dispositions supplémentaires :
En d’autres termes, cette disposition prohibe toute source de profit fondée exclusivement sur la multiplication des adhérents.
Plusieurs cas de vente pyramidale ont été observés dans l’univers sectaire, dont les modes de fonctionnement, et notamment la pratique des " chaînes " de solidarité ou de propagation d’une doctrine, les manifestations de motivation et de récompense des adeptes dans un climat quasi-religieux, ne sont pas sans ressemblance avec cette technique commerciale qui exalte collectivement les performances des vendeurs.
Le plus marquant est celui de la société FAR (Fédération d’Agrément des Réseaux) qui a, en 1995, repris la force de vente du GEPM (Groupement européen des professionnels de marketing) en dépôt de bilan, lequel avait été auparavant verbalisé par une direction départementale de la consommation pour vente à la boule de neige, et constituait une organisation sectaire notoire. Par ailleurs, l’administration s’est penchée sur l’implication du GEPM dans des approvisionnements litigieux en provenance du Maroc et une fausse déclaration de valeur sur des exportations, enquêtes qui ont été classées sans suite après la mise en liquidation judiciaire du groupement.
L’attention de la Commission a également été appelée sur les activités de la société Herbalife, condamnée en 1994 pour vente à la boule de neige de produits substitutifs de repas. Cette société sur laquelle la précédente commission d’enquête s’était interrogée pratique une valorisation très poussée de son dirigeant et le système d’encouragement et de promotion des meilleurs vendeurs.
De même, il semble que la secte Raël ait été impliquée dans des ventes pyramidales par l’intermédiaire d’une SARL, NSA-France, spécialisée dans la vente par démarchage et à domicile.
d) Les techniques de commercialisation des doctrines
On connaît assez bien les techniques traditionnelles, inaugurées et développées par les Témoins de Jéhovah et faisant principalement appel au démarchage à domicile. Les adeptes de ce mouvement ont, depuis longtemps, l’obligation d’effectuer un minimum d’heures de démarchage, par semaine ou par mois, et de placer, dans ce cadre, un maximum de publications exposant et commentant leur doctrine. Cette obligation s’accompagne, pour en garantir l’efficacité, d’une obligation de compte rendu d’activité et de résultat. L’encadrement des adeptes en vue de les former à cette tâche, de les rappeler régulièrement à leurs devoirs et de les motiver pour obtenir des résultats encore supérieurs, est assuré au niveau central, à Louviers, par des sessions de formation régulières de prédicateurs ensuite missionnés sur le terrain.
Pour encadrer ses adeptes, la secte jéhoviste est indéniablement aidée par le caractère élitiste de sa doctrine. Leur zèle est très certainement attisé par cette conception du statut selon laquelle seuls les adeptes les plus méritants peuvent prétendre à être comptés parmi le très petit nombre d’Élus le jour du jugement dernier.
Mais la technique des Témoins de Jéhovah a été dépassée, dans sa sophistication, par des méthodes beaucoup plus élaborées mises au point par des mouvements plus récents.
Ces méthodes peuvent être classées en 4 catégories, que l’on illustrera, chaque fois, de l’exemple le plus significatif : la technique de " l’offrande participative " (Mahikari), celle de " la chaîne des tarifs d’excellence " (la Scientologie), celle de " la modélisation de la réussite du gourou " (Prima Verba), celle enfin de " la fraternisation financière " (l’Anthroposophie).
· La technique de " l’offrande participative "
Cette technique consiste à sophistiquer à l’extrême le discours sur l’argent sollicité des adeptes et à complexifier au maximum la qualification de leurs contributions.
Les membres de la secte font des offrandes dans lesquelles ils sont invités à participer à la réalisation de l’objet de chacune d’elles.
Les discours des " Doshi " (missionnaires de Mahikari) expliquent ainsi que " chaque situation de la vie correspond à une offrande : quand on est heureux, malheureux, reconnaissant… plus on fait d’offrandes, plus on compense ses impuretés par du travail au centre pour les autres, pour Dieu, pour ses ancêtres, plus on évite des problèmes à l’avenir ".
Les offrandes se divisent en deux grandes catégories : les horizontales qui servent à financer le fonctionnement des centres et les verticales, elles-mêmes divisées en :
· La technique de " la chaîne des tarifs d’excellence "
Cette technique, qui repose sur un conditionnement intensif des adeptes, consiste à monnayer stages et formations visant à leur développement personnel, de façon à la fois :
En fin de compte, l’adepte ne connaît sa dépense totale qu’au terme de sa traversée du " Pont ". En outre, cette traversée peut toujours être repoussée à une étape ultérieure. Le niveau suprême en Scientologie est aujourd’hui le niveau " OT VIII ", mais des niveaux supplémentaires seraient en préparation.
Dans la Scientologie, les recruteurs sont d’autant plus invités à solliciter le " client " qu’a été mis en place un système de mesure statistique de leurs résultats.
Ron Hubbard expliquait ainsi qu’il s’agissait " d’avoir une production toujours à la hausse ; celui dont les statistiques sont en hausse a pour ainsi dire tous les droits, tandis que celui dont les statistiques sont à la baisse doit être surveillé de près ".
· La technique de la modélisation de la réussite du gourou
Cette technique, qui est la plus simpliste de toutes, n’est pas la moins efficace pour attirer l’argent des adeptes. Elle consiste à afficher de façon la plus spectaculaire et la plus illustrée possible la richesse du gourou, mais également de ses proches, en expliquant aux adeptes qu’ils peuvent emprunter la même voie et connaître la même réussite en investissant d’abord dans le suivi de ses cours et de ses stages, dans la lecture de ses ouvrages et le visionnage ou l’audition de ses cassettes.
Ce procédé s’accompagne généralement de séances collectives où le gourou, au moyen d’une mise en scène faisant appel à la magie, montre son pouvoir aux adeptes et les motive par des discours enflammés, combinant l’exaltation et les humiliations. Il fait étalage de ses signes extérieurs de richesse, cultivant à la fois envie et frustration de ses adeptes.
· La technique de " la fraternisation financière "
Cette technique consiste à convaincre les adeptes de placer leur argent dans un organisme spécialisé dans l’octroi des prêts à des projets ou pour des secours qui ne trouveraient pas leur financement dans le circuit bancaire normal.
Ainsi, il est promis à l’adepte, en situation de déposant, des taux d’intérêt supérieurs à ceux du marché et à l’adepte en situation d’emprunteur des concours qu’il ne pourrait obtenir autrement.
Naturellement, dans l’univers sectaire, le procédé s’intègre dans un discours qui se veut chaleureux et englobant, comme en témoignent les documents de présentation de la " Nouvelle Economie Fraternelle ", société financière de l’Anthroposophie : " L’association a été créée par des pédagogues, des agriculteurs, des médecins, des artistes, des responsables d’entreprise qui ont voulu expérimenter entre eux et entre leurs institutions des formes nouvelles d’entraide financière et économique au-delà des frontières du mutualisme catégoriel… Avec l’argent provenant des dons qu’elle s’efforce de recueillir (cotisations et dons au fonds de solidarité), elle intervient pour aider et conseiller des initiatives qui peuvent ne relever ni du concours bancaire ni de prestations facturées ".
Fin 1994, le capital de la NEF s’élevait à 9.300.000 francs, son encours d’épargne était de 13 millions de francs pour les comptes à terme et de 10 millions de francs pour les livrets.
Cette dernière technique nous montre que certaines sectes dépassent les modes de fonctionnement traditionnels du phénomène : elle se situe bien plus dans le champ des institutions financières et des entreprises que dans celui des associations à prétention cultuelle.
Les sectes sont, en outre, sorties de leur cadre pseudo-religieux pour investir les secteurs économiques à leur portée : l’éducation, la santé et la formation professionnelle.
Il est dans la nature même des mouvements sectaires d’essayer d’intervenir dans le domaine éducatif puisque celui-ci offre au prosélytisme des possibilités d’expansion considérables.
L’embrigadement des enfants avait déjà été relevé par la précédente commission d’enquête, qui avait répertorié 28 organisations caractérisées par cette pratique.
Le phénomène paraît s’être encore accentué : il ressort des informations recueillies par la Commission qu’une soixantaine de mouvements sectaires interviennent auprès des enfants sous des formes multiples. On peut estimer aujourd’hui qu’environ 50.000 enfants subissent, à des titres et à des degrés divers, une influence sectaire, que 500 mineurs environ vivent dans des communautés fermées et qu’à peu près 6.000 enfants sont astreints à une scolarité hors normes.
Ainsi, plusieurs mouvements sectaires refusent la scolarisation des enfants et dispensent leur propre éducation, complétée parfois de cours par correspondance. C’est notamment le cas de La Famille (anciennement Les Enfants de Dieu), de la Fédération française pour la conscience de Krishna, de La Ferme (anciennement Tabitha’s place), d’Horus et d’Ogyen Kunzang Chöling.
D’autres organisations s’efforcent d’infiltrer le monde de l’enfance par la formule des stages et des séminaires dans le domaine des loisirs mais aussi du soutien scolaire et du développement culturel. Il en va notamment ainsi d’Anthropos (stages " d’activation mentale "), de la méthode Silva (séminaires d’amélioration des performances scolaires), d’Invitation à la vie (pélerinages et activités artistiques pour enfants), du Mouvement du Graal (séminaires sur le thème de la sexualité et du spiritisme), de l’Office culturel de Cluny (nombreux séminaires et enseignements dans le domaine artistique) et de la Méditation transcendantale (qui a créé une structure pour " enfants-méditants " et propose des cours afin de " mieux connaître son intérieur ").
Dans la plupart des cas, le prosélytisme à destination des enfants et l’embrigadement précoce des futurs adeptes ne se traduisent pas de façon notable sur le plan économique et financier. C’est pourquoi la Commission n’a pas souhaité développer ce sujet à la hauteur de ce qu’il mériterait, compte tenu de la gravité des menaces et des atteintes, psychiques et physiques, que la mouvance sectaire fait subir aux mineurs. Elle tient toutefois à signaler son importance et à appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité de prolonger l’examen de la question, auquel a procédé, en décembre 1998, le ministère de l'Intérieur, par la définition d’une politique adaptée à la protection de l’enfance.
L’entrée des sectes dans l’éducation se fait selon trois voies principales :
Par ailleurs, le recrutement des assistantes maternelles peut poser problème.
Sans que l’on puisse disposer de statistiques précises, il semble, selon les études menées par l’Inspection générale de l’Éducation nationale, que les personnels enseignants, ainsi que les médecins scolaires, sont particulièrement visés par les mouvements sectaires. Leur recrutement permet en effet de démultiplier rapidement, par les relations avec leurs élèves, les actions de prosélytisme.
Le recrutement des enseignants fait coexister deux méthodes : l’approche collective, par les séminaires de formation professionnelle, et l’approche individuelle par le pouvoir de séduction des adeptes.
Plusieurs cas récents et significatifs ont été portés à la connaissance de la Commission.
Particulièrement sensible aux arguments de la formation de la personnalité et de l’épanouissement individuel, un nombre important d’enseignants ont suivi, dans une période récente, les cours de Landmark. Un séminaire de formation y coûte 2.300 francs pour trois jours et rassemble entre 85 et 250 personnes.
Au titre des exemples individuels, on peut relever que l’actuel responsable du Mandarom est chercheur au CNRS.
La secte Siderella a cherché, à travers des jurys de concours, à recruter de nouveaux adeptes parmi les professeurs d’université.
Un des plus importants responsables de la Scientologie en France est professeur de classes préparatoires scientifiques dans un lycée parisien réputé. Des témoignages de parents d’élèves, vérifiés par l’Inspection de l’Éducation nationale, ont montré qu’il utilisait, dans ses cours, des documents de la Scientologie. Mais l’administration n’a pas souhaité intervenir avant la fin de l’année scolaire, afin de ne pas perturber les élèves préparant des concours d’accès aux grandes écoles.
L’utilisation d’enseignants-adeptes comme vecteurs des préceptes de L.R. Hubbard dans les établissements scolaires semble d’ailleurs être systématiquement recherchée par la Scientologie, qui avait notamment lancé, en 1997, une campagne nationale à cet effet, censée viser l’éradication de l’illettrisme.
2.– Les méthodes éducatives commercialisées
L’Éducation nationale est continuellement l’objet de sollicitations de la part de méthodes dites de pédagogie nouvelle, domaine particulièrement prolifique. À plusieurs reprises, des mouvements sectaires ont essayé de pénétrer par cette voie, au surplus lucrative, le monde de l’enseignement. En effet, l’enjeu financier peut être conséquent.
Ainsi, la méthode " Éthique de Vie, guide pratique de l’enseignant ", vendue un peu plus de 2.000 francs, introduisait directement aux doctrines de la secte Brahma Kumaris. Elle avait apposé, pour séduire des personnels et s’attirer la confiance de l’Éducation nationale, les références de l’UNICEF et de l’UNESCO. Alertée, l’UNICEF a fait interdire l’utilisation de son logo.
Une méthode " Clés pour l’Adolescence ", présentée en 1989 et 1990 avec le parrainage du Lion’s Club, avait été adoptée par plusieurs rectorats. Après enquête, il s’est avéré que cette méthode était inspirée des techniques scientologues. Elle a été interdite fin 1990.
Neuf ans plus tard, apparaissait une nouvelle méthode, extrêmement proche de la précédente, dénommée " Objectif grandir ", facturée 1.500 francs la mallette. Trois rectorats avaient commencé à négocier un achat groupé, pour un total d’environ 500.000 francs. Son introduction se faisait par l’intermédiaire de médecins scolaires qui eux-mêmes l’auraient connue par des médecins de l’action sanitaire et sociale. L’enquête de l’Éducation nationale a montré que le démarcheur était le même que pour la méthode précédente. Elle avait également fait l’objet de tentatives d’introduction en Suisse où elle avait suscité les mêmes réserves de la part des autorités publiques.
3.– Les établissements contrôlés
Trois mouvements sectaires importants, l’Anthroposophie, la Scientologie et le Mouvement raëlien, se sont attachés à créer ou à prendre le contrôle d’établissements d’enseignement privés hors contrat, du primaire et du secondaire. Là encore, au-delà du prosélytisme, les enjeux financiers ne sont pas à négliger.
On compte en France une trentaine d’écoles se réclamant de la pédagogie de Rudolf Steiner, fondateur et inspirateur de l’Anthroposophie qui se veut l’héritière de sa doctrine.
S’il est clair que toutes ces écoles ne revêtent pas un caractère sectaire, plusieurs mériteraient cependant une investigation approfondie. La Commission a, en effet, eu connaissance de dérives. Les méthodes pédagogiques particulières à certaines écoles ont été critiquées notamment par l’Inspection de l’Education nationale. Ainsi, les apprentissages du langage structuré, de l’écrit et du calcul ne seraient pas engagés avant l’âge de 7 ans. En outre, les enfants inadaptés à la méthode Steiner seraient soumis à des sévices et beaucoup ne seraient pas à jour de leurs vaccinations.
Alors que les tarifs de la scolarité affichés peuvent être considérés, pour certaines familles, abordables (entre 14.000 et 18.000 francs par an), l’Inspection de l’Education nationale a repéré des établissements où les tarifs pratiqués étaient si élevés que des parents d’élèves, afin de pouvoir les honorer, s’étaient trouvés contraints de travailler pour l’Anthroposophie.
La Scientologie compte également, parmi ses filiales, cinq écoles privées. Les plus remarquables d’entre elles sont l’École de l’Éveil et l’Ecole du Rythme.
L’histoire de l’Ecole de l’Eveil est particulièrement éclairante quant aux méthodes employées. Cette école s’était déclarée agréée par l’Éducation nationale et avait été condamnée le 12 novembre 1997 par le Tribunal correctionnel de Paris, avec un autre établissement de la Scientologie, l’Ecole du Mont-Louis, pour publicité mensongère sur plainte du ministère, ce qui avait entraîné sa fermeture. La Scientologie l’a ensuite transposée en rachetant l’Institut Aubert, une école privée déjà ancienne de Vincennes, tout à fait traditionnelle mais qui connaissait de graves difficultés financières. Alerté par l’Education nationale, le propriétaire a contesté, en mars dernier, la validité du bail, au motif qu’il avait été trompé sur l’identité et les activités de son locataire. Cette école est, depuis novembre 1998, sous le coup d’une plainte de parents d’élève pour " présentation mensongère des objectifs suivis et des méthodes pratiquées par cette institution et application de principes sectaires à l’enfant ".
L’Ecole du Rythme est une école de musique qui a été ouverte en 1981 pour appliquer les découvertes de Ron Hubbard dans " les domaines de l’art, de la communication et de l’enseignement ". Ses dirigeants ont été condamnés le 15 mai 1997 à indemniser plusieurs élèves qui s’étaient estimés trompés en ignorant que derrière l’école se cachait la Scientologie, malgré les dénégations des intéressés.
La Scientologie contrôle également neuf organismes de soutien ou de rattrapage scolaire, ainsi que quelques structures d’accueil et de loisirs pour enfants.
Le Mouvement raëlien dispose lui aussi d’une école privée, installée à Villebon-sur-Yvette dans l’Essonne et appelée Enixia, où l’on sélectionne les élites, en facturant 500 francs des tests de quotient intellectuel, et où l’on enseigne la doctrine de la secte, composée essentiellement de méditation sensuelle et d’hostilité à la démocratie. Les Raëliens préconisent également l’initiation à la sexualité dès le plus jeune âge.
L’école accueille des enfants dont le QI est supérieur à 130 et flatte leurs parents d’avoir engendré la future élite de la société, ce qui justifie, là encore, des tarifs élevés, de 2.200 francs par mois pour un élève de classe maternelle à 3.000 francs par mois pour un élève de classe élémentaire. L’enseignement va jusqu’à la sixième. Jusqu’à ce jour, des enquêtes diligentées par l’Éducation nationale n’ont pas permis de faire la preuve de pratiques illégales. Les nouvelles dispositions de la loi du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l’obligation scolaire devraient faciliter son action. À cet effet, le décret du 23 mars 1999 prévoit en son article 4 :
" L’enfant doit acquérir les principes, notions et connaissances qu’exige l’exercice de la citoyenneté, dans le respect des droits de la personne humaine définis dans le Préambule de la Constitution de la République française, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention internationale des droits de l’enfant, ce qui implique la formation du jugement par l’exercice de l’esprit critique et la pratique de l’argumentation ".
Le ministère de l’Éducation nationale estime qu’aujourd’hui, sur un total d’un peu plus de 1 000 établissements d’enseignement privés hors contrat, une cinquantaine environ pourrait abriter des pratiques ou des doctrines sectaires.
Les sectes ne sont pas non plus absentes de l’enseignement supérieur, même si leur pénétration y paraît, pour le moment, sensiblement plus limitée.
La Commission a été alertée par le fonctionnement de la Faculté privée des Sciences humaines de Paris. Plusieurs témoignages d’étudiants ont fait état de pratiques qui leur évoquaient les mouvements sectaires. On ne peut, bien sûr, se risquer à porter des accusations sans preuve. Il n’en demeure pas moins que l’absence de locaux fixes, le fait que les cours n’aient lieu que le week-end et que le droit d’entrée soit de 20.000 francs, mériteraient une investigation particulière.
La Commission a également eu connaissance d’universités privées, associations en sommeil depuis parfois des décennies, qui auraient été réactivées par certains mouvements sectaires. Des enquêtes étant en cours, il n’est pas possible, ici, d’exposer davantage les faits qui lui ont été communiqués.
4.– Les assistantes maternelles
La Commission a été informée du problème soulevé à plusieurs reprises et à différents endroits en France par des assistantes maternelles adeptes d’un mouvement sectaire, et notamment des Témoins de Jéhovah.
Aux termes des articles L. 773 du code du travail et L. 123-1 du code de la famille et de l’aide sociale, les assistantes maternelles doivent obtenir l’agrément du président du conseil général du département où elles résident, préalablement à l’exercice de leur profession.
La question a donc pu être soulevée du refus, ou du retrait, de l’agrément pour une assistante maternelle adepte d’un mouvement sectaire. L’agrément est, en effet, destiné à vérifier si les conditions d’accueil de l’enfant garantissent la santé, la sécurité et l’épanouissement de celui-ci.
Le Conseil d’Etat a posé comme principe que les décisions de refus ou de retrait d’agrément ne pouvaient être fondées sur l’appartenance de la personne à une association " dont la mission était la mise en œuvre de certaines méthodes d’éducation auprès d’enfants en difficultés ", mais qu’elles pouvaient être justifiées si le comportement de l’assistante maternelle était de nature à compromettre " la santé, la sécurité et l’épanouissement " des enfants (CE. Canavesio – 22 février 1995), ce qui a été notamment établi par le juge pour les refus de transfusion sanguine.
S’appuyant sur cette jurisprudence, le Tribunal administratif de Versailles a jugé, le 9 février 1997, qu’une personne agréée comme assistante maternelle, appartenant à la " religion " aumiste, et faisant preuve de prosélytisme, ne présentait pas " les conditions de neutralité suffisantes pour l’accueil et l’épanouissement des mineurs ".
En mars 1999, le Tribunal administratif de Lyon a jugé bien fondé le retrait de l’agrément d’une assistante maternelle membre des Témoins de Jéhovah qui s’appuyait sur la doctrine de sa secte pour refuser de fêter Noël et les anniversaires. Le tribunal a considéré que cette attitude était de nature à générer une carence psychologique et affective chez les enfants dont elle avait la garde.
La confirmation de cette jurisprudence devrait permettre aux autorités départementales de veiller avec soin à ce que l’agrément des assistantes maternelles devienne désormais un obstacle important aux tentatives d’infiltration des mouvements sectaires dans les mécanismes d’accueil de la petite enfance.
La présence de mouvements sectaires dans le domaine de la santé est un phénomène déjà ancien. En effet, les activités guérisseuses, les médecines parallèles se déploient souvent dans une atmosphère de mystère et d’ésotérisme qui présente bien des analogies avec celle des sectes. Un gourou est toujours plus ou moins guérisseur. Les personnes fragilisées par de gros problèmes de santé constituent assez naturellement une clientèle potentielle.
Sont en revanche relativement nouveaux et représentatifs de la poussée sectaire dans l’économie, d’une part l’infiltration du milieu médical, d’autre part le développement de la fabrication et de la vente de produits paramédicaux.
Ce secteur et l’influence économique que les sectes y ont acquises, représentent des enjeux financiers de taille. La santé est en effet devenue un marché en plein essor, notamment grâce à l’augmentation de l’espérance de vie.
Après avoir pris la mesure du phénomène, la Commission s’est attachée à rechercher les moyens de le combattre plus efficacement.
Le mouvement sectaire tend à parasiter l’offre de soins, en s’efforçant de pénétrer les réseaux de professionnels de la santé, avant tout des médecins, et en investissant les secteurs dont la clientèle est la plus vulnérable, comme celle des toxicomanes et des personnes atteintes de maladies graves et évolutives.
Selon l’Ordre national des médecins, environ 3 000 praticiens auraient aujourd’hui en France des relations avec un mouvement sectaire, mais ce chiffre doit être interprété avec prudence. Les liens entretenus sont en effet extrêmement divers, allant du sympathisant occasionnel à l’adepte fortement impliqué.
Comme le relève à juste titre le Conseil de l’Ordre : " dans le processus général de recrutement des adeptes, l’entrée d’un médecin dans une secte n’a rien de particulier : personnalités fragilisées, stressées, parfois déprimées, affectées par l’impuissance ressentie de leur pratique face à la misère et à la mort, en l’absence d’idéal… ".
Une partie, bien sûr minoritaire mais cependant significative de la population médicale, paraît aujourd’hui en proie à des doutes, où se mèlent difficultés économiques et financières et difficultés psychologiques qui ne sont pas sans rapport avec des drames tels que ceux de la drogue ou du Sida. Les médecins sont d’abord séduits par la qualité d’écoute et la chaleur humaine des membres des sectes.
Après une phase d’observation, suivie d’une phase de persuasion, le médecin peut devenir adepte et lui-même agent recruteur, vis-à-vis de son entourage, mais surtout vis-à-vis de ses patients et de ses confrères ou des membres d’autres professions de santé.
Les complicités entre pratiques sectaires et exercice médical sont le plus souvent camouflées. L’Ordre national distingue les médecins " consultants " à qui sont adressés des adeptes potentiels pour confirmation et prescription d’un traitement, ou plus fréquemment d’une " méthode " dispensée par un mouvement sectaire, et les médecins " sympathisants " qui cautionnent discrètement mais activement des pratiques sectaires.
La participation des médecins consiste en effet, pour l’essentiel, à prescrire ou à utiliser directement des produits " thérapeutiques " présentés sous une forme nécessairement différente des médicaments, qui seuls ont fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette prescription donnerait souvent lieu au versement de commissions aux médecins prescripteurs, pratique pourtant rigoureusement interdite par l’Ordre national.
L’intervention des sectes dans le domaine de la santé s’opère ainsi par deux voies distinctes mais qui, naturellement, peuvent être combinées :
L’un comme l’autre exigent, en amont, la présence d’une sorte d’industrie parallèle de soins pseudo-médicaux et de fabrication de produits. Cette industrie paraît connaître aujourd’hui des développements non négligeables.
b) Une industrie parallèle de soins
Au cours de ses investigations, la Commission a repéré plusieurs mouvements ayant une activité pseudo-médicale particulièrement importante et disposant notamment de structures filiales servant à commercialiser des produits ou des services.
Ces mouvements ne sont pas nécessairement à classer dans la rubrique des sectes guérisseuses pour deux raisons :
Parmi les organisations sectaires que la Commission a examinées plus particulièrement, certaines ont des activités médico-sociales et pseudo-pharmaceutiques particulièrement importantes. D’autres, jusqu’alors moins structurées dans le domaine de la santé, s’efforcent d’acquérir, par ce secteur, une clientèle plus large.
· Les groupes les plus marquants
Ä La Scientologie paraît s’être en partie spécialisée dans le traitement, l’accompagnement et la réinsertion des toxicomanes à travers ses centres Narconon.
Ces centres ont diffusé d’abondantes publicités auprès des médecins afin de promouvoir leurs actions de prévention et de réhabilitation des toxicomanes en utilisant les techniques préconisées par Ron Hubbard. L’association " Non à la drogue, oui à la vie " participe à cette démarche qui consiste essentiellement, après des phases de sevrage et d’élimination des " résidus ", dans des cours et études comprenant des étapes successives, comparables au processus du parcours initiatique de la Scientologie : étape 6, éthique ; étape 7, changement des conditions dans la vie ; étape 8, le chemin du bonheur.
Des infiltrations de structures de santé dans le domaine de la psychiatrie, notamment des institutions de soins, ont été tentées par la Commission des citoyens pour les droits de l’homme, autre émanation de la Scientologie. L’activisme de la secte dans ce domaine a justifié une mise en garde officielle de la part de la Direction générale de la Santé, par note du 27 mai 1997.
Les pratiques médicales de la Scientologie et le rôle joué par certains médecins au sein de cette organisation ont retenu l’attention de la justice. Le tribunal correctionnel de Besançon a établi, dans un jugement du 7 mai 1997, qu’un médecin scientologue, le docteur Joseph Hélou, avait organisé une vaste escroquerie aux dépens des adeptes de la secte. Ce délit a été confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Besançon en date du 7 janvier 1998 :
(…) " profitant des problèmes de santé rencontrés par certains de ses patients fragiles en raison de troubles psychologiques, Joseph Hélou, soit à son cabinet, soit lors de visites à domicile indiquait à ses malades que la médecine traditionnelle ou homéopathique n’était pas adaptée à leur cas et proposait de la guérir par la " Dianétique ", leur proposant des ouvrages sur cette doctrine et des stages payants organisés soit chez lui, soit à Paris, achats et prestations de services sur lesquels il percevait un pourcentage. ".
Les méthodes scientologues ont été particulièrement bien décrites par un autre attendu de cet arrêt :
" Joseph Hélou faisait naître des espoirs chimériques de guérison ou de bien être ce que les victimes ont qualifié de " nulle ", les auditions consistant notamment à écouter et faire parler le patient pendant une heure ou au contraire à garder le silence, alors qu’il percevait des fonds lors de la vente des livres, des " auditions " réalisées soit dans son cabinet soit à son domicile et des rétrocessions versées par la scientologie parisienne lors de stage suivi par l’un de ses clients ".
Le docteur Hélou a été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis, une amende de 150.000 francs et une interdiction de droits civiques, civils et de la famille pendant cinq ans. Il avait fait l’objet, en 1990, d’une interdiction temporaire d’exercice de la médecine pour trois ans, sanction prononcée par le Conseil de l’Ordre des médecins.
Par ailleurs, la Scientologie contrôle quelques activités de fabrication et de vente de " produits nutritionnels vitaminés ", notamment à travers le laboratoire " Philippe de Garrigues et Family – Créateurs d’enthousiasmes ".
L’attention de la Commission a été attirée sur une saisie en 1993 de nombreuses substances médicamenteuses prohibées, introduites en France depuis l’Andorre par un homme d’affaires appartenant aux milieux scientologues. Ce dernier avait auparavant procédé à la liquidation d’une société spécialisée dans l’importation de poudre d’algues, et détenait des intérêts dans une autre société diffusant des produits parapharmaceutiques, diététiques et d’hygiène.
Au demeurant, les produits paramédicaux jouent un rôle très important dans les cures de purification proposées par la Scientologie. Outre les cours de dianétique, ces dernières comprennent en effet l’administration de doses importantes de vitamines, entrecoupées de séances intensives de sauna. Le caractère néfaste de ces pratiques a été établi par l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon. M. Jean-Jacques Mazier, dirigeant de l’Eglise de Scientologie de cette ville, a en effet admis que Patrice Vic avait pris des vitamines dont, selon l’expertise réalisée au cours de l’instruction et dont les conclusions sont reprises par la Cour dans ses attendus, " la consommation à doses excessives, conjuguée avec les autres techniques utilisées en Scientologie, était de nature à favoriser l’apparition de troubles mentaux confusionnels ".
La place occupée par ces produits dans les cures a incité la Scientologie à tisser des liens avec certaines pharmacies. La Commission a notamment eu connaissance d’un bon de commande émanant d’une officine implantée dans l’Est de la France qui proposait l’achat de vitamines et d’autres préparations spécifiques pour parcourir certaines procédures d’audition, élaborées selon les directives de la Scientologie.
Ä Dianova, qui a succédé au Patriarche, continue d’entretenir des relations suivies avec le monde médical.
On sait que Le Patriarche gérait plusieurs maisons d’accueil pour toxicomanes et avait bénéficié, pendant plusieurs années, d’une reconnaissance officielle et de fonds publics. De nombreux médecins avaient adressé, en toute bonne foi, des malades dans ces établissements, avant que le caractère sectaire des activités de l’association soit avéré.
Les méthodes thérapeutiques du Patriarche et les conditions dans lesquelles il a acquis un important patrimoine ont été dénoncées par la Cour des Comptes qui lui a réservé plusieurs observations dans son rapport de juillet 1998 sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie. La Cour a notamment relevé d’importantes infractions à la réglementation. Elle a noté, en premier lieu, la présence anormale et excessive de personnels sans qualification reconnue chargés de dispenser des soins et de distribuer des médicaments, tâches que les textes réservent aux seuls infirmiers diplômés d’Etat et aux préparateurs en pharmacie. Par ailleurs, les conditions de prise en charge des personnes accueillies n’étaient pas conformes, elles non plus, à la réglementation, puisque la gratuité des soins et l’anonymat n’étaient pas respectés et que les deux centres situés en Haute-Garonne sur lesquels les magistrats financiers ont centré leurs contrôles n’étaient pas inscrits comme établissements médico-sociaux.
En succédant au Patriarche, Dianova a hérité d’un patrimoine immobilier important (d’une valeur totale estimée à près de 100 millions de francs). Elle gère deux centres de soins aux toxicomanes, généralement jeunes et à faibles revenus (la secte continuerait à s’approprier les allocations de RMI que touche une partie des pensionnaires) et des centres de soins aux malades du Sida, regroupés dans l’Association des droits et devoirs des positifs et porteurs du virus du sida (ADDEPOS). Une autre émanation de Dianova, La main tendue, aurait contacté des médecins très récemment.
Ä La mouvance Energo-Chromo-Kinèse (ECK)
Elle comporte deux branches depuis la séparation du gourou et de son épouse.
La première s’appuie sur un réseau d’une soixantaine de médecins, implantés sur l’ensemble du territoire français et pratiquant la méthode ECK. Ces médecins suivent une formation en cinq étapes (qui n’est pas sans rappeler le système de la Scientologie), chacune étant facturée entre 2.000 et 4.500 francs la session.
Les premiers stages restent à dominante pseudo-médicale. En revanche, au cour des stades ultérieurs du parcours, l’adepte est introduit dans les arcanes de l’Ordre templier où il apprend, entre autres initiations, à " voler en corps astral avec des extra-terrestres ". Par ailleurs, l’Energo-Chromo-Kinèse est propagée sous la forme d’une méthode de management auprès d’entreprises ou d’écoles.
Les médecins ECK prescrivent les oligo-éléments fabriqués par le laboratoire PHARAL, qui est directement contrôlé par la secte.
La deuxième branche issue d’ECK contrôle également un autre laboratoire de même nature : la société NEOM (Nutrition énergétique des organes et méridiens) qui vend aux médecins des collections de produits nutritionnels et énergétiques.
ECK comprend par ailleurs :
Ä le mouvement IVI (Invitation à la Vie) organise pour sa part des séminaires (facturés 3.000 francs le week-end) destinés principalement à des médecins, auxquels on inculque les techniques de séances vibratoires et d’harmonisation des énergies.
La secte a été fondée par Mme Yvonne Trubert qui prétend détenir un pouvoir de guérisseuse, et initie depuis plusieurs années à l’ésotérisme et à l’occultisme. Notamment, elle persuade ses patients que les métastases s’envoleront sous les doigts des adeptes initiés par ses soins. En 1994, un membre de la Faculté de médecine de Paris assurait la vice-présidence de l’association.
Un colloque, organisé à Séville en 1994 sous l’égide d’IVI sur le thème " L’Homme, la terre, la vie. L’harmonie retrouvée ? ", a réuni plusieurs dizaines d’intervenants issus de différentes régions du monde. Parmi les Français, on a pu relever la présence de plusieurs personnes qui se présentaient comme médecins (gynécologue-obstétricien, chirurgien-plasticien, homéopathe, pédiatre), chirurgiens-dentistes, ou exerçant une activité scientifique (" géobiologue ", biologiste). Un intervenant excipait de son titre de " Conseiller en éducation au Ministère de la Santé ".
Ä l’Instinctothérapie
Créé par M. Guy Claude Burger, ce mouvement guérisseur diffusé par différentes structures prône une méthode alimentaire spécifique : manger cru, végétalien et seulement ce dont on a envie. Cette secte a accueilli dans son centre de Montramé plusieurs personnes souffrant d’affections graves et notamment de la sclérose en plaques.
M. Burger a été condamné, par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 21 janvier 1997, à 3 mois de prison avec sursis pour escroquerie et exercice illégal de la médecine. Son recours en cassation a été rejeté le 30 avril 1998.
Ä les associations " Stop au Cancer " et AUBE, à laquelle a succédé " Joie de Vivre ", assurent la promotion des théories médicales du Dr Hamer, médecin autrichien, qui préconisait de soigner le cancer en rompant avec toutes les thérapies expérimentées jusqu’ici et notamment la chimiothérapie. Le Dr Hamer a été condamné, en Allemagne, en 1997, à un an et sept mois de prison ferme.
Créée en 1995, l’association AUBE comptait un adepte, chirurgien à l’hôpital de Saint-Quentin, qui arrêta, au sein même de cet hôpital, les traitements anti-cancéreux pour les remplacer par des " fleurs de Bach " (), produites par AUBE, et qu’il vendait à son profit, dans l’établissement.
Ce médecin avait parallèlement développé un réseau de psychothérapeutes sans aucun diplôme (l’un d’eux était responsable d’une entreprise de nettoyage) qui facturaient leurs consultations, elles-mêmes susceptibles de combattre le cancer, 600 francs et plus.
Le médecin a été suspendu d’activité par l’Ordre régional des médecins mais il reste, administrativement, personnel hospitalier, détaché auprès du ministère des Affaires étrangères et en poste dans un pays africain.
D’autres exemples de médecins adeptes de sectes ont été portés à la connaissance de la Commission. Ainsi, un ophtalmologiste, membre du Mouvement raëlien, était jusqu’en 1992 chef de service au centre hospitalier de Roanne. Il est en disponibilité depuis 1994.
· Des mouvements ayant des activités annexes dans le secteur de la santé
Ä l’Institut et le Centre de Recherche HUE (Human Universal Energy) prônent, depuis 1994, une médecine nouvelle fondée sur les thérapies par l’énergie humaine et organise des stages d’initiation à la guérison, y compris des maladies incurables, comprenant, ici encore, plusieurs niveaux avec des tarifs progressifs. Une dizaine d’associations en France appartiennent à ce mouvement. Le mouvement Spiritual Human Yoga France (SHY) qui lui a succédé comporte deux structures à vocation thérapeutique, l’une fabriquant des produits pharmaceutiques (le laboratoire SEPORGA) et l’autre dispensant des stages de médecine énergétique (SEVA 17 Energie).
L’importance des activités exercées dans les Hautes-Pyrénées par un réseau lié à HUE a récemment attiré l’attention de la justice. Par l’intermédiaire d’une association, le Centre de recherche sur l’énergie humaine (CREHU), créée à l’instigation de M. Luong Minh Dang, fondateur du mouvement, ce réseau a dispensé l’enseignement de l’énergie universelle et, par l’intermédiaire d’un médecin inscrit au Conseil de l’Ordre, prescrit les soins prônés par la secte, dont certains ont été pris en charge par la Sécurité sociale, le praticien ayant une fâcheuse tendance à confondre ses activités professionnelles avec son action de prosélytisme. Les adeptes du CREHU étaient bien souvent des personnes malades du Sida, du cancer ou de la sclérose en plaques.
Ä l’association " Au Cœur de la Communication " (ACC) prétend collaborer avec des chercheurs de haut niveau dans le domaine de la santé. Elle aussi guérit le cancer et le Sida, grâce à des séminaires où l’on apprend comment maîtriser sa vie et son corps, et à la commercialisation d’élixirs, comme le 714X vendu 1.000 francs la bouteille de 10 cc.
Ces séminaires rassemblent des malades et des professionnels de la santé.
ACC a par exemple organisé un stage de " psycho-neuro-immunologie " destiné notamment à des " médecins, thérapeutes et professionnels de la santé et de la relation d’aide ". Les enseignements étaient dispensés par Mme Claire Nuer, fondatrice du mouvement, qui se présentait comme thérapeute et par le docteur Carl Simonton, cancérologue, directeur médical du Simonton Cancer Center, en Californie. Créateur de la " méthode Simonton ", ce dernier prétend prendre en charge psychologiquement les malades du cancer. Ce stage avait pour objectif d’" apprendre à maîtriser la dimension psychologique et émotionnelle, dans les relations soignants/malades, parents/enfants, les rapports hiérarchiques, les études, le domaine familial et professionnel (…et) favoriser ainsi des transformations en profondeur, notamment face aux difficultés, aux situations de crises, aux maladies ".
Ä Prima Verba, et plus particulièrement ses satellites, ont très fortement investi le secteur de la santé, dans lequel ils offrent une large palette de services et de produits. La secte ne se présente pas comme un mouvement hostile à la médecine classique mais, de façon plus habile, comme une voie complémentaire pour guérir toutes sortes de maladies. Les adeptes sont conditionnés à croire que le gourou a déjà guéri plusieurs cas de cancer et de Sida.
Selon le discours des dirigeants de Prima Verba, seules les vibrations divines, que les initiés du mouvement font partager aux adeptes, ont le pouvoir d’élever le champ de conscience, dont dépendent la santé et le bonheur.
Pour exercer ses activités guérisseuses, Prima Verba dispose d’un réseau de structures réparties sur l’ensemble du territoire, qui disparaissent et renaissent fréquemment. On compte actuellement une dizaine d’organisations, animées chacune par deux initiés. Elles proposent des séminaires thérapeutiques, des consultations de psychothérapie et des ventes d’élixirs.
Les tarifs pratiqués sont particulièrement élevés :
L’ensemble des méthodes pseudo-médicales de Prima Verba a été consigné dans un manuel appelé " guérison spirituelle ", écrit par le gourou. Toutes les affections possibles y sont recensées par ordre alphabétique, de l’acné au zona (totalisant 176 affections ou problèmes corporels), chacune assortie d’une phrase divine qu’il convient de prononcer trois fois par jour afin d’enclencher le processus de guérison.
Ä L’Anthroposophie, déjà évoquée à travers les écoles Steiner, exerce, parallèlement à la pédagogie, d’importantes activités thérapeutiques.
Elle s’appuie, d’une part, sur un important réseau de praticiens, fédérés dans l’Association médicale anthroposophique de France (AMAF), d’autre part, sur plusieurs centres thérapeutiques qui accueillent notamment de jeunes handicapés, enfin sur les laboratoires Weleda, qui emploient environ 180 personnes à la fabrication de produits cosmétiques et diététiques mais aussi de préparations médicamenteuses.
Officiellement, la médecine anthroposophique n’implique pas l’abandon de la médecine traditionnelle. On cite cependant des cas de patients, atteints de leucémie, de troubles neuroleptiques ou de cancer du sein, dont on avait arrêté le traitement médical pour les soigner exclusivement avec des poudres ayant subi des " manipulations spirituelles ", des massages, des tisanes et... le port de maillot de corps en soie (susceptible de guérir le cancer).
Ä le mouvement du Graal, dont la doctrine est contenue dans l’ouvrage " L’homme malade de la civilisation " écrit par un collectif de médecins, proscrit l’allopathie, les vaccinations et les interventions chirurgicales.
Ses membres, des médecins prétendus homéopathes, animés de la foi en la réincarnation, soignent en effet leurs patients pour la vie future, plutôt que pour la vie actuelle, cette dernière pouvant être sacrifiée dans le but d’une existence meilleure après la mort.
Deux médecins adeptes de ce mouvement ont fait l’objet de sanctions : le premier a été suspendu d’enseignement à l’université de Lille, le second a été radié par le conseil départemental du Nord de l’Ordre des médecins.
Ä la Fraternité blanche universelle (FBU) contrôle ou a contrôlé la société " Nature and Life ", née en 1998 de la fusion des laboratoires Aqualab, qui fabrique et commercialise du " plasma marin isotonique ", et Phytosun’s Aroms, spécialisé dans la recherche, l’élaboration et la commercialisation d’huiles essentielles et de dérivés d’extraits de végétaux.
D’une façon plus générale, un assez grand nombre de sectes, sans exercer véritablement d’activités pseudo-thérapeutiques, intègrent dans l’élévation des adeptes l’objectif d’un mieux-être corporel. C’est notamment le cas de Sukyo Mahikari pour qui la purification de l’esprit – objectif principal du mouvement – va de pair avec celle du corps. À ce titre, des séances de transmission d’énergie concernant toutes les parties du corps sont très régulièrement proposées aux adeptes.
Dans un esprit comparable, les quelque 35 associations Sri Sathya Saï en France, qui pratiquent un culte orientaliste, intègrent des stages de jeûne et de cure, facturés 3.700 francs pour une semaine, et vendent des pendentifs " bio-électriques ". Une autre secte émanant de la même mouvance, Vital Harmony, propose des sessions de relaxation et de remise en forme. Sa fondatrice a créé à cet effet un important centre de soins dans le Loiret.
· Les chefs d’infractions
La plupart de ces pratiques sont susceptibles de tomber sous le coup d’incriminations telles que :
On est cependant frappé du faible nombre de condamnations prononcées et de procédures judiciaires engagées. La section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins n’a prononcé, en 1997 et 1998, que trois condamnations " en rapport avec des pratiques favorisées par des appartenances sectaires ". L’Ordre indique par ailleurs qu’au cours de la même période, entre 4 et 6 condamnations auraient été prononcées au niveau régional pour le même motif.
Il faut, bien sûr, y voir le fruit de l’opacité des mouvements sectaires, de la peur ou de la honte des victimes, de la peine et de l’incompréhension des familles.
Quelques mesures pourraient peut-être aider à lutter contre les abus en abordant le problème en amont et en donnant aux organismes les mieux à même de piloter les contrôles et les sanctions nécessaires les moyens d’une action régulière et continue.
La Commission entend inciter le ministère chargé de la Santé à renforcer sa politique de vigilance.
Elle entend également que les instances ordinales des professions de santé, et notamment l’Ordre national des médecins, voient leurs responsabilités davantage reconnues.
Enfin, quelques pistes de réflexion sur la réglementation de la santé pourraient être utilement ouvertes.
a) Accroître la vigilance du ministère chargé de la Santé
Pour ce faire, devrait être rapidement mise à l’étude la diffusion, à l’ensemble des services publics et des professionnels de la santé, d’un guide pratique identifiant les points de vulnérabilité aux sectes dans le monde médico-social, décrivant les signes révélateurs de la présence d’une infiltration sectaire et fournissant les instruments d’alerte de l’autorité administrative.
b) Mieux établir les responsabilités des institutions ordinales des professions de Santé
La Commission juge nécessaire :
c) Réfléchir à des aménagements législatifs et réglementaires
La Commission souhaite que son travail d’investigation soit, à l’automne 1999, prolongé par une mission tripartite (Parlement, ministère chargé de la Santé, organismes représentant les professions médicales et paramédicales) en vue d’étudier une procédure d’agrément des dénominations des professions paramédicales et des auxiliaires médicaux, par une commission d’experts qui autorise l’utilisation de titres de thérapies et puisse proposer l’interdiction d’exercice de celles qui ne sont pas agréées.
Il serait également souhaitable de :
D.— le marché de la formation professionnelle
La présence sur le marché de la formation professionnelle de multiples organismes émanant ou liés à un mouvement sectaire constitue une des principales manifestations du développement des activités économiques des sectes. Il s’agit en effet d’un secteur en pleine expansion qui draine des sommes très importantes et qui permet d’investir les points clés du monde de l’entreprise.
La Commission a pu constater à de nombreuses reprises combien l’extrême libéralisme, la candeur et le manque de vigilance qui président aux règles encadrant les activités de formation peuvent être propices au développement des pratiques sectaires. L’influence que certaines sectes ont acquise dans des réseaux de formation et les perturbations qu’elles ont apportées dans le fonctionnement de plusieurs entreprises sont suffisamment inquiétantes pour justifier la nécessité d’une réaction de l’ensemble des acteurs concernés.
1.– Un marché propice au développement des pratiques sectaires
a) Des enjeux financiers et commerciaux importants
En près de trente ans d’existence – la première loi relative à la formation professionnelle date de 1971 –, le marché de la formation professionnelle a acquis un poids financier considérable. La dépense totale en faveur de la formation professionnelle représentait en 1996 plus de 138 milliards de francs (soit 1,8 % du produit intérieur brut). Ce montant se ventilait de la manière suivante : la moitié a été consacrée à la rémunération des stagiaires, aux exonérations et aux frais d’accompagnement, tandis qu’un quart correspondait à l’offre privée de formation et que le quart restant couvrait les dépenses internes des entreprises et des organismes publics.
Le poids financier du marché de la formation professionnelle est d’autant plus important que les montants en cause sont renouvelables chaque année, les contributions financières supportées par les entreprises pour remplir leurs obligations en matière de formation étant calculées dans le cadre de chaque exercice d’activité. L’existence d’un marché en pleine expansion et dont le droit du travail assure la pérennité exerce indéniablement un effet d’appel devant lequel les sectes ne sont pas restées insensibles.
L’influence que les sectes ont pu acquérir sur ce marché est également révélatrice du rôle qu’elles entendent jouer dans le monde économique. L’obtention d’un contrat de formation peut permettre d’ouvrir les portes d’une société et d’avoir accès aux personnes qui y jouent un rôle central. Sur ce point, l’attitude adoptée par les sectes vis-à-vis des entreprises s’accorde parfaitement avec le prosélytisme qu’elles montrent dans leurs relations avec l’homme de la rue. Dispenser une formation devant les salariés d’une société est une forme de prosélytisme institutionnalisé et rémunérateur, le formateur intervenant dans un cadre reconnu par la direction de l’entreprise et par le dispositif public de prise en charge financière qui l’accompagne. Elle peut s’avérer une manière particulièrement efficace de susciter de nouveaux adeptes. C’est également un moyen d’avoir accès à des informations stratégiques sur les activités de telle ou telle société.
Le dispositif de formation continue est en outre une merveilleuse occasion de mettre en application, aux frais de la collectivité, les concepts et les programmes de manipulation mentale que les sectes ont mis au point. Comme on va le voir plus loin, la Commission a eu connaissance de plusieurs stages financés par la formation professionnelle dont le contenu s’apparente à un véritable canular. Ces exemples illustrent les excès auxquels notre système de formation continue peut aboutir. Ils sont également révélateurs de l’influence acquise par une conception de l’entreprise qui, sous prétexte de la recherche de la productivité, justifie des stages proches de la psychothérapie de groupe.
b) Une réglementation minimale
Dans le souci de respecter le principe de la libre concurrence, les textes qui régissent l’accès au marché de la formation professionnelle et l’exercice des activités des organismes de formation imposent des contraintes minimales. Toute personne physique ou morale peut se faire immatriculer en qualité de " formateur " et utiliser cette déclaration pour proposer ses services aux entreprises.
· Un marché défini de manière extensive
Le marché de la formation professionnelle est devenu le lieu d’expérimentation de nombreuses méthodes issues de la psychologie et des sciences de l’éducation. Il s’agit d’un domaine où les sectes, très imaginatives sur ce thème, ont trouvé un terrain particulièrement propice à leur développement.
Telle qu’elle est inscrite dans le code du travail, la définition de la formation professionnelle permet en effet d’accoler le label " formation professionnelle " à des stages très divers.
L’objet de la formation professionnelle est défini à l’article L.900-1 : il s’agit de permettre " l’adaptation des travailleurs au changement des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social ". L’article L.900-2 précise cet objet en énumérant les six types d’actions qui peuvent entrer dans le champ de la formation professionnelle : les actions de préformation et de préparation à la vie professionnelle, d’adaptation, de promotion, de prévention, de conversion, et enfin d’acquisition, d’entretien ou de perfectionnement des connaissances.
Une telle définition permet de rattacher à la formation professionnelle la plupart des activités ayant, de près ou de loin, un rapport avec les actions énumérées. Quel est le stage dont on peut avec certitude montrer qu’il ne permet pas de favoriser la contribution des travailleurs au développement culturel, économique et social ? Sur ce point, le code du travail est indéniablement ambigu. De quel développement s’agit-il ? Du développement de l’individu, de l’entreprise dans laquelle il travaille ou de la société en général ? Cette ambiguïté explique la place que les stages de développement personnel ont acquise. Bien qu’ils utilisent des méthodes qui ne font pas l’unanimité, ces stages se multiplient, car la définition donnée par le code du travail ne permet pas de les exclure. Des séminaires faisant appel à la programmation neuro-linguistique, à l’analyse transactionnelle, à la sophrologie, au yoga ou à la bioénergie sont financés par la formation professionnelle. Ces méthodes, destinées à dégager les réactions psychologiques susceptibles de favoriser l’épanouissement de l’individu, permettraient aux intéressés de mieux se connaître, et par conséquent d’améliorer leur comportement au travail : elles trouveraient donc leur place au sein de la formation professionnelle.
La Commission n’a pas l’intention de prendre parti sur telle ou telle méthode. Ce n’est d’ailleurs pas l’objet de ses travaux. Elle souhaite en revanche attirer l’attention sur l’étendue des actions qui, à tort ou à raison, sont actuellement assimilées à des stages de la formation professionnelle. Elle y voit en effet, et les exemples qui seront examinés plus loin le montrent, une dérive particulièrement propice à la diffusion des pratiques sectaires.
· L’absence de contrôle à l’entrée du marché de la formation professionnelle
Pour accéder au marché de la formation, il suffit de procéder à une déclaration préalable auprès du service régional de contrôle (SRC) de la formation professionnelle de la Direction régionale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Prévue par l’article L. 920-4 du code du travail, cette déclaration est une simple formalité qui n’implique aucun contrôle de la part de l’administration, ni sur les compétences des personnes déclarées, ni sur le projet pédagogique des formations envisagées. Cette déclaration permet à l’organisme de formation, ou au formateur lorsque le déclarant est une personne physique, de disposer du numéro d’immatriculation exigé pour que les stages dispensés puissent être pris en charge par le dispositif de gestion paritaire.
Le SRC ne peut refuser d’immatriculer un organisme qu’en cas de condamnation pénale prononcée contre une personne chargée de le diriger ou de l’administrer. Au demeurant, la recherche d’éventuels antécédents pénaux n’est pas systématique, mais laissée à l’appréciation de l’administration. En tout état de cause, il s’agit d’un moyen de contrôle qui peut facilement être contourné par le recours à des dirigeants prête-noms.
Exempte de tout contrôle, l’immatriculation n’équivaut en aucune manière à un agrément. Mais, de fait, elle est utilisée comme tel, de nombreux organismes faisant passer dans leurs documents commerciaux leur numéro d’immatriculation pour un numéro d’agrément.
Jusqu’en 1990, l’effet de la déclaration n’était pas limité dans le temps, et tout organisme dûment déclaré conservait indéfiniment le bénéfice de son numéro d’immatriculation. La loi n°90-579 du 4 juillet 1990 a instauré un dispositif de radiation inséré au deuxième alinéa de l’article L. 920-4 du code du travail. Désormais, toute déclaration devient caduque lorsque l’organisme n’a eu aucune activité pendant deux années consécutives ou n’a pas adressé au SRC, pendant la même période, les bilans pédagogiques et financiers qu’il est tenu de déposer chaque année.
Les SRC notifient donc à des milliers d’organismes des décisions de caducité de leur numéro d’immatriculation. Ce dispositif a cependant une efficacité limitée : les formateurs peuvent toujours présenter une nouvelle demande d’immatriculation, et rien ne permet de s’assurer qu’ils ne continuent pas à utiliser un numéro devenu caduc.
Le laxisme qui régit l’accès au marché de la formation professionnelle a abouti à une explosion du nombre des structures immatriculées qui constituent aujourd’hui un ensemble très disparate. Au 31 décembre 1997, on recensait 58.933 organismes déclarés sur lesquels 42.780 étaient considérés comme ayant une activité réelle. Leur chiffre d’affaires global était estimé à 36,7 milliards de francs, répartis de manière extrêmement dispersée puisque environ 600 organismes ont une activité supérieure à 10 millions de francs par an, 85% des structures se situant en dessous d’un million de francs. La dispersion du marché s’accompagne d’une grande hétérogénéité des statuts : travailleurs indépendants, associations, sociétés, organismes consulaires ou structures relevant du secteur public. En outre, seul un quart des structures se consacre exclusivement à la formation, les autres exerçant à titre accessoire. Enfin, le " turn-over " reste très important : en moyenne, l’administration immatricule chaque année 10.000 nouveaux organismes et radie environ 5.000 structures, soit pour caducité, soit pour fin d’activité.
La croissance du nombre d’organismes de formation n’est pas justifiée par les seuls besoins du marché. Elle est liée aux avantages offerts par leur statut et qui, indéniablement, exercent un effet d’appel non négligeable. L’immatriculation s’accompagne, on va le voir, d’une attestation ouvrant droit à une exonération de TVA. Elle permet également aux organismes d’utiliser des formateurs indépendants et de bénéficier ainsi d’un allégement de charges sociales. Beaucoup de déclarations de personnes physiques ont pour but de présenter comme formateurs indépendants des intervenants qui, en fait, fournissent une prestation pour le compte d’un organisme de formation.
L’explosion du nombre d’immatriculations a incité, à deux reprises, le législateur à remplacer le système déclaratif actuellement en vigueur par un dispositif d’agrément.
La loi n°90-579 du 4 juillet 1990 a mis en place une procédure de " labellisation " des formations financées par l’Etat. Cette procédure inscrite à l’article L.941-1-1 du code du travail prévoit que l’Etat ne financera que des projets ayant fait l’objet d’une habilitation par le préfet de région après avis du comité régional de la formation professionnelle. Bien qu’il ne porte que sur les stages financés par l’Etat, ce dispositif n’a jamais été appliqué, le décret n’ayant jamais été publié. À la suite des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur la formation professionnelle et des recommandations contenues dans le rapport de M. Claude Goasguen, la loi n°95-116 du 4 février 1995 a prévu que, dans un délai de trois ans suivant la déclaration préalable, les personnes immatriculées doivent faire une demande d’agrément auprès du préfet de région. Cet agrément inscrit au quatrième alinéa de l’article L.920-4 du code du travail a notamment pour but de contrôler la qualité de la formation dispensée. Cet article a suivi le même sort que l’habilitation instaurée en 1990 puisqu’il n’a reçu aucune application.
L’échec des tentatives d’instauration d’un agrément s’explique par l’ampleur des difficultés matérielles que leur application soulève. Comme on va le voir, les services régionaux de contrôle n’ont pas les effectifs suffisants pour apprécier la qualité des formations dispensées par près de 59.000 personnes ou organismes déclarés. En outre, la mise en place d’un tel agrément crée une régulation de l’entrée sur un marché que certains jugent contraire au principe de la libre concurrence.
L’impossibilité d’appliquer les procédures d’agrément votées par le législateur laisse l’accès au marché à l’abri de tout contrôle de la qualité des formations dispensées. Ce libéralisme que la Commission considère excessif n’est pas étranger à l’influence que les sectes ont acquise dans ce domaine. De nombreux organismes de formation ont été immatriculés, et ont par conséquent accès aux sources de financement ouvertes par cette immatriculation, alors que les stages proposés ont pour objectif de diffuser des concepts et des méthodes sectaires, et restent très éloignés de l’objet de la formation professionnelle continue.
· L’automaticité de l’exonération de TVA
L’absence de formalité qui caractérise l’entrée sur le marché de la formation professionnelle se retrouve dans l’automaticité qui préside aux décisions d’exonération de TVA accordées aux organismes de formation.
L’article 261 du code général des impôts exonère de TVA " les prestations de services et les livraisons de biens effectuées dans le cadre (…) de la formation professionnelle continue assurée (…) par des personnes de droit privé titulaires d’une attestation délivrée par l’autorité administrative compétente reconnaissant qu’elles remplissent les conditions fixées pour exercer leur activité dans le cadre de la formation professionnelle continue ".
Le retrait de l’exonération de TVA est exercé dans les deux cas de figure prévus aux articles 202 C et 202 D de l’annexe II du code général des impôts, à savoir la caducité de la déclaration préalable et l’exercice ultérieur du droit de contrôle de l’administration fiscale.
Ce dispositif est appliqué de manière libérale par les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle chargés de délivrer l’attestation prévue. En effet, ces services n’ont pas les moyens de contrôler a priori que l’activité de chaque demandeur entre bien dans le cadre de la formation professionnelle, et font donc automatiquement droit aux demandes émanant des personnes ou organismes dûment immatriculés et à jour de leur obligation de dépôt de bilans pédagogiques et financiers.
De fait, le bénéfice de l’exonération de TVA n’est lié qu’à une formalité déclarative préalable. Pour qu’une personne morale ou physique puisse être exonérée de TVA, il lui suffit de se déclarer formateur ou organisme de formation. Octroyée en dehors de tout contrôle, l’exonération sera appliquée automatiquement tant que la déclaration n’est pas devenue caduque et tant que la personne ou l’organisme n’a pas fait l’objet d’un contrôle fiscal démontrant que l’activité développée n’entre pas dans le cadre de la formation professionnelle.
Exclusivement fondé sur des formalités déclaratives, le bénéfice de l’exonération de TVA en matière de formation s’acquiert avec une facilité déconcertante. Comme on va le voir, cette facilité bénéficie à plusieurs personnes liées à des organisations sectaires qui, sous couvert d’une immatriculation auprès d’un service régional de contrôle, développent des activités de prosélytisme très éloignées du cadre de la formation professionnelle, qui échappent à la TVA.
L’exonération de TVA peut représenter un avantage financier non négligeable pour les associations sectaires chargées d’organiser des stages et des séminaires, ou chargées de développer des activités de conseil. Ces structures réalisent en effet peu d’investissements et sont par conséquent peu intéressées par la possibilité de récupérer la TVA qu’elles paient sur leurs achats.
· Des activités soumises à des obligations réduites et peu appliquées
Les organismes de formation sont soumis à des obligations comptables réduites. Le code du travail prévoit que les dispensateurs privés de formation établissent un bilan, un compte de résultat et une annexe (ce qui semble pour le moins normal s’agissant d’organismes ayant une activité économique qui, au total, représente chaque année un chiffre d’affaire supérieur à 36 milliards de francs), et qu’ils doivent recourir aux services d’un commissaire aux comptes au-dessus d’un certain seuil d’activité. Leurs documents comptables doivent normalement être transmis chaque année aux services régionaux de contrôle accompagnés d’un bilan pédagogique et financier retraçant notamment l’emploi des sommes reçues au titre des conventions de formation. L’envoi de ce bilan conditionne le maintien de l’immatriculation de l’organisme puisque, comme on l’a vu, l’absence de transmission peut déclencher la caducité de la déclaration. Les documents transmis ne constituent cependant pas des outils de contrôle de l’activité de l’organisme. Les informations qu’ils contiennent ont une fonction statistique destinée à reconstituer, au niveau national, le chiffre d’affaires global du secteur.
Les organismes de formation ne sont pas véritablement soumis à des obligations qui permettraient d’assurer un suivi pédagogique et un contrôle de la qualité des stages dispensés. Le bilan annuel contient peu d’informations sur les méthodes utilisées. Si l’ensemble des organismes sont tenus d’établir un règlement intérieur destiné à assurer le respect des règles d’hygiène, de sécurité et de discipline, ainsi que la représentation de stagiaires, seuls les stages faisant l’objet d’une convention avec l’Etat entraînent la constitution d’un conseil de perfectionnement consulté sur l’organisation et la mise en œuvre des formations.
Le code du travail est plus précis dans la fixation des règles qui portent sur les relations entre l’organisme et son client. Les articles L.920-5-3 et L.920-6 établissent la liste des documents que le formateur est tenu de communiquer à l’entreprise (programme, liste des intervenants mentionnant leurs titres ou qualités, modalités d’organisation de la formation, conditions financières). La Commission constate cependant qu’aucune information n’est prévue sur les méthodes ou théories utilisées. Une réelle information peut pourtant s’avérer de la première importance quand un organisme utilise, sous la forme de franchise, une méthode mise au point par un tiers, comme dans le cas des stages créés par trois organisations sectaires très présentes sur le marché de la formation professionnelle, à savoir la Scientologie, Landmark et Avatar.
La loi du 24 février 1984 interdit par ailleurs aux formateurs d’utiliser leur numéro d’immatriculation dans leurs documents publicitaires. Cette règle, destinée à empêcher que les organismes utilisent ce numéro comme un numéro d’agrément, ne semble pas appliquée avec succès, la Commission ayant eu connaissance de nombreux exemples d’infractions commises par des organisations sectaires.
En outre, bien qu’ils induisent directement ou indirectement un coût public, les prix des formations bénéficient d’une liberté complète. De fait, la Commission a pu constater combien les tarifs peuvent diverger, et combien les prix pratiqués par certaines sectes semblent disproportionnés par rapport à la prestation effectivement fournie. Elle regrette que, sur ce point, l’administration ne puisse utiliser qu’une disposition juridique particulièrement difficile à mettre en œuvre. L’article L.920-10 du code du travail prévoit en effet que les services de la formation professionnelle peuvent refuser une prestation si son prix est excessif. Cependant, ce refus ne peut être exercé qu’à l’occasion de contrôles qui, comme on va le voir, sont rarement diligentés. Il supposerait, pour être applicable, que l’administration établisse des barèmes fixant le coût normal de chaque type de stage, ce qui n’est pas prévu.
Enfin, l’existence d’un document contractuel conclu entre le formateur et son client n’est obligatoire que lorsque ce dernier est une personne physique qui entreprend une formation à titre individuel et à ses frais. La convention prévue à l’article L.920-1 pour les stages pris en charge par le dispositif paritaire n’est qu’une faculté.
On constate donc que l’exercice des activités de formation reste soumis à des obligations soit formelles, soit difficiles à contrôler.
c) Un contrôle limité dans sa définition et dans ses moyens
Les articles L.991-1 et L.991-2 du code du travail définissent le champ d’application du contrôle exercé par l’Etat sur la formation professionnelle. Sont, en premier lieu, soumis au contrôle administratif et financier de l’Etat les dépenses de formation exposées par les employeurs au titre de leur obligation de participation, ainsi que les activités conduites par les organismes paritaires agréés, les organismes de formation et les organismes chargés de réaliser des bilans de compétence. L’Etat est également chargé de contrôler les conditions d’exécution des actions de formation qu’il finance, afin de vérifier qu’elles sont assurées conformément aux stipulations des conventions conclues à cet effet.
Ainsi défini, le contrôle s’avère relativement limité. S’agissant de la vérification des conditions d’exécution des actions de formation, l’intervention de l’Etat est réservée aux stages au financement duquel il participe, ce qui a pour effet d’exclure de son contrôle les dépenses exclusivement financées par les collectivités locales. En outre, les formations entreprises par des personnes physiques à titre individuel et à leurs frais ne sont soumises qu’à un contrôle formel, limité à une vérification de l’existence d’un contrat et de la conformité de ce dernier avec les dispositions de l’article L.920-13.
Le contrôle de l’Etat porte sur les moyens financiers, techniques et pédagogiques, et sur leur adaptation aux objectifs visés par la formation ainsi que sur les modalités de suivi des stagiaires ou de validation des acquis. En revanche, le code du travail exclut explicitement toute vérification des qualités pédagogiques. Le contrôle est conçu de manière à permettre de vérifier l’imputabilité des dépenses engagées par les entreprises sur leur obligation de participation. Cette obligation est en effet remplie, chaque année, de manière déclarative, et le contrôle a pour but d’apprécier la réalité de cette déclaration en vérifiant que le formateur est dûment déclaré, que le stage a bien eu lieu et que la prestation entre bien dans le cadre d’une action de formation tel qu’il est défini à l’article L.900-2. Il s’agit donc de contrôler la réalité de l’exécution d’une prestation, y compris dans les moyens pédagogiques mis en œuvre, et non d’en vérifier la qualité.
Les vérifications peuvent se traduire par le rejet des dépenses en cause. L’inexécution d’une convention entraîne le remboursement par le formateur des frais qui n’ont pas été engagés, et, en cas de manœuvres frauduleuses, le versement d’une somme d’un montant égal au Trésor public. Si le contrôle a démontré que les dépenses ne peuvent, par leur nature, être rattachées à l’exécution d’une convention ou que les prix pratiqués sont excessifs, le formateur est tenu de verser au Trésor public une somme équivalente, recouvrée selon les mêmes modalités que celles applicables en matière de taxes sur le chiffre d’affaires. En outre, en cas de mauvaise foi ou de manœuvres frauduleuses, les sanctions pénales prévues par le code général des impôts sont applicables. En revanche, le code du travail ne précise pas les conséquences des contrôles sur la déclaration de l’organisme et le rejet des dépenses n’a donc aucun effet automatique sur l’immatriculation du formateur. On pourrait pourtant concevoir que la démonstration de l’inexécution d’une convention ou l’exécution de prestations extérieures au cadre de la formation professionnelle entraînent le retrait du numéro d’immatriculation des organismes responsables.
Défini de manière prudente, le contrôle de l’Etat sur la formation professionnelle est surtout considérablement limité dans ses moyens. Pour assurer le suivi administratif et le contrôle des quelques 59.000 organismes déclarés, les services régionaux de contrôle ne disposent que de 140 inspecteurs ou contrôleurs auxquels il faut ajouter les douze agents en poste au sein du groupe national de contrôle. Compte tenu de l’élargissement récent des missions des SRC, notamment en matière de taxe d’apprentissage, on estime qu’une centaine d’agents peuvent se consacrer au contrôle et que, globalement, environ 700 organismes sont vérifiés chaque année. A ce rythme, sauf à relever considérablement les effectifs des SRC, chaque organisme est contrôlé tous les 84 ans …
L’insuffisance manifeste des moyens de contrôle mise en évidence à plusieurs reprises notamment par le rapport de la Commission d’enquête de 1994, est d’autant plus préjudiciable que, l’entrée sur le marché reposant sur un dispositif déclaratif très libéral, la qualité des stages dépend de l’efficacité et de la diligence des SRC. L’absence de véritable mobilisation de l’Etat sur ce point n’est pas étrangère à l’importance de l’influence que les sectes ont acquise dans ce secteur.
d) Un marché investi par plusieurs organisations sectaires
· Des organismes nombreux et parfois importants par leur chiffre d’affaires
Plusieurs dizaines d’organismes de formation professionnelle liés à des mouvements sectaires ont été portées à la connaissance de la Commission. Dans certains cas, l’association qui constitue la structure centrale de la secte peut s’immatriculer auprès d’un SRC et développer directement des activités de formation. Le plus souvent, les sectes créent des structures particulières, dédiées à la formation professionnelle, qui peuvent prendre des statuts juridiques divers.
Il est également fréquent que des adeptes créent leur propre organisme ou s’immatriculent eux-mêmes en qualité de personne physique pour appliquer la méthode mise au point par la secte moyennant parfois le versement à la structure mère des droits d’auteur correspondants, selon les systèmes de franchise décrits plus haut. L’existence de franchises peut aboutir au détournement de sources de financement public au profit de structures mères sectaires. Les stages franchisés peuvent être en effet financés à partir de fonds d’origine publique.
Les exemples qui vont être examinés ne donnent qu’un aperçu de l’influence que les sectes ont acquise dans ce secteur. En effet, l’extrême éparpillement des structures et le caractère le plus souvent occulté du lien sectaire ne permettent pas d’avoir une vision exhaustive du problème. En outre, il existe des organismes, par définition très difficiles à repérer, qui ne sont pas déclarés, soit qu’ils exercent en toute illégalité, soit qu’ils se cantonnent à des stages individuels qui ne requièrent pas obligatoirement une déclaration préalable du formateur. Les archives des SRC font disparaître les imagess des organismes qui sont caducs depuis plus de cinq ans, ce qui interdit de reconstituer toutes les structures créées. Cette limite présente un inconvénient évident dans le cas de la présente enquête, les sectes ayant une propension à multiplier les organismes et à changer fréquemment leur dénomination sociale. L’organisation territoriale de l’administration de la formation professionnelle, fondée sur la compétence régionale des SRC, ne permet pas de disposer d’un fichier national des organismes de formation et se heurte par conséquent à la grande mobilité géographique des formateurs. Un organisme localisé dans telle région pour un stage organisé à une date donnée peut ne plus apparaître dans le fichier du SRC territorialement compétent, s’il a depuis déménagé ou décidé de s’immatriculer dans une autre région. Enfin, il ne faut pas oublier que les renseignements communiqués à la Commission, et notamment les montants de chiffres d’affaires, n’ont qu’une origine déclarative, et, sauf dans les rares cas de contrôle, ne reflètent que ce que les organismes ont bien voulu porter à la connaissance de l’administration.
C’est pourquoi la Commission, sans prétendre à l’exhaustivité étant donné l’abondance de la matière, a souhaité citer ci-après quelques cas précis significatifs.
· Les sectes les plus actives sur le marché de la formation professionnelle
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La ScientologieLa Scientologie est certainement la secte la plus influente dans le domaine de la formation professionnelle. Il existe de nombreux exemples d’organismes créés par des scientologues afin de mettre en application les théories et les méthodes de Ron Hubbard à travers des stages qui s’adressent aux salariés d’entreprises plus ou moins importantes. La secte voit dans la diffusion de ces méthodes un moyen d’asseoir son influence au sein du monde économique. La référence à la Scientologie n’apparaît pas toujours clairement de prime abord, et nombreuses sont les entreprises qui se sont laissées séduire par le savoir-faire commercial des scientologues.
Les activités de M. Gilles Vallet, constituent un bon exemple de réseau d’entreprises scientologues. Ce polytechnicien est actuellement gérant de deux sociétés de conseil (Highware SARL au capital de 500.000 francs, implantée à Toulouse, et Highware à Paris, SARL au capital de 50.000 francs) et d’une société civile immobilière ayant une activité de marchand de biens (la SCI FORT domiciliée à Paris). Il est également président du conseil d’administration de Highware Productions SA, filiale de Highware SARL, spécialisée dans la gestion de projets d’ingénierie et d’informatique. Highware SARL était par ailleurs propriétaire de 150 parts sociales de BGP Consultants, SARL spécialisée dans la formation à l’utilisation de logiciels de gestion de projets, parts qu’elle a revendues le 17 juillet 1997 pour 17.000 francs. Toutes les sociétés anonymes qui viennent d’être mentionnées ont été déclarées comme organismes de formation, et continuent à bénéficier de leur immatriculation, à l’exception de Highware SARL qui a déclaré, au début de 1997, avoir cessé ses activités de formateur. Pour 1996, elle a pourtant déclaré un " chiffre d’affaires formation " () important (666.764 francs).
Les activités de formation dispensées par d’autres sociétés liées à la Scientologie peuvent atteindre des montants conséquents. La Commission a eu connaissance de deux sociétés dont la déclaration est aujourd’hui caduque bien que leur chiffre d’affaires dépassait au début des années 1990 le million de francs. Cinq organismes ont déclaré au titre des deux derniers exercices disponibles (1996 et 1997) des chiffres d’affaires non négligeables, et semblent avoir une activité récente et particulièrement florissante. Il s’agit des structures suivantes : Flying Trapèze (2,6 millions), Stratégique (3,5 millions), le Comptoir des langues anciennement dénommé Cybèle Langues (16,4 millions) et Présence 7 Informatique (22,7 millions). L’importance des montants déclarés doit être analysée en tenant compte du fait que la formation peut n’être qu’une activité annexe des sociétés concernées par ailleurs spécialisées, par exemple, dans le service informatique ou le conseil aux entreprises, et que leur chiffre d’affaires global peut donc être bien supérieur.
D’autres scientologues ont créé au cours des dix dernières années leur propre organisme, et bénéficié d’un numéro d’immatriculation aujourd’hui caduc, aucune activité n’ayant été déclarée au titre des deux derniers exercices. La Commission a notamment pu vérifier la déclaration du cabinet de conseil créé à Paris par M. Emmanuel de Brie, de la société Claryus dirigée par M. Michel Lollichon et de la société Leaders constituée par une autre scientologue, Mme Muriel Ebel, actionnaire dans d’autres sociétés commerciales aux côtés de son mari, M. Tristan Ebel.
On notera que, selon la technique bien connue, les pistes sont souvent brouillées auprès des entreprises clientes par des changements de dénomination sociale : des organismes devenus caducs pour absence d’activité sont remplacés par de nouvelles structures qui restent en fait aux mains des mêmes personnes adeptes de la secte.
Ainsi, MM. Jean-Marc et Dominique Dambrin, scientologues notoires, ont constitué plusieurs organismes qu’ils ont immatriculés auprès du SRC d’Ile-de-France. Deux sociétés (Efficom et SNC Dambrin) ont eu une activité au début des années 1990, la seconde déclarant des recettes de 490.000 francs pour 1996, mais semblent avoir depuis disparu du marché. Les frères Dambrin exercent aujourd’hui leurs activités de formateurs à travers deux organismes : Jean-Marc Dambrin Conseil et Cohérence.
M. Guy Bergeaud est un autre membre de la Scientologie qui a défrayé la chronique lorsque, directeur des ventes à VAG France, on lui a reproché d’avoir choisi un organisme scientologue pour la formation de ses collaborateurs. Après avoir dirigé la filiale de Renault en Angleterre, il a fondé deux sociétés immatriculées auprès du SRC d’Ile-de–France : Management Learning System pour laquelle il a déclaré un chiffre d’affaires de 540.000 francs au titre de 1994, puis Business Dynamic qui semble avoir une activité importante, le montant de 3.115.576 francs ayant été déclaré pour 1996.
Les tentatives d’infiltration de la Scientologie ne sont cependant pas toujours couronnées de succès, comme le démontrent les péripéties qu’ont connues les sociétés SOFIAC et Unicoolait.
La société Diace Conseil a été déclarée au SRC d’Ile-de-France par son dirigeant, M. Guy Cassan. Les activités de formation dispensées en 1991 par cet organisme au sein d’un établissement de la société SOFIAC implanté en Normandie ont fait l’objet d’un contentieux devant les tribunaux. La direction de la SOFIAC a accusé M. Cassan d’effectuer du démarchage au profit de la Scientologie. Le Tribunal correctionnel de Paris a estimé en 1993 que le prosélytisme était avéré, le formateur ayant proposé la vente des écrits de Ron Hubbard et invité des stagiaires à se soumettre au test scientologue. Cette décision a été confirmée en appel, et Diace Conseil a été condamnée à rembourser à la SOFIAC le coût de la formation.
Une autre société de formation scientologue a été mêlée à une affaire de licenciement abusif. Il s’agit de Ciborg, à l’époque dirigée par un membre de la secte, M. Eric Ianna, et déclarée auprès du SRC d’Ile-de-France. Cette société a dispensé en 1991 une formation au sein d’une coopérative laitière implantée en Moselle, la société Unicoolait, au terme de laquelle un salarié a été licencié pour faute grave pour avoir mis sur la place publique les liens entre Ciborg et la Scientologie. En 1992, le Conseil des prud’hommes a estimé que ce lien était suffisamment établi pour déclarer le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Autre exemple : en 1993, un salarié de la direction de Paris Est de la SNCF a demandé le bénéfice d’un congé individuel de formation pour suivre un stage auprès d’Aframeurop, organisme de formation immatriculé à Paris. Il s’agissait d’un stage de développement personnel de deux ans à raison de 12 heures hebdomadaires sur 75 semaines, soit 900 heures au total, pour un coût de 129.274 francs. Ce stage a été accepté par l’AGECIF SNCF. La plaquette de l’organisme ne mentionnait aucune référence à une méthode particulière. Elle indiquait simplement permettre au stagiaire de " dominer ses réactions émotionnelles, retrouver son potentiel vital et sa joie de vivre ", en utilisant " une méthode générale cognitive appliquée aux mécanismes de la communication (…) le participant vérifiant par lui-même les différents flux dans la communication et par applications successives découvrira l’agencement de ces flux et leur organisation ". Par ailleurs, le même organisme proposait au salarié de suivre au cours de ses congés un autre stage d’un coût de 8.000 francs destiné à " soulager toutes les douleurs ". Lors de ses contacts avec Aframeurop, ce salarié s’est rendu compte, avant de s’engager définitivement, qu’il s’agissait d’une émanation de la Scientologie.
En sens inverse, on relèvera la mésaventure d’une ANPE qui, en 1994, avait retenu la société Quest consulting pour procéder à des évaluations de demandeurs d’emplois. Cette société immatriculée en Ile-de-France bénéficie toujours d’un numéro d’immatriculation valide.
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Landmark Education InternationalLandmark est une secte que certains considèrent comme une dissidence de la Scientologie, spécialisée dans la formation. Elle s’appuie sur des cours conçus par un Américain, Werner Erhard, qui, dans les années 1960, a conçu les premiers stages de développement personnel. Elle propose un parcours en plusieurs étapes, le stagiaire commençant par suivre un stage intitulé le Forum, puis un cours avancé et une session baptisée " expression de soi et leadership ". Mis au point par Erhrard, le Forum est vendu sous forme de licence aux initiés par l’intermédiaire de la société de droit étranger, Landmark education international (LEI). Le Forum est en effet une marque déposée aux Etats-Unis dont l’utilisation exclusive en France est attribuée à LEI.
Cette société est immatriculée au SRC d’Ile-de-France. Sa déclaration est aujourd’hui caduque. Elle reste gérée par M. Alain Roth et Mme Irène Johnson, le premier étant lui-même immatriculé comme formateur.
Les premiers stages ont lieu dans les salons d’hôtels parisiens, et peuvent se poursuivre aux Etats-Unis. Les méthodes employées révèlent des techniques psychologiques autoritaires et intensives, les pratiques utilisées étant plus proches de la confession publique que du stage de formation. Les sessions se poursuivent tard en soirée, moyennant des pauses rares et un seul repas. Les stagiaires sont sollicités pour travailler bénévolement à l’organisation des formations. L’inscription aux sessions ultérieures s’effectue à l’issue de chaque stage, selon une pratique commerciale bien connue des sectes et notamment de la Scientologie qui consiste à obtenir, au moyen de ristournes habilement mises en avant, l’engagement des stagiaires sans leur laisser la possibilité de réfléchir.
Un séminaire de trois jours coûte 2.300 francs. Il regroupe entre 80 et 250 personnes. Le gain net tiré d’une session peut donc représenter plus de 500.000 francs. Les frais de formation semblent peu importants : une seule personne intervient au cours du stage dont l’organisation matérielle est souvent assurée de manière bénévole. Pour autant, la société Landmark education international ne semble pas déclarer au SRC un chiffre d’affaires formation à la hauteur de ses tarifs : elle a par exemple déclaré 228.591 francs au titre de 1996.
Landmark a eu pour principal client la société IBM-France au sein de laquelle elle a organisé, à partir de 1992, plusieurs sessions de formation qui ont déclenché au sein du groupe une vaste polémique, et seraient à l’origine du suicide d’un des salariés. La secte aurait été introduite dans IBM-France par l’intermédiaire d’un club de réflexion intitulé le Forum des rives de Seine – Club Toast masters. Créé et financé par le comité d’entreprise de la société, ce club s’adresse à ses cadres en dehors des heures de travail. Il est animé par un ingénieur qui aurait fait du démarchage auprès des adhérents en faveur de Landmark. Les méthodes de la secte ont suscité une réaction de la direction d’IBM qui a dénoncé les dangers des techniques employées, et a mis en évidence les risques de prosélytisme.
M. Roth s’est imposé au sein d’IBM de deux manières. Il est tout d’abord intervenu en 1991 lors d’un séminaire intitulé " Leader pour réussir ", animé en majeure partie en interne, mais pour lequel le groupe faisait appel à des intervenants extérieurs. Parallèlement, de mi-1991 au début de 1993, il a dispensé " le Forum " à seize salariés dans le cadre d’un programme intitulé " participation aux frais d’études " qui consistait à financer à 75 ou 100 % dans un plafond de 2000 francs les demandes de formation individuelle présentées par le personnel. Alertée par plusieurs stagiaires, la direction a décidé d’y mettre fin le 30 mars 1993. Cette décision a d’ailleurs provoqué des protestations véhémentes de plusieurs salariés. La direction reste convaincue que le Forum a continué à être dispensé au sein d’IBM après le 30 mars 1993 par le canal d’initiatives personnelles. Il semble que ce soit la branche " banque " du groupe qui ait été la plus touchée.
Pour faire face à cette tentative d’infiltration, la Direction générale d’IBM a décidé de centraliser les décisions en matière de formation professionnelle et d’internaliser les prestations réalisées dans ce domaine.
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La méthode AvatarConçue par l’américain Harry Palmer, Avatar est une méthode de développement personnel destinée à apprendre à connaître et à modifier les " programmes " qui déterminent les réactions de chacun. Déclinée en plusieurs cours, cette méthode est franchisée : les " masters ", c’est-à-dire les initiés au stage Avatar, reçoivent une licence leur permettant d’enseigner. Cette franchise déclenche le versement de droits prélevés sur le produit des formations au bénéfice de la société Star’s edge international qui constitue le centre de la secte.
L’association Otium est une des structures françaises utilisant la méthode Avatar. Implantée en Gironde où elle est immatriculée comme organisme de formation, Otium était jusqu’à une date récente dirigée par Mme Carole Hannequin, ancien cadre d’EDF, " master " et représentante de Star’s edge pour ce département, elle-même déclarée comme formateur auprès du SRC. Cette association dispense deux prestations. La première intitulée " objectif but " se déroule sur deux jours et a pour objet de permettre aux participants " de se reconnecter avec la source intarissable de vitalité de courage et d’énergie (…) de trouver des aides et des soutiens (…) pour favoriser leurs réalisations (…) et, se sachant engagés sur un chemin qui a du cœur, d’être plus tranquilles, plus efficaces et plus heureux ". Le deuxième stage dure dix jours et il est destiné à permettre aux stagiaires " à travers l’exploration et la transformation de leur représentation du monde et d’eux-mêmes " de conduire plus efficacement leur vie. Ces cours sont facturés 18.000 francs. Ils s’adressent en général à des salariés, sont imputés sur le plan de formation de l’entreprise et font systématiquement l’objet d’une convention conclue entre l’employeur et Otium. EDF et la société Thomson CSF figurent parmi les clients d’Otium. L’association a déclaré à la Commission avoir cessé toute activité depuis mars 1996.
Star’s edge était représentée dans la région Languedoc-Roussillon par le Centre d’épanouissement personnel (CEDEPE). Aujourd’hui en liquidation judiciaire, cette société immatriculée comme organisme de formation a été choisie par l’ANPE de Céret pour assurer des stages destinés à des chômeurs, et notamment des accompagnements personnalisés pour l’emploi ou des sessions de techniques de recherche d’emploi. Elle a également signé des conventions avec la direction départementale du travail et de l’emploi des Pyrénées-orientales pour dispenser plusieurs stages d’insertion et de formation à l’emploi. Les méthodes utilisés par le CEDEPE ont été dénoncées par les stagiaires qui ont critiqué le contenu pédagogique du programme. Ces formations réalisées en 1994 et 1995 ont été financées par les organismes publics concernés moyennant un coût total de 2.013.449 francs. Il s’agit là, on le voit, d’un exemple de financement public massif d’une méthode de formation sectaire. Une partie des recettes étant reversée à Star’s edge, c’est également un exemple de financement public de la structure mère d’une secte internationale.
La centrale EDF de Bugey dans l’Ain a également été victime d’Avatar par l’intermédiaire de son représentant local, M. Alain Coudeyras, dirigeant de la société CPV conseil. Cette société inscrite au SRC a dispensé en 1992 le séminaire auprès de salariés de cette centrale qui ont dénoncé le stage comme un lavage de cerveau. Quelques années plus tard, on retrouvera des encarts publicitaires dans des journaux locaux annonçant l’organisation par M. Coudeyras, de stages d’hypnose, sophrologie, relaxation, etc.
L’attention de la Commission a également été attirée sur les activités du centre Synthésis dirigé par Mme Claire Deleve, master Avatar, et immatriculé dans le Nord-Pas-de-Calais.
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Au cœur de la communicationAu cœur de la communication (ACC) est une organisation, non répertoriée dans le rapport de la précédente commission d’enquête, qui s’est développée en dispensant des formations, montrant ainsi l’importance que revêt ce secteur dans l’expansion du phénomène sectaire. Elle a attiré l’attention de la Commission d’enquête du Parlement belge.
ACC a été fondée par Mme Claire Nuer, récemment décédée, qui prétendait avoir été guérie d’un glaucome par la méthode d’un cancérologue américain, le docteur Simonton. Mme Nuer avait créé en 1989 une association " Clarté et confusion ", rebaptisée en 1991 " Au cœur de la communication ", afin de développer des actions de prévention et de développement personnel. L’association organise des conférences, des séminaires et des formations, notamment auprès de médecins et de professionnels de la santé. Immatriculée comme organisme de formation depuis 1990, elle est dirigée depuis 1991 par Mme Dominique Maillard, l’époux de Claire Nuer, M. Samy Cohen, étant désigné comme responsable sur les bilans pédagogiques et financiers adressés au SRC d’Ile-de-France. ACC bénéficie d’une exonération de TVA depuis 1992. Elle n’a cependant déclaré aucune activité depuis 1997.
L’association a expérimenté ses méthodes au sein de la société Essor dont M. Samy Cohen est le directeur général. Cette société implantée à Villeneuve la Garenne est spécialisé dans la production de verres optiques. Plusieurs séminaires animés par Mme Claire Nuer ont été suivis par des salariés d’Essor, en France et à l’étranger. Ils utilisaient les techniques de développement personnel pour inciter les stagiaires à procéder à une véritable confession publique. Ces formations ont provoqué un litige entre les salariés et la direction d’Essor. Le refus de suivre les stages, opposé par plusieurs cadres, aurait provoqué le licenciement de ces derniers. Ce litige a été jugé suffisamment important pour que le Groupe national de contrôle de la formation professionnelle demande une enquête au SRC d’Ile-de-France.
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La méthode SilvaLa méthode Silva a été conçue par un Américain dénommé José Silva. Fondée sur une comparaison des réactions du cerveau humain entre l’état de veille et l’état de sommeil, elle a pour objet de permettre une plus grande utilisation des capacités mentales.
Cette méthode est appliquée par des instructeurs moyennant une licence d’exploitation qui entraîne le versement de droits représentant entre 10 et 25 % du produit des stages. Ces droits sont versés aux responsables locaux qui en reversent eux-mêmes une partie à la structure mère installée aux Etats-Unis.
La méthode Silva dispose en France d’un réseau national parfaitement organisé. Le programme pour 1998 fait apparaître 25 villes où des stages sont dispensés. Chaque ville dispose d’un instructeur. M. Edouard Philippe, instructeur dans plusieurs villes du sud-est, est présenté comme le principal dirigeant. Il est inscrit auprès du SRC de la région PACA, dispense ainsi lui-même des formations, et reverse 10 % de ses gains à la société américaine dépositaire de la méthode. Il a également formé d’autres personnes qui, immatriculées à leur tour, diffusent les techniques de la secte dans d’autres régions sous un statut de profession libérale.
Organisés la plupart du temps dans des hôtels, les stages sont généralement facturés 2.500 francs pour les personnes inscrites à titre individuel. Des séminaires destinés à des enfants de 7 à 14 ans sont également prévus, au prix de 1.000 francs par enfant.
C’est au tarif de 2.500 francs que, par exemple, M. Edouard Philippe a formé, en 1996, 192 stagiaires dont 180 étaient des particuliers issus du milieu enseignant ou des professions libérales exerçant dans le secteur du droit ou de la santé, et dont 8 étaient inscrits à l’initiative de leur entreprise pour un prix global de 44.000 francs, soit 5.500 francs par stagiaire. Les stages avaient lieu le week-end ou en dehors des horaires de travail. Une seule formation a été organisée pendant les heures de travail : il s’agit d’une session destinée à des agents du Secrétariat d’Etat aux anciens combattants.
Le stage de contrôle mental comprend deux modules. Le premier, intitulé " maîtrise de l’esprit et gestion du stress ", est un tronc commun exposant les " techniques de relaxation dynamique (écran mental, miroir de l’esprit …) et de mémorisation-concentration " destinées à éliminer les conséquences du stress, améliorer les capacités professionnelles et développer son capital santé. Il est suivi d’un module spécifique qui peut s’adresser à tout public comme le cours intitulé " maîtrise de l’esprit et optimisation professionnelle ", ou être réservé à certains stagiaires comme " maîtrise de l’esprit de santé " spécialement conçu en direction des professionnels de la santé. Le module " maîtrise de l’esprit et optimisation professionnelle " consiste à acquérir le contrôle de ses rythmes cérébraux afin d’accroître ses moyens dans la gestion d’une équipe ou l’utilisation des techniques de vente. Le module relatif aux métiers de la santé permet de détecter et de traiter les " pathologies " afin de contrôler le réveil, les rêves et la douleur.
Dûment immatriculé auprès du SRC de la région PACA, M. Edouard Philippe a obtenu des services fiscaux une exonération de TVA, ses activités étant considérées comme relevant de la formation professionnelle.
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InnergyInnergy est une secte fondée aux Etats- Unis par Roger Delano Hinkins. Décrite comme la " science secrète du voyage de l’âme ", ce mouvement a mis au point un séminaire, dénommé Insight training seminar, destiné à guider les gens dans leur vie quotidienne afin de " créer plus d’amour, de joie et de bonheur ", notamment en donnant la clé de la félicité qui est enfoui en chacun.
Lancé aux Etats-Unis à la fin des années 1970, l’Insight training seminar est enseigné en France quelques années plus tard, la maison mère ayant décidé d’y attribuer des licences d’exploitation qui fixent à 10 % le taux de reversement du produit des stages.
Plusieurs personnes implantées en Ile-de-France ou en PACA ont enseigné le séminaire dans le cadre de la formation professionnelle. La presse s’est fait l’écho de stages organisés pour la RATP, EDF ou IBM et d’un contrat signé avec l’association de lutte contre le Sida, AIDES.
La Commission a eu connaissance d’une association, Phylaë SDP, dépositaire d’une licence d’exploitation de l’Insight training seminar et immatriculée comme organisme de formation auprès du SRC de la région PACA. Dirigée par Mme Patricia Malissart, cette association n’a pas déclaré d’activité au cours des deux derniers exercices, et son numéro d’immatriculation a été déclaré caduc.
Les stages organisés par Phylaë SDP proposent des " expériences éducationnelles qui éveillent les participants à la sagesse de leur cœur ", en couvrant des " aspects fondamentaux de la relation à soi et aux autres ". Ils mettent les participants dans des situations proches de la vie quotidienne notamment par des exercices de " relaxation et d’imagination guidée ". Ces stages d’une durée de 8 heures étaient facturés, en 1996, 4.560 francs par personne. Ils ont été financés par plusieurs entreprises qui les ont imputés sur leur contribution à la formation professionnelle.
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Les sectes reconverties dans la formation professionnellePlusieurs mouvements sectaires, connus pour des pratiques extérieures au monde de l’entreprise, se sont reconvertis dans la formation professionnelle.
Anthropos fait partie des sectes répertoriées parmi les mouvements issus du Nouvel-âge. Fondée sur le holisme, c’est-à-dire sur une conception épistémologique qui relie chaque énoncé scientifique au domaine dans lequel il voit le jour, cette secte cherche à " développer l’homme dans son corps et dans son esprit ". Créée par Bernard Alexandre, Anthropos a trouvé un débouché dans la formation par la conception d’un séminaire d’activation mentale mélangeant des techniques sophrologiques et de la programmation neuro-linguistique. Ce stage a été introduit sur le marché par plusieurs organismes immatriculés auprès de l’administration de la formation professionnelle. Il est actuellement proposé aux entreprises par le Centre Michel Odoul, du nom du successeur de Bernard Alexandre décédé en 1996, qui a déclaré régulièrement son activité au SRC d’Ile-de-France, et semble constituer la structure la plus active.
L’Institut des sciences holistiques de l’Ouest appartient à la même mouvance. Fondée dans la région de Nantes, cette secte a connu une expansion importante à partir du début des années 1980 avec la création de plusieurs structures de vente de produits diététiques, ésotériques ou biologiques. Elle s’est plus récemment investie sur le marché de la formation professionnelle, ses deux dirigeants, MM. Jean-Pierre Le Gouguec et Gilles Pagé s’étant immatriculés auprès du SRC de Bretagne comme formateurs individuels. A ce titre, ils ont dispensé, sous le couvert de leur numéro d’immatriculation, des stages intitulés " soins du corps énergétique " destinés à former des thérapeutes capables d’appliquer les techniques de la secte et de traiter ses thèmes favoris, comme le reiki, le karma et la réincarnation, la cristallo-thérapie ou les élixirs floraux. D’une durée totale de 130 heures réparties sur une ou deux années, ces stages ont été suivis par des personnes à titre individuel et à leurs frais. Une autre convention de formation fait état d’une prestation intitulée " psychologie holistique " qui se déroule sur trois ans afin d’initier des psychothérapeutes spécialisés dans les relations humaines et les phénomènes d’émergence spirituelle. Le produit annuel tiré de ces formations, tel qu’il ressort des déclarations faites par les deux formateurs, se situe selon l’exercice entre 354.237 et 664.162 francs par an et par personne. On notera également qu’une attestation justifiant l’exonération de TVA a été fournie aux deux formateurs.
Mme Claude Bardin a fondé Vital Harmony au château de Vaux dans le Loiret afin de créer un centre spirituel de guérison appliquant les préceptes qu’elle a appris dans l’ashram de Saï Baba en Inde. Ce centre est devenu un important complexe proposant des cures et des séjours de remise en forme physique et de ressourcement spirituel. La Commission a eu connaissance de deux organismes de formation professionnelle liés à cette secte : Excellence international, en activité dans le Nord-Pas-de-Calais et qui a fait l’objet de plusieurs plaintes émanant d’entreprises ; et Agorh conseil SARL, immatriculée dans la région centre.
Vital Harmony est surtout présente sur le marché de la formation professionnelle à travers M. Jacques Michel Sordes, proche de Mme Claude Bardin, mêlé à plusieurs affaires d’escroquerie en tout genre portées devant les tribunaux et dont le cabinet a été enregistré à Paris comme organisme de formation. Cette immatriculation a permis à M. Sordes de proposer des cures anti-stress ou d’amaigrissement, chèrement payées et assorties de la vente de produits nutritionnels. Le " formateur " a même tenté de mettre en place un réseau d’instructeurs sous licence.
M. Sordes exerce actuellement dans le centre " Jacques M. Sordes- Forme autrement " à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne, où il propose, en sa qualité de formateur, différentes prestations, comme le stage Exsanli (excellence sans limite) d’une durée de 7 sept jours vendu pour 7.700 francs, ou des cures de " physio-neuro-énergie " (PNE) de 8 jours coûtant 14.285 francs. Les documents publicitaires précisent les méthodes utilisées pour ces cures, et citent notamment le recours à des " outils de détoxination que sont le jeûne, une diète végétarienne, une mono-diète, des irrigations côloniques, des bains bouillonnants à l’ozone, des séances de sudation … ". Un séjour " ressourcement " à Tonneins comprend des séances de méditation, des marches collectives ou des excursions, et, éventuellement, des " soins " (drainage lymphatique, pressothérapie, cryothérapie…), suivis d’un " partage du vécu de la journée ", la soirée pouvant être consacrée à des entretiens privés avec l’un des responsables du centre, et le tout étant entrecoupé de repas constitués d’un bouillon de légumes, la diète étant une des composantes essentielles de la PNE.
Cette " arnaque " est vendue à l’aide d’un bordereau d’inscription sur lequel, en en-tête, figure la mention " Jacques M. Sordes (…) Organisme de formation déclaré à Paris sous le n° 11-75-181134-75 ". Les prestations dispensées par M. Sordes ont en outre une forte connotation paramédicale : même s’il indique avec prudence que sa méthode ne soigne pas les maladies, il prétend que les cures permettent " une meilleure efficacité du système immunitaire face aux agressions microbiennes et virales " et " une meilleure et plus rapide récupération post-opératoire ". En outre, plusieurs produits sont proposés pour accompagner les cures : en dehors des traditionnels livres, cassettes et films vendus entre 150 et 2.400 francs et intitulés, entre autres exemples, " créez votre sanctuaire intérieur " ou " l’argent et vivre l’abondance ", on trouve des compléments alimentaires (" chlorella ", " creen basic ", " test Ph urinaire " ou " plaques pôle énergie ") proposés entre 48 et 950 francs.
Les sectes guérisseuses se reconvertissent volontiers dans la formation professionnelle. Fondatrice du mouvement intitulé " Energie et création ", Mme Marie-France O’Leary prétend disposer de dons de guérisseuse et de magnétiseuse. Elle a créé dans la Nièvre l’entreprise " Energie et créativité ", rebaptisée récemment " Mon corps parle ", qu’elle a immatriculée auprès du SRC de la région Bourgogne. Grâce à cette immatriculation, elle exerce ses activité de " formatrice " auprès de particuliers pour des montants non négligeables (329.740 francs en 1998) pour lesquels elle bénéficie de l’exonération de TVA. On peut s’interroger sur le degré de rattachement de ses activités à la formation professionnelle. Dans la bilan pédagogique de 1998, on lit en effet les intitulés de stage suivants : " créer : les mot et l’image ", " je rêve et je réalise mon rêve ", " mon corps parle ", " le magnétisme " …
Le Corps miroir est une autre secte appartenant à la mouvance Nouvel-âge guérisseuse qui considère qu’il faut aller chercher la guérison dans sa propre conscience. Pour guérir, il faut en effet changer sa manière d’être et sa conscience en faisant appel aux membres de la secte, seuls détenteurs des énergies nécessaires. Plusieurs structures ont été créées en France pour diffuser les méthodes du Corps miroir, et notamment l’association " Système corps miroir ", remplacée par " Savoir changer maintenant " et immatriculée comme organisme de formation auprès du SRC de la région PACA. Cette dernière structure, gérée par Mme France Scaltritti, a déclaré avoir disposé en 1996 d’un produit de 96.800 francs tirés de recettes émanant de la formation professionnelle.
L’association " Savoir changer maintenant " a formé plusieurs instructeurs, notamment une personne dénommée Xanalt Lichy, enregistrée comme formateur individuel en Ile-de-France. Ce formateur apparaît dans une plaquette commerciale comme l’organisateur d’un stage dispensé par la société Kevala. Il s’agit d’une SARL ayant pour objet la conception, la fabrication et le négoce de produits diététiques, minéralogiques et cosmétologiques qui, dûment enregistrée au SRC de la région PACA, s’est spécialisée dans l’angélisme. Sous couvert de son numéro d’immatriculation auprès de l’administration de la formation professionnelle, numéro qu’elle présente comme un agrément, elle organise des stages de communication avec les anges, facturés 17.200 francs par personne hors hébergement. Les 152 stagiaires figurant au bilan pédagogique et financier viennent de France, de Suisse et du Canada. Kevala a déclaré en 1997 un chiffre d’affaires de 2.137.000 francs dont 890.000 francs apparaissent au bilan pédagogique et financier au titre de l’activité de formation. Cette société qui prétend communiquer avec les anges n’a pas, pour autant, renoncé à demander, et à obtenir de l’administration fiscale une exonération de TVA. Son immatriculation au registre du SRC a été considérée comme une preuve suffisante de son appartenance au champ de la formation professionnelle.
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Les sectes ayant une activité de formation annexePlusieurs sectes, parfois importantes par le nombre de leurs adeptes ou leur poids financier, et souvent connues du grand public pour leur prosélytisme exercé à l’extérieur de l’entreprise, ont décidé de créer des organismes de formation. Il s’agit d’une branche d’activité particulière, parfois située au sein d’une organisation aux ramifications complexes et pluri-sectorielles, destinée à asseoir l’influence de la secte dans la sphère économique.
Très active dans le secteur de l’éducation, l’Anthroposophie a logiquement constitué des organismes de formation, et notamment le Foyer Michaël, centre pour adultes spécialisé dans le développement personnel, qui a déclaré avoir atteint un chiffre d’affaires de 551.576 francs pour l’exercice 1997-1998, dont une partie a été financée par un FONGECIF et par l’Etat. Dans la même mouvance, NEF conseil SARL et l’Ecole libre Rudolph Steiner bénéficient ou ont bénéficié d’une immatriculation auprès d’un SRC.
La présence de l’Office culturel de Cluny sur le marché de la formation professionnelle est attestée par l’Association Sainte Espérance, immatriculée auprès du SRC de Rhône-Alpes et installée dans le château de Machy, principal centre d’activité de la secte. Cette dernière est surtout représentée par la SARL MK Conseils, déclarée en 1996 dans la région Centre par le président de l’Office, M. de Kiss. Cette société déploie une activité de formation importante, son chiffre d’affaires ayant atteint 2,7 millions de francs au cours de l’exercice 1997-1998. Elle a dispensé des formations auprès de salariés du Bazar de l’Hôtel de Ville à Paris, de Cap Gemini et de Philips.
Le Mouvement du Graal a une activité de formation à travers le Groupe d’enseignement en acupuncture nouvelle et traditionnelle (GEANT), immatriculé depuis 1988 dans le Nord-Pas-de-Calais. Ce groupe a déclaré avoir formé quatre sages-femmes à l’acupuncture et trente-et-un médecins dans le cadre de leur formation professionnelle continue. Ces stages sont révélateurs de l’influence du mouvement dans les milieux médicaux. La Commission ne cache pas son inquiétude devant leur existence. Il s’agit en effet de stages dispensés par une secte dont plusieurs membres sont médecins et ont été sanctionnés par leurs instances ordinales.
La Nouvelle acropole a disposé d’un organisme de formation à travers la société Hermès consultants dirigée par Mme Isabelle Ludwig, présidente de l’association mère de la secte. Immatriculée au SRC d’Ile-de-France, cette société, aujourd’hui radiée du registre du commerce, a notamment formé des salariés de la FNSEA.
Le Mandarom a également constitué une branche formation professionnelle avec l’Ecole des arts et des sciences de la vie, dénommé Hamsah Institut. Il s’agit d’une association installée à Aubagne dans les Bouches-du-Rhône. Disposant d’un numéro d’immatriculation qu’elle présente dans sa plaquette publicitaire comme un numéro d’agrément, elle propose notamment une formation intitulée " la santé par la maîtrise des lois naturelles régissant l’homme et son environnement " qui comprend plusieurs cycles destinés à rendre le stagiaire apte à exercer les soins et les bilans de santé, puis à se spécialiser dans une des techniques enseignées par l’école (nutrithérapie, médecine énergétique ou aryuvédique, aromathérapie, herboristerie …).
C’est également le cas de la Fraternité blanche universelle au sein de laquelle Mme Danièle Kieffer, une des responsables de la secte, a fondé l’association Cenatho, immatriculée comme organisme de formation depuis 1990, dont l’activité de formation semble particulièrement dynamique, le bilan pédagogique et financier de 1997 faisant apparaître un chiffre d’affaires de 1.957.595 francs.
Par ailleurs, la Méditation transcendantale, pourtant a priori peu présente dans le monde de l’entreprise, a immatriculé auprès de l’administration de la formation professionnelle une de ses implantations, le Centre de formation pour l’optimisation des ressources humaines (FOREH). Installé à Mirande dans le Gers, ce centre propose des itinéraires pédagogiques destinés notamment à connaître " les sources de la créativité " par l’utilisation de la technique de la méditation transcendantale. D’une durée de 20 heures, ce stage était facturé 5.000 francs en 1995.
Enfin, la Maison de Jean, mouvement mêlé à plusieurs affaires judiciaires, s’appuie sur la société Exoforma, structure gérée par le dirigeant de la secte, M. Claude André, et immatriculée en Ile-de-France comme organisme de formation. Exoforma a conclu plusieurs conventions de formation avec l’ANFA , organisme de formation et de mutualisation du secteur automobile, au sein duquel M. André était, au moment de la signature de ces conventions, responsable des affaires générales et sociales. Ainsi, dans le cadre du plan de formation du personnel de l’ANFA, Exoforma a réalisé une initiation à des logiciels de bureautique pour 27.500 francs. La société a également reçu de l’ANFA 24.000 francs pour un module destiné à des jeunes sous contrat d’orientation à l’emploi. Elle a enfin été retenue par le même organisme pour l’exécution d’un marché de 450.000 francs comprenant la réalisation d’une opération de diffusion de supports d’information destinés à promouvoir les métiers de la profession de la branche automobile. L’ensemble de ces conventions a été conclu au début des années 1990. Pour autant, Exoforma semble avoir déclaré au SRC une activité qui ne reflète pas l’importance des prestations réalisées.
Très présentes sur le marché de la formation professionnelle, les sectes agissent souvent en enfreignant la loi. Malgré leur manque de moyens, les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle ont mis à jours plusieurs cas d’infraction au code du travail qui sont un indice de l’ampleur de la fraude déployée.
La transgression des règles de déclaration des formateursLes formateurs liés à des organisations sectaires, qu’il s’agisse de personnes physiques, de sociétés ou d’associations, ne respectent pas toujours les règles prévues par le code du travail en matière de déclaration et d’utilisation du numéro d’immatriculation.
Certains formateurs ne sont pas enregistrés. C’est, par exemple, le cas de Mme Jacqueline Moreau, " master " licencié par Star’s Edge international, qui a diffusé auprès d’entreprises de la région PACA un document publicitaire proposant des stages Avatar, dans lequel elle se prétend " agréée par la formation permanente " alors qu’elle n’était même pas déclarée auprès du SRC de sa région.
Les exemples d’utilisation d’un numéro d’immatriculation déclaré caduc par l’administration sont assez fréquents, et montrent la limite du dispositif de radiation mis en place en 1990. Récemment installé au 11 boulevard Montmartre à Paris, Landmark education international continue à proposer des stages alors que l’administration lui a notifié la caducité de sa déclaration. De même, M. Jacques Michel Sordes continue à se prévaloir de son numéro d’immatriculation en Ile-de-France en le mentionnant sur les documents publicitaires de formations qu’il organise actuellement dans son centre du Lot-et-Garonne. Il déploie également une activité, sous le même numéro, en Martinique et en Guadeloupe. L’Institut des sciences holistiques de l’Ouest utilise encore les numéros d’immatriculation de M. Pagé et de Mme Le Gouguec, alors que, comme on va le voir ci-dessous, le préfet de la Région Pays-de-Loire leur a interdit une telle utilisation.
L’infraction la plus fréquente consiste à faire passer un numéro d’immatriculation pour un numéro d’agrément, et à en faire état dans des documents publicitaires, contrairement aux dispositions de l’article L. 920-6 du code du travail. Un tel détournement est notamment utilisé par l’Ecole des arts et des sciences de la vie liée au Mandarom, par Mme Carole Hannequin (" master " avatar) et par M. Sordes. Il s’agit en effet d’une pratique difficilement contrôlable, et un seul exemple de poursuite engagée sur de tels faits a été porté à la connaissance de la Commission. Il porte sur l’Institut de sciences holistiques de l’ouest qui a été condamné en 1996 pour utilisation d’un numéro d’immatriculation comme un label public attestant sa qualité de formateur.
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Le financement d’actions ne relevant pas de la formation professionnelleLes services régionaux de contrôle ont pu démontrer que certaines formations dispensées par des organismes sectaires n’entraient pas dans le champ de la formation professionnelle. Ces exemples apportent la preuve que les sectes détournent l’obligation de contribution des entreprises pour financer leurs actions de prosélytisme.
Les contrôles des SRC s’appuient sur une décision du Tribunal administratif de Strasbourg rendue au sujet d’un stage de développement dispensé par un organisme non lié à une secte, mais dont le contenu se rapprochait des techniques employées par ces dernières. Le tribunal a en effet considéré que " les actions dont la finalité est la prise de conscience de soi et des autres ou les actions qui sont utilisées comme démarche de développement personnel des participants ne relèvent pas directement de la formation professionnelle continue telle que définie par le législateur ".
À la suite de contrôles, plusieurs stages dispensés par les organismes ou les personnes mentionnées plus haut ont ainsi fait l’objet d’une décision de rejet de la part de l’administration de la formation professionnelle, au motif qu’ils ne pouvaient pas être rattachés aux catégories des actions définies à l’article L.900-2 du code du travail. Les séminaires Avatar organisés par Otium ont été par exemple assimilés à " une démarche strictement personnelle " et exclus à ce titre du champ de la formation professionnelle. De même, les caractéristiques des stages de développement personnel organisés par l’Institut des sciences holistiques de l’Ouest ont poussé l’administration à considérer les dépenses correspondantes comme extérieures à ce champ. C’est également le traitement qui a été réservé aux séminaires développés par Innergy qui ont été apparentés à une simple " démarche de développement personnel visant à l’amélioration du bien-être de l’individu ", et à la méthode Silva dont le contrôle a démontré qu’elle reste centrée sur " le mieux-être personnel (…) au moyen de méthodes relevant de la psychologie ou de la thérapie individuelles ".
Le contrôle réalisé sur les stages Avatar organisés par le Centre d’épanouissement personnel de Céret dans les Pyrénées-orientales a montré que la secte a utilisé le dispositif de la formation professionnelle pour financer non seulement son action de prosélytisme, mais aussi les frais individuels de ses dirigeants. Le contrôleur a en effet mis en évidence que ces derniers ont imputé sur les frais du stage d’importantes et nombreuses dépenses personnelles ou directement liées à la préparation d’activités extérieures. Une partie des fonds publics estimée à 229.223 francs a donc servi à financer des voyages et de séjours en France et à l’étranger, des achats d’ouvrages et des frais de publicité.
Bien qu’elles soient encore trop rares, les décisions prises par l’administration sur le fondement de la jurisprudence administrative permettent de remettre à leur juste place les stages de développement personnel conçus par les sectes. Elles montrent qu’il s’agit de simples actions de sensibilisation à une méthode particulière, parfois accessible à des enfants c’est-à-dire à un public non professionnel, et ne permettant pas la transmission d’un acquis mesurable. Une telle mise au point a le mérite de tenter d’endiguer le développement de techniques souvent caricaturales – les exemples examinés plus haut en sont l’illustration – préjudiciables aux conséquences positives que les travaux menés dans le domaine du développement personnel peuvent apporter à la vie de l’entreprise en améliorant les compétences professionnelles.
Pour autant, les conséquences juridiques de telles décisions ne sont pas clairement définies par le code du travail. Le rejet de dépenses de formation entraîne le remboursement par l’organisme des sommes correspondantes. S’il démontre que l’activité n’entre pas dans le champ de la formation professionnelle, le SRC peut retirer le bénéfice de l’exonération de TVA et en avertir les services fiscaux. Ce retrait ne semble cependant pas systématique. La Commission n’a par exemple retrouvé aucune trace des effets du contrôle du Centre d’épanouissement personnel sur son assujettissement à la TVA. Au demeurant, ni le code général de impôts ni l’instruction fiscale publiée sur ce point n’indiquent la marche à suivre. De même, les conséquences des contrôles sur la validité des déclarations des organismes ne sont pas précisées par le code du travail. Dans le cas de l’Institut des sciences holistiques de l’ouest, le préfet a interdit aux formateurs d’utiliser à l’avenir leur numéro d’immatriculation. Une telle décision fait cependant figure d’exception, et la législation mériterait d’être plus précise sur ce point. Enfin, les possibilités d’amendes semblent peu utilisées. Le détournement de fonds publics mis en évidence par l’affaire du Centre d’épanouissement personnel n’a, à la connaissance de la Commission, entraîné le paiement d’aucune amende au Trésor. De telles dispositions sont pourtant prévues aux articles L.920-9 et L.920-10 du code du travail.
Les possibilités de poursuites pénales ne semblent pas, elles non plus, être utilisées. La Commission n’a eu connaissance d’aucun exemple de procédure pénale engagée par l’administration de la formation professionnelle à l’encontre de personnes liées à des organisations sectaires pour des faits entrant dans le cadre de leurs activités de formation, bien que ces poursuites soient prévues par le code du travail.
Ce constat s’explique, non par la rareté des infractions, mais plutôt parce que l’administration semble peu encline à saisir le parquet des affaires qu’elle découvre lors de ses contrôles. Il est par exemple symptomatique qu’aucune poursuite n’ait été engagée dans l’affaire du Centre d’épanouissement personnel de Céret.
L’influence que les sectes ont acquise sur le marché de la formation professionnelle est révélatrice de l’état d’un secteur qui, en se développant très rapidement, a donné naissance au meilleur comme au pire. La Commission souhaite proposer des modifications de la réglementation qui permettent au dispositif d’agrément voté en 1995 d’être enfin appliqué. Elle suggère également des aménagements techniques susceptibles de freiner le développement des pratiques sectaires. Enfin, elle compte sur une plus grande mobilisation des acteurs concernés grâce à un programme de sensibilisation et l’utilisation de toutes les dispositions offertes par le code du travail.
a) Permettre un agrément et un contrôle efficaces
L’obstacle avancé pour expliquer la non-application de la loi du 4 février 1995 repose sur un manque de moyens : l’Etat ne dispose pas, ou ne veut pas affecter, des effectifs suffisants pour organiser l’agrément des organismes de formation. Le même argument est utilisé pour justifier l’extrême faiblesse du nombre de contrôles.
Afin de trouver une solution aux insuffisances chroniques de moyens mises en avant par l’administration, la Commission propose de confier l’agrément et le contrôle des organismes de formation à un établissement public administratif auquel une part de la contribution annuelle des employeurs serait affectée.
Cette " agence d’agrément et de contrôle " assurerait le rôle actuellement joué par le Groupe national et les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle. En s’inspirant des pouvoirs donnés à certains organismes comme l’Agence du médicament, elle disposerait d’inspecteurs et, de manière plus générale, de moyens conséquents, directement financés sur les fonds de la formation.
Sur ce point, la fusion en cours d’achèvement du corps des inspecteurs du travail et de celui des inspecteurs de la formation professionnelle risque d’avoir un effet contreproductif qui renforce la nécessité de la réforme proposée par la Commission. On peut craindre en effet que cette fusion se traduise par une marginalisation du contrôle des activités de formation, les agents de ce corps unifié privilégiant les compétences traditionnelles de l’inspection du travail.
Le montant du prélèvement sur la contribution des employeurs au financement de la formation professionnelle serait affecté à cette agence dans une proportion fixée en fonction de ses besoins. Cette recette ne se traduirait par aucune augmentation des charges des entreprises, puisqu’elle serait prélevée sur le montant de la contribution à enveloppe constante.
b) Des aménagements techniques utiles
La réglementation de la formation professionnelle mériterait d’être aménagée sur deux points : l’automaticité de l’exonération de TVA, et les conséquences des contrôles sur l’immatriculation des organismes.
L’octroi d’un avantage fiscal fondé sur une simple déclaration d’activité semble constituer un facteur de multiplication des structures, et susciter un effet d’appel préjudiciable à l’homogénéité du marché et à la qualité des formations. La Commission suggère de réserver l’exonération aux organismes dûment agréés.
Le code du travail ne fixe pas les conséquences des contrôles sur l’immatriculation des formateurs. Tout organisme dont un contrôle a révélé qu’il ne rentrait pas dans le cadre de la formation professionnelle ou qu’il s’est prêté à des manœuvres frauduleuses ne perd donc pas automatiquement le bénéfice de sa déclaration préalable, et peut continuer à utiliser son numéro d’immatriculation. Il conviendrait par conséquent de donner explicitement à l’administration, parallèlement au dispositif de caducité actuellement en place, le pouvoir de retirer l’immatriculation aux organismes contrôlés. De telles décisions devraient être motivées et resteraient soumises au contrôle du juge.
c) Une plus forte implication de l’administration
La distorsion grandissante entre le nombre d’organismes de formation et les moyens mis en œuvre par l’Etat montre combien il est urgent de mobiliser l’administration.
Sur ce point, la Commission soutient la disposition du projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui étend les compétences de la Cour des comptes aux organismes recevant des " cotisations légalement obligatoires " ou " des versements libératoires d’une obligation légale de faire ". Par cette disposition, la juridiction financière trouverait dans la formation professionnelle un terrain particulièrement propice à son contrôle. Cette mesure contribuerait à combler une partie de l’actuelle insuffisance des moyens de contrôle.
Le code du travail prévoit plusieurs dispositions que l’administration n’utilise pas ou peu. Les manœuvres frauduleuses qui ont été examinées plus haut n’ont, par exemple, pas donné lieu à l’assujettissement à l’amende payable au Trésor public prévue à l’article L.920-9, ni aux poursuites pénales prévues à l’article L.993-2. Le rejet de dépenses pour le caractère excessif de leurs prix semble être peu appliqué. De même, les contrôles portés à la connaissance de la Commission montrent que les règles relatives à la publicité et au démarchage sont peu sanctionnées, bien qu’elles soient fréquemment tournées par les formateurs. Il est donc important que l’Etat utilise davantage toutes les dispositions que le code du travail lui offre.
La lutte contre le renforcement des réseaux sectaires dans la formation professionnelle passe également par une action de sensibilisation et de circulation des informations. Sur ce point, l’organisation régionale constitue un frein à leur diffusion. Un organisme de formation dont le lien avec un mouvement sectaire est connu d’un SRC peut s’implanter dans une autre région sans que l’information suive. La Commission suggère que, par voie de circulaire, une sensibilisation nationale à l’influence des sectes dans la formation professionnelle soit organisée au sein de toutes les administrations concernées, afin de décrire les méthodes de démarchage utilisées et les principales caractéristiques du contenu de stages dispensés et de présenter les infractions qui peuvent être retenues contre les formateurs concernés. Il est enfin indispensable que les entreprises soient alertées sur l’influence des sectes dans la formation par une campagne de sensibilisation organisée conjointement par l’Etat et les organisations professionnelles.
d) Encourager les efforts en faveur de la déontologie
La Commission considère que les efforts d’amélioration de la formation professionnelle, par le développement des labels de qualité, représentent un des meilleurs moyens de lutter contre l’influence des sectes.
Les travaux menés sous l’égide de l’AFNOR ont abouti à une certification " NF " des organismes de formation. Depuis 1990, un organisme professionnel de qualification (OPFQ) accorde un label en fonction de la pérennité, du professionnalisme et des références clients de la structure. Par ailleurs, certains secteurs ont mis en place leur propre label, comme le réseau des GRETA au sein de l’éducation nationale ou celui des chambres de commerce et d’industrie.
Ces expériences restent aujourd’hui embryonnaires. La qualification OPFQ ne concerne par exemple actuellement que 485 organismes. L’Etat a certainement un rôle d’incitation à jouer : il pourrait organiser avec la profession, et notamment la Fédération de la formation professionnelle, un programme de " labellisation " qui mettrait tout particulièrement l’accent sur les dangers que représentent les sectes pour la formation professionnelle.
II.— un poids financier insoupçonné
Mesurer la richesse des sectes n’est pas une tâche aisée. Les mouvements sectaires, à quelques exceptions près, entretiennent le mystère sur le montant des sommes qu’ils brassent. Dans ses investigations, la Commission s’est souvent heurtée à l’opacité des organisations et à la clandestinité des mouvements financiers. Les annexes au rapport font la synthèse des principales informations qui lui ont été communiquées sur trente sectes considérées comme financièrement les plus puissantes.
Un rapide examen de ces documents conduit à remarquer la présence de trop nombreuses rubriques non renseignées. Ainsi, la Commission n’a pas été en mesure d’apporter des informations chiffrées sur les revenus de plusieurs sectes, comme la Fraternité blanche universelle, l’Eglise universelle du royaume de Dieu ou Energo-chromo-kinèse. L’émergence de Prima Verba, Avatar ou Landmark, c’est-à-dire de mouvements éclatés en une multitude de personnes physiques ou morales chargées de propager la méthode ou le message sectaires, interdit toute globalisation des mouvements financiers en cause, bien que de nombreux indices montrent l’importance de la circulation d’argent. Ces lacunes s’expliquent souvent par l’absence d’enquêtes administratives et surtout par la fin de non recevoir que les mouvements concernés ont opposée au dialogue que la Commission a tenté d’instaurer en leur adressant un questionnaire. Sur ce point, l’attitude de la Scientologie est révélatrice : neuf des quatorze associations scientologues interrogées ont refusé de communiquer les résultats de leur comptabilité. Leurs réponses, rédigées sur un modèle unique, ne peuvent, aux yeux de la Commission, que renforcer la clandestinité qui entoure les pratiques de cette secte. L’attitude d’organisations comme Le Mandarom, le Mouvement raëlien et Tradition Famille Propriété, justifie la même appréciation: au-delà des protestations et des demandes d’audition, la Commission n’a reçu de leur part aucune réponse à ses questions.
Malgré leur insuffisance, les éléments réunis permettent de faire un constat d’ensemble : beaucoup de sectes ont acquis un véritable poids financier, et l’argent qui circule dans la mouvance sectaire atteint un niveau que la Commission ne soupçonnait pas. Ce constat est d’autant plus inquiétant que les chiffres qui vont être commentés et ceux qui figurent dans les documents annexés au rapport se situent, la Commission en a la certitude, en-dessous de la réalité. Les informations recueillies concernent les structures les plus apparentes et ne couvrent pas l’intégralité du réseau associatif sectaire, notamment les sommes rassemblées par les établissements locaux sur lesquels, faute de temps, la Commission n’a pas été en mesure d’enquêter de manière approfondie, à quelques exceptions près.
L’enquête a également permis de dégager des points communs dans l’origine et la finalité des biens détenus par les sectes. Malgré leurs différences d’inspiration, les sectes ont les mêmes sources de revenu et les mêmes manières de les utiliser. En d’autres termes, si toutes les sectes n’ont pas la même richesse, elles recourent à des méthodes comparables et montrent le même intérêt pour l’argent.
Tout d’abord, un constat d’évidence qui mérite néanmoins d’être rappelé : toutes les sectes ne sont pas riches dans la même proportion. Cette inégalité devant l’argent s’explique par l’ancienneté du mouvement, les organisations les plus anciennes disposant généralement des fortunes les plus solides. Le degré d’audience joue également dans l’importance de leurs revenus. Cette influence est d’autant plus grande que les adeptes constituent, la plupart du temps, la principale source de financement des sectes par les dons qu’ils lui apportent et les prestations ou produits qu’ils lui achètent. La richesse d’une secte dépend aussi de son aptitude à recueillir de l’argent, et il existe sur ce point, on va le voir, des mouvements plus ou moins efficaces.
La Commission n’est pas en mesure d’établir un palmarès précis des plus grandes fortunes sectaires françaises. Ce n’est au demeurant ni son souhait, ni son objet. Elle souhaite en revanche faire la distinction entre plusieurs niveaux de richesse. Ces niveaux découlent des informations qu’elle a recueillies sur les trente mouvements considérés comme financièrement les plus puissants. Deux critères ont été pris en considération : d’une part le " chiffre d’affaires " de la secte, c’est-à-dire le montant des revenus annuels de l’organisation (le terme de chiffre d’affaires devant être pris dans une acception plus large que son sens comptable strict) ; d’autre part le patrimoine de la secte tel qu’il peut être appréhendé à travers le montant de l’actif qui figure dans les comptes de ses structures, et à partir de l’évaluation de ses biens immobiliers. Mesurées selon ces deux étalons, les sectes peuvent être réparties en cinq catégories.
1.– Les deux sectes les plus riches
Deux organisations sortent incontestablement du lot par le poids financier qu’elles représentent. Il s’agit des Témoins de Jéhovah et de la Scientologie.
Les responsables des instances dirigeantes de l’organisation jéhoviste ont accepté de répondre à la plupart des questions de la Commission. La consolidation des éléments qu’ils ont transmis permet d’évaluer le chiffre d’affaires de la secte à 200 millions de francs par an (soit 130 millions de francs provenant des associations nationales et 70 millions de francs des associations locales) et son actif net comptable à un milliard de francs répartis entre 400 millions de francs détenus au niveau central et le patrimoine immobilier des implantations territoriales estimé à 600 millions de francs. Cette évaluation n’inclut cependant pas le portefeuille financier que les associations locales détiendraient.
Faute d’éléments précis communiqués par les associations scientologues, le poids financier de la secte créée par Ron Hubbard est plus difficile à évaluer. La Commission dispose cependant de l’estimation réalisée au moment du procès de l’Eglise de scientologie de Lyon. À partir de cette enquête dont le détail est exposé plus loin, le chiffre d’affaires de la Scientologie en Europe peut être estimé à plus de 300 millions de francs par an, sur lesquels, selon des informations extra-judiciaires présentées ci-dessous, 60 millions de francs au moins viendraient de France.
On peut regrouper sous cette appellation huit des trente sectes présentées en annexe. Il s’agit de mouvements qui, sans atteindre les montants recueillis par les Témoins de Jéhovah et la Scientologie, drainent plusieurs dizaines de millions de francs chaque année. La Soka Gakkaï est, par sa richesse, la troisième secte implantée en France : son patrimoine, acquis en partie grâce aux apports venant de l’organisation mère, représente 240 millions de francs, et son budget annuel atteint, certains exercices, une vingtaine de millions de francs. Viennent ensuite l’AMORC avec un actif net comptable de 140 millions de francs et une trentaine de millions de recettes annuelles, puis Mahikari avec respectivement 60 et 15 millions de francs. On trouve également l’Eglise néo-apostolique dont les recettes sont estimées, certaines années, à près de 20 millions de francs, et qui dispose d’un patrimoine immobilier estimé à plus de 130 millions de francs.
Bien que la Commission ne dispose pas d’éléments directement issus de leur comptabilité, le Mandarom et l’Anthroposophie disposent indiscutablement d’une " grosse fortune ". Les mouvements de fonds réalisés par la première atteignent en effet plusieurs dizaines de millions de francs, et les immeubles de la seconde sont estimés à plus de 33 millions de francs.
Par ailleurs, deux mouvements détiennent encore une indéniable puissance financière assise sur des investissements anciens, bien que, pour des raisons différentes, leur influence en France soit remise en question. Dianova dispose toujours d’un parc immobilier évalué à plus de 100 millions de francs, issu des achats réalisés par les structures créées par M. L.J. Engelmajer. La branche française de la secte Moon est également à la tête d’un patrimoine parfois prestigieux qui, d’après les éléments transmis à la Commission, dépasse 40 millions de francs.
Plusieurs mouvements atteignent chaque année un chiffre d’affaires allant de 5 à 20 millions de francs, et entrent ainsi dans la moyenne des revenus sectaires. Huit des trente groupes faisant l’objet d’une annexe se situent dans cette moyenne.
On y trouve Ogyen Kunzang Chöling dont les recettes annuelles sont estimées à 25 millions de francs, l’Eglise du Christ (entre 7 et 9 millions de francs), Invitation à la vie et l’Office culturel de Cluny (6 millions de francs certaines années). De même, avant la fin de ses activités, le budget d’Au cœur de la Communication (ACC) dépassait 5 millions de francs. L’ensemble de ces mouvements, à l’exception de l’Eglise du Christ et d’ACC, dispose par ailleurs d’un patrimoine honorable qui oscille entre 4 et 10 millions de francs.
Trois sectes n’ont pas communiqué le montant de leur budget, mais l’importance des biens immobiliers qu’elles possèdent ou qu’elles utilisent permet de les situer dans la moyenne de leur " congénères ". Il s’agit de Krishna, de Tradition famille propriété et du Mouvement du Graal qui contrôlent un patrimoine supérieur à 10 millions de francs.
Les autres organisations sectaires semblent, si l’on en croit les montants qu’elles ont déclarés, disposer d’un poids financier moindre. Comme le montrent les annexes, c’est apparemment le cas de quatre sectes sur lesquelles la Commission a recueilli des informations relativement précises qui montrent que leurs budgets varient entre 1 et 3 millions de francs. Il s’agit souvent d’organisations dont l’audience est plus réduite. Elles n’en sont pas pour autant dénuées de moyens financiers, comme le montrent les exemples des Roses Croix d’or et de la Pentecôte de Besançon dont le parc immobilier est évalué à une quinzaine de millions de francs.
S’agissant des mouvements qui, bien que répertoriés dans le rapport de 1995, ne font pas l’objet d’une analyse spécifique en annexe, la Commission n’a pas eu connaissance d’informations montrant l’existence d’une puissance financière particulière. Elle aurait tendance à ne leur attribuer qu’un poids financier moindre, tout en gardant une certaine prudence devant les possibilités d’activités clandestines et d’investissements par personnes interposées que recèle toute activité sectaire.
Sept sectes ne peuvent être rattachées à aucun des groupes précédemment décrits. Aucune information suffisamment précise n’a en effet été communiquée à leur sujet, soit que les organisations concernées aient refusé de répondre aux questions de la Commission, soit que leur adresse et l’identité de leurs dirigeants n’aient pas pu être établies, soit enfin que leurs structures soient trop dispersées pour autoriser toute tentative de globalisation. Il s’agit du Mouvement raëlien, de la Fraternité blanche universelle, d’Orkos, de Landmark, de la méthode Avatar, d’Energo-Chromo-Kinèse et de la Fédération d’agrément des réseaux (FAR).
Même si une évaluation de leur poids financier est impossible, les éléments relatifs au patrimoine immobilier utilisé par ces sectes, ainsi que les résultats des contrôles fiscaux réalisés sur certaines d’entre elles, permettent, on y reviendra, de constater qu’elles sont loin d’être guidées par des mobiles parfaitement désintéressés.
B.— des revenus d’origines comparables
La richesse des sectes trouve son origine dans deux principales sources : les dons et le produit de leurs activités. S’y ajoutent des possibilités de financements publics qui représentent des montants moindres, mais montrent la capacité des organisations sectaires à détourner des aides mises en place dans une finalité parfaitement extérieure à leurs pratiques. Ces trois modes de financement ne sont pas incompatibles entre eux : une même organisation peut les cumuler, même si, en règle générale, sa richesse est fondée sur une source dominante.
Les dons restent le fondement essentiel de la richesse des sectes. Les mouvements les plus riches ont acquis leur fortune à partir des " offrandes " de leurs adeptes. La plupart des organisations demandent à leurs membres de donner pour leurs associations, dans des proportions et selon des méthodes de collecte différentes. Cette pratique est au demeurant conforme à la loi de 1901 qui autorise les dons manuels.
Les sommes qui, chaque année, passent des membres à l’organisation peuvent atteindre des montants très importants. Les instances nationales des Témoins de Jéhovah ont déclaré avoir recueilli, au cours de l’exercice 1997-1998, un total de dons représentant 85,6 millions de francs, auxquels s’ajoutent les offrandes consenties aux associations locales qui sont estimées à 70 millions de francs par an. On peut donc considérer que les sommes versées chaque année par les Témoins de Jéhovah dépassent 150 millions de francs, en précisant que ce montant n’inclut ni les dons consentis sous forme de prêts, ni les offrandes remises en échange des publications de la secte.
On relève le versement, par les adeptes, de contributions importantes chez la plupart des sectes disposant d’une " grosse fortune ", même si, compte tenu de l’audience des organisations concernées, les montants en cause n’atteignent jamais les sommes drainées par le mouvement jéhoviste. L’AMORC a reçu de ses membres, au cours des derniers exercices, entre 21 et 24 millions de francs par an. La fourchette se situe à des valeurs comparables pour les mouvements suivants : Soka Gakkaï (entre 13 et 18 millions de francs) et Mahikari (9,7 millions de francs en 1996). De même, l’essentiel des 5 à 9 millions de recettes annuelles de la branche française de l’Eglise internationale du Christ provient de dons. Ce constat est également valable pour Ogyen Kunzang Chöling, l’Eglise néo-apostolique et la Pentecôte de Besançon. Enfin, le rappel d’impôt de 8,6 millions de francs, hors pénalités, prononcé par application des droits d’enregistrement aux dons manuels perçus par le Mandarom montre que les offrandes versées à cette secte atteignent, chaque année, plusieurs millions de francs, voire plusieurs dizaines de millions de francs. Cette conclusion est confirmée par l’importance des montants brassés par les adeptes et par les sommes placées hors de France. En 1996 notamment, le Mandarom disposait de 14,7 millions de francs en liquidités qu’il a déposés en Italie dans des circonstances sur lesquelles on reviendra. Une telle somme pouvait difficilement provenir de la seule vente des prestations et produits proposés sur le site de Castellane, et devait donc inclure des dons versés en espèces.
L’importance des sommes qui viennent d’être citées pose la question de l’origine réelle des dons versés en espèces, et incite parfois à rattacher certaines pratiques sectaires à des activités de blanchiment d’argent sale. L’encaissement de sommes présentées comme des dons peut effectivement servir à blanchir des fonds d’origine douteuse.
Avant d’être abandonnée, une procédure pour blanchiment d’argent a été envisagée sur le Mandarom. Il a en effet été établi qu’en 1995 un adepte de la secte a déposé sur son compte 610.000 francs en espèces alors qu’il n’avait aucune ressource connue ni aucune activité professionnelle. Cette somme a permis l’acquisition d’une maison d’habitation pour 970.000 francs dont près de la moitié à été réglée en espèces. L’affaire a cependant été classée sans suite le 3 novembre 1997.
En tout état de cause, justifiés par les rites " cultuels " créés par la secte ou par l’aspect religieux dont elle a habillé la diffusion de son message, les dons sont devenus partie intégrante du sectarisme. Dans toutes les salles du royaume des Témoins de Jéhovah, a été installé un tronc par association destinataire de la générosité des adeptes, rappelant ainsi l’importance que l’argent joue au sein de la secte. Certains mouvements ont établi une périodicité de versement : ils sollicitent leurs membres tous les mois, voire, dans le cas de Sahaja Yoga, toutes les semaines. Les sectes considèrent que les dons constituent un acte naturel dans la vie de leurs adeptes. Sahaja Yoga et Invitation à la vie les assimilent même à une action utile à la société toute entière puisque, d’après leur réponse au questionnaire de la Commission, ces deux associations remettent en toute illégalité à chaque donateur un reçu ouvrant droit déduction fiscale.
L’importance acquise par les dons dans le financement du sectarisme pose le problème de la spontanéité des versements et la question des services qui peuvent être consentis en contrepartie. Apparemment légaux, les dons, compte tenu de leur montant, soulèvent deux interrogations : sont-ils réellement des offrandes volontaires ou s’assimilent-ils à des prélèvements obligatoires ? S’agit-il de véritables dons ou d’une facturation déguisée des prestations ou des produits distribués par la secte de manière à cacher le caractère lucratif de son activité ?
a) L’appréciation du degré de spontanéité des dons
Le degré de spontanéité des dons versés aux sectes est une question particulièrement délicate. La Commission n’a pas été en mesure de le mesurer. Elle n’en a pas eu le temps, et quand bien même les délais qui lui étaient impartis auraient été plus longs, elle n’y serait probablement pas parvenue. Le caractère spontané d’un don est avant tout une question d’appréciation subjective qui ressort de témoignages difficilement exploitables, soit qu’ils proviennent d’adeptes convaincus par le message de l’organisation à laquelle ils appartiennent, soit qu’ils émanent d’anciens adeptes dont on peut craindre qu’ils cherchent à régler leurs comptes, sans souci d’objectivité.
Il n’en reste pas moins que la Commission a recueilli des informations qui mettent sérieusement en doute la spontanéité des dons. Il est connu que plusieurs sectes fixent le montant des offrandes en fonction des revenus des adeptes, et les assimilent ainsi à une véritable dîme. Le coût de l’adhésion au Mouvement raëlien français représenterait par exemple 7 % du revenu des membres, l’appartenance au " gouvernement mondial géniocrate ", instance supérieure de la secte, atteignant même 10 %. Interrogés sur ce point, les dirigeants de Raël n’ont pas accepté de répondre, et entretiennent par conséquent la suspicion qui pèse sur leurs pratiques. De même, la Commission n’a obtenu aucune réponse de l’Eglise universelle du royaume de Dieu ni de l’Eglise internationale du Christ auxquelles on attribue un prélèvement de, respectivement, 20% et 10%.
Les méthodes utilisées pour augmenter le rendement des dons font incontestablement planer le doute sur la réalité de leur spontanéité. Mahikari dispose, par exemple, d’une comptabilité permettant un suivi très précis des rentrées. Chaque implantation de la secte fait l’objet d’un compte particulier qui mesure en temps réel le résultat de la générosité de ses adeptes. Les offrandes sont organisées selon un classement qui comprend plusieurs degrés déterminant l’importance du versement. Lorsqu’un membre quitte la secte, il serait invité à trouver une personne susceptible de compenser le manque à gagner.
On retrouve une organisation similaire au sein de l’Eglise du Christ. La Commission a eu accès à des comptes internes du mouvement qui n’ont pas été démentis par la secte, cette dernière n’ayant pas accepté de répondre aux questions qui lui étaient posées. Ces documents ventilent les dons entre des " collectes hebdomadaires " versées en application d’un pourcentage du revenu des adeptes, et des " collectes de missions " organisées une à deux fois par an et dont le montant est fixé par avance. Les comptes de dépenses laissent apparaître des frais de location importants (1,4 million de francs en 1996) qui correspondent à la réservation des salles utilisées pour organiser ces collectes, la secte ayant l’habitude de réunir ses adeptes dans plusieurs lieux prestigieux de la capitale, comme la salle Gaveau ou la Mutualité. En outre, chaque membre serait invité à ouvrir un compte d’épargne dédié au dépôt des économies qu’il destine à la secte.
Les Témoins de Jéhovah ont adopté une stratégie d’incitation plus habile. Leurs publications prônent l’abnégation, tout en encourageant, souvent à l’aide de références bibliques, la générosité. Le caractère apocalyptique de la secte, et cette observation est vraie pour toutes les organisations de la même mouvance, est un atout de taille : la référence à imminence de l’apocalypse est souvent utilisée comme la justification de la nécessité des dons. L’existence d’incitation aux legs par la distribution de testaments pré-établis a été portée à la connaissance de la Commission qui n’a pas été en mesure d’en vérifier la réalité. En revanche, la force de persuasion des témoins chargés du prosélytisme est bien connue, de même que, on l’a vu, leur maîtrise des techniques de démarchage.
b) L’existence de contreparties aux offrandes
La spontanéité des dons versés aux sectes est également ternie par les prestations qui peuvent être fournies en contrepartie. Lorsqu’ils font du porte-à-porte pour proposer leurs publications, les Témoins de Jéhovah utilisent fréquemment la phrase suivante : " c’est gratuit, mais vous pouvez faire un don ". Ils ont en fait recours au procédé de la réciprocité, bien connu des spécialistes de la vente : en recevant un cadeau, on s’estime redevable vis-à-vis du donateur dans une proportion beaucoup plus importante que dans un rapport d’achat-vente direct. Ce procédé a notamment été utilisé au début des années 1980 par les adeptes de Krishna pour tenter de vendre des fleurs dans les aéroports américains. Ils avaient parfaitement compris que proposer un cadeau et laisser ouverte la possibilité de faire un don en contrepartie est une méthode beaucoup plus rentable que celle consistant à les vendre directement. L’essentiel des techniques de vente sectaires repose sur ce procédé.
Ce procédé présente en outre un intérêt fiscal : en déguisant sous la forme d’offrandes la vente de leurs prestations ou produits, les sectes ôtent à leurs activités leur caractère commercial le plus voyant. Il ne s’agit en effet pas de vente au sens strict du terme, mais de dons ouvrant droit à des contreparties. Cette tactique entraîne des conséquences fiscales directes, la présence d’un prix étant normalement exigée pour établir le caractère lucratif d’une activité.
Il est fréquent que les sectes offrent, en contrepartie des dons qu’elles reçoivent, des objets ou des services. Les rites auxquels certaines d’entre elles se livrent mêlent souvent le versement d’offrandes et la distribution d’objets cultuels. Dans leurs réponses au questionnaire de la Commission, plusieurs associations scientologues ont déclaré offrir à leurs généreux donateurs les services proposés par la dianétique. Il a été précisé par des représentants de la secte que la Scientologie pratique un système de " donations fixes " qui montre clairement qu’elle a recours à la vente déguisée. De même, les Brahma Kumaris mettent en avant la gratuité des cours ou conférences qu’ils organisent, mais ont en fait systématiquement recours aux dons qui se substituent à toute autre forme de participation financière.
Les Témoins de Jéhovah utilisent, avec une indéniable habileté, la fragilité de la frontière séparant ce qui relève du don et ce qui ressort de la vente. Ils expliquent que leur considérable production de publications est écoulée sous la forme d’offrandes. Il est vrai qu’aucun prix ne figure sur les brochures depuis une décision de la Cour suprême américaine, rendue en 1990 pour affaire extérieure à la secte, concluant à la taxation des revenus tirés des revues à caractère religieux. En France, le prix de 2 francs qui était traditionnellement mentionné sur les publications jéhovistes a disparu en 1991, et les revues sont écoulées en échange de dons qui atteignent en moyenne 10 francs par numéro, et dégagent ainsi un produit supérieur aux recettes perçues dans le dispositif antérieur. Le recours à la vente déguisée permet à la secte d’échapper aux impôts commerciaux. Le contrôle fiscal réalisé sur l’Association Les Témoins de Jéhovah, support juridique des opérations éditoriales de la secte, n’a pas pu établir le caractère lucratif de ses activités, faute de pouvoir rassembler le faisceau d’indices exigé par la jurisprudence, et notamment faute de prix clairement affiché.
S’agissant des dons versés par les Témoins de Jéhovah, la Commission a relevé un second phénomène d’évasion fiscale qui montre, une nouvelle fois, la capacité de la secte à adapter ses pratiques aux règles imposées par le droit. En effet, si les activités éditoriales de l’Association Les Témoins de Jéhovah n’ont pas été taxées, les dons qu’elle a reçus ont été assujettis aux droits d’enregistrement. Depuis cette taxation sur laquelle on reviendra, on constate que les offrandes sont de plus en plus versées sous forme de prêts de trois ans renouvelables. Les instances nationales de la secte ont reconnu l’existence de ces prêts. La Commission a ainsi eu connaissance de plusieurs centaines de déclarations relatives à des prêts consentis par des particuliers dont le montant unitaire se situe entre 30.000 et 900.000 francs. Elle est cependant incapable d’en mesurer l’encours au niveau national. L’importance de certains prêts laisse à penser que ce procédé d’évasion fiscale peut aussi s’analyser comme un moyen de contourner l’impossibilité juridique de bénéficier de dons et de legs.
Cette pratique pose le problème du suivi des créances, et du sort qui leur est réservé en cas de décès du donateur. L’extrême dispersion des donateurs (les Témoins de Jéhovah revendiquent 250.000 adeptes, fidèles et sympathisants) et le nombre très important de débiteurs (il existe au total plus de 1.500 associations jéhovistes susceptibles de recevoir des prêts) réduisent les possibilités de contrôler la réalité du remboursement de ces dettes qui, prises séparément, atteignent la plupart du temps des montants peu significatifs. Les dons sous forme de prêts constituent donc l’exemple d’une évasion fiscale caractérisée et particulièrement efficace.
Les sectes ne sont pas toujours exclusivement financées par les dons de leurs adeptes, mais exercent des activités qui peuvent leur apporter des revenus souvent importants. Ces revenus peuvent même parfois représenter la principale source de financement de l’organisation. Ils proviennent de prestations directement dispensées par les associations sectaires, indépendamment du réseau économique qui les accompagne. Ces prestations ne revêtent pas forcément un caractère lucratif, la notion de lucrativité étant, on l’a vu, définie selon des critères précis que les sectes s’évertuent à ne pas remplir pour échapper à l’impôt.
a) L’importance des revenus tirés des activités sectaires
L’activité sectaire type consiste à vendre, selon des modalités de paiement sur lesquelles on reviendra, des prestations de services comprenant généralement des cours, stages ou séminaires, souvent accompagnées par la vente d’ouvrages, de supports " pédagogiques " et de produits cultuels ou paramédicaux. Ces prestations et ces produits sont écoulés auprès des adeptes ou sympathisants qui forment une clientèle captive, essentielle à la santé financière de l’organisation.
Les activités sectaires peuvent représenter des " chiffres d’affaires " importants. Sur ce point, la Commission dispose de deux types d’informations : les résultats comptables de certaines associations sectaires lorsqu’ils lui ont été communiqués, et les redressements fiscaux pour activité lucrative non déclarée.
L’activité sectaire type constitue le fonds de commerce de la plupart des " petites " sectes auxquelles elle apporte le moyen d’équilibrer leur budget, les cotisations et les dons n’y parvenant généralement pas, faute d’un nombre suffisant d’adeptes. Invitation à la vie gagne par exemple plusieurs centaines de milliers de francs chaque année (1,1 million de francs en 1995) en vendant notamment des séminaires de " vibrations ", des cassettes et des bulletins. La recette tirée des produits et des activités proposés par la Nouvelle Acropole (revues, reproductions, livres, manuels, conférences, séminaires, voyages) représente, selon l’exercice, entre 1 et 1,3 million de francs. L’Office culturel de Cluny vend également une gamme de produits, et notamment des produits écologiques, qui lui apportent chaque année entre 2,8 et 4 millions de francs. La vente des écrits de M. Georges de Nantes, fondateur de la Contre-réforme catholique, et les abonnements aux publications de la secte produisent de leur côté entre 0,8 et 1,4 million de francs. Enfin, les séminaires d’Au cœur de la communication représentaient, pour les exercices où l’association était en pleine activité, entre 3 et 5,5 millions de francs par an.
Ces montants peuvent paraître anodins. Ils doivent cependant être considérés en gardant à l’esprit l’audience parfois réduite des sectes qui viennent d’être citées. Certaines d’entre elles ne comptent que plusieurs centaines d’adeptes, et le montant de leurs recettes montre l’importance des sommes qu’elles peuvent soutirer à leurs membres.
S’agissant de mouvements plus puissants, le rapporteur a disposé d’informations tirées des résultats des contrôles fiscaux. Plusieurs vérifications ont en effet établi le caractère lucratif des activités sectaires, et le montant des redressements prononcés apporte des précisions précieuses sur l’ampleur de ces activités. Le rapporteur n’a cependant pas été en mesure de rétablir, comme il l’aurait souhaité, le montant exact de l’assiette ayant servi de base aux redressements, l’administration fiscale ne lui ayant pas, à deux exceptions près, transmis une telle information.
L’importance des rappels d’impôts () prononcés en raison d’une gestion lucrative est révélatrice de l’étendue des activités exercées par cinq sectes. Même si certains de ces rappels portent sur des exercices anciens, ils constituent toujours une bonne illustration du poids financier que les pratiques sectaires représentent. Les ventes de livres, conférences et formations réalisées par le Mouvement raëlien ont été redressées pour 503.000 francs au titre des exercices 1987 et 1989, redressement confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui a démontré le caractère commercial des méthodes utilisées. Un rappel d’impôts de 7,1 millions de francs a également été prononcé, pour poursuite d’activités lucratives entre 1990 et 1992 (éditions de livres, location de fichiers, démarchage), à l’encontre des associations Tradition famille propriété et Avenir de la culture. Dans le cas de Krishna, le rappel représentait 14 millions de francs et couvrait les années 1982 et 1983. Pour sa part, la Soka Gakkaï a fait l’objet d’un redressement de 16,8 millions de francs pour les ventes de stages, de cours et d’objets qu’elle a réalisées entre 1987 et 1990. Enfin, l’AMORC a été contrôlée pour sa gestion allant de 1989 à 1990, puis de 1992 à 1994, et le total des rappels prononcés à son encontre atteint la coquette somme de 60,8 millions de francs, dont le recouvrement a été, on l’a vu, en partie abandonné sur décision de la Direction générale des impôts. L’importance de ce redressement se justifie par l’ampleur de l’activité de la secte : la base utilisée pour le calcul atteignait, s’agissant de l’impôt sur les sociétés, 61 millions de francs en 1988, 23 millions de francs en 1989 et 22 millions de francs en 1990.
Le Mandarom a également fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 1992 à 1995, qui a établi le caractère lucratif de la gestion de la secte, et s’est soldé par un rappel d’impôt sur les sociétés et de TVA de 1,8 million de francs. Si ce montant n’atteint pas les sommes citées pour les sectes examinées plus haut (ce qui, compte tenu de l’ampleur des mouvements en espèces par définition peu contrôlables, ne veut pas dire que l’organisation fondée par Gilbert Bourdin dispose de revenus peu conséquents), l’ordonnance prononcée, le 21 février 1995, par le Tribunal de grande instance de Créteil est en revanche riche d’enseignements sur les activités de la secte. Cette ordonnance a été rendue afin de permettre l’exercice, par l’administration fiscale, du droit de visite prévu à l’article L.16B du livre des procédures fiscales. Plusieurs attendus précisent la nature des activités organisées sur le site de Castellane. D’après le tribunal, il s’agit de prestations générant des recettes de nature commerciale, et en particulier de l’hébergement et de la restauration des membres, des ventes de livres, de cassettes et d’objets religieux, du prix des visites du site et du produit des conférences. Les titres vendus étaient notamment tirés à plusieurs milliers d’exemplaires, parfois expédiés dans un pays étranger comme le Canada, et dégageaient une marge commerciale importante, le coefficient multiplicateur se situant entre 5,7 et 13,2 selon l’ouvrage.
Les Témoins de Jéhovah tirent, eux aussi, une partie de leurs revenus de leurs opérations d’impression et de diffusion d’ouvrages. Si l’administration fiscale n’a pas pu démontrer son caractère lucratif, cette activité revêt bien une nature économique. Le complexe de Louviers comprend une imprimerie dont la capacité de tirage est considérable et des locaux de stockage qui forment des installations industrielles comparables à celles d’une entreprise. Au demeurant, bien que les Témoins prétendent que l’ensemble de leurs publications sont écoulées sous forme de dons, les produits tirés de l’imprimerie de Louviers ont toujours été comptabilisés à part, dans un compte distinct du poste enregistrant l’entrée des offrandes et intitulé " produits des activités courantes ". Il s’agit donc bien d’une activité spécifique qu’on peut qualifier d’économique. Elle procurait à la secte des revenus très importants : de 1992 à 1997, c’est-à-dire avant la décision de mettre fin à son activité, l’imprimerie représentait une recette variant, selon l’exercice, entre 83,3 et 42,4 millions de francs.
b) L’exemple de la Scientologie
La Scientologie est certainement le meilleur exemple de secte qui a bâti sa fortune sur la vente. Cette organisation n’est qu’une machine à produire de l’argent et tout scientologue est avant tout un vendeur, comme le montrent, on l’a vu, les écrits de Ron Hubbard et les techniques commerciales enseignées aux adeptes.
L’évaluation du revenu des activités scientologues est particulièrement difficile à établir. La secte maintient dans une totale opacité la réalité des fonds qu’elle brasse, et son organisation a été conçue pour garantir la clandestinité de ses activités. Les responsables de la branche française ont sciemment entretenu cette opacité devant la Commission. Interrogés par l’intermédiaire d’un questionnaire, les présidents des associations scientologues chargées de vendre les cours de dianétique ont refusé de préciser le montant de leurs revenus. Les seules réponses chiffrées que la Commission a pu obtenir proviennent des églises de Scientologie, qui se sont abritées derrière le statut cultuel qu’elles revendiquent pour déclarer ne disposer d’aucun revenu, n’engager aucune dépense et n’être propriétaires d’aucun actif. La présidente de l’Eglise de scientologie d’Ile-de-France a, en outre, déclaré devant la Commission ne pas savoir selon quelles modalités le matériel et le local que son association utilise ont été mis à sa disposition, ni à qui ils appartiennent. La même personne, bien qu’elle préside, à côté de l’église d’Ile-de-France, l’Union des églises de France, c’est-à-dire une des plus hautes instances de la secte, a également déclaré ne détenir aucune information sur les prix des prestations offertes par le mouvement.
La Commission dispose, à travers l’instruction du procès de l’Eglise de scientologie de Lyon, d’une source d’informations de nature à rafraîchir la mémoire des scientologues, et à lever une partie du voile dont la secte recouvre pudiquement les sommes qu’elle draine. Cette instruction a en effet permis d’enquêter pendant plusieurs mois sur les circuits de financement de l’organisation créée par Ron Hubbard. A partir de plusieurs commissions rogatoires internationales et de quelque 400 procès-verbaux, l’enquête a pu reconstituer le montant des sommes versées par la Scientologie européenne et africaine à l’organisation mère située aux Etats-Unis. Ces sommes constituent un denier du culte, et correspondent à un pourcentage prélevé sur le chiffre d’affaires de chaque mission scientologue dont le montant varie entre 5 et 15 %, voire davantage. Avant d’être transférées aux Etats-Unis, elles transitaient sur un compte ouvert à la Krédit Bank de Luxembourg, dénommé " compte Lucas ", du nom de code de son gestionnaire, et destiné à recueillir le denier versé par la zone Europe et Afrique de la secte. Ce compte a été clôturé à la suite de l’instruction. Les autorités judiciaires luxembourgeoises ont cependant transmis ses relevés au juge d’instruction français. Le compte Lucas était divisé en quinze sous-comptes correspondant chacun à une devise. Du 1er janvier 1988 au 31 mai 1990, 9.105.298 francs français ont par exemple été crédités. En se fondant sur le cours moyen de chaque devise utilisée, le total des sommes créditées a atteint, toutes devises confondues et pour la même période, 943.545.652 francs. On peut donc estimer que le denier du culte versé de janvier 1988 à mai 1990 par les églises de Scientologie européennes et africaines représente environ 1 milliard de francs. En retenant comme taux de prélèvement fixant le montant de ce dernier un pourcentage moyen de 10 %, on peut déduire que le chiffre d’affaires réalisé par ces églises a représenté environ 10 milliards de francs en un peu moins de trois ans et demi, soit 300 millions de francs par an.
Cette somme inclut les revenus tirés des implantations africaines de la secte dont on peut penser qu’ils n’en représentent qu’une part minime. Il est impossible de la ventiler entre les différents pays européens où la Scientologie est implantée, la devise utilisée sur le compte Lucas n’apportant pas de preuve de l’origine des fonds, une mission française pouvant très bien payer avec une monnaie étrangère. L’instruction a revanche parfaitement démontré que le compte Lucas ne représentait qu’une partie des revenus de la Scientologie. Les adeptes européens paient en effet fréquemment leurs cours au centre européen de la secte implanté à Copenhague, ou directement à l’organisation mère américaine, voire au responsable local de la secte. M. Jean-Jacques Mazier, quand il dirigeait l’Eglise de scientologie de Lyon, a par exemple reçu des adeptes 3,2 millions de francs de 1988 à 1990. L’ensemble de ces versements dont le total est impossible à évaluer, ne sont pas comptabilisés dans les résultats des missions, et n’entrent donc pas en compte dans le pourcentage versé sur le compte Lucas. L’évaluation établie par l’instruction réalisée pour le procès de Lyon est donc une estimation a minima.
Au bout du compte, la Commission retient que le chiffre d’affaires tiré de la vente des prestations et produits scientologues en Europe atteint au moins 300 millions de francs par an, et que la branche française, longtemps considérée comme le fleuron de la secte sur le continent, en représente une large part. Cette estimation est cohérente avec les montants que certaines personnes ont déclaré avoir déboursés pour atteindre les niveaux supérieurs du parcours scientologue, soit plusieurs centaines de milliers de francs.
L’évaluation réalisée lors du procès de Lyon est également confirmée par des calculs communiqués à la Commission. Sur le fondement de documents internes à la secte, on estime qu’un adepte rapporte en moyenne 15.000 francs à l’organisation, ce qui donne, pour la France, un chiffre d’affaires annuel de 60 millions de francs. La Scientologie déclare compter 6 millions de membres dans le monde. Ses revenus annuels s’établiraient donc à 60 milliards de francs. L’audience de la secte étant cependant volontairement surestimée par ses dirigeants, on peut raisonnablement penser que ses revenus se situent entre 10 à 20 milliards de francs par an.
L’ensemble des exemples qui viennent d’être décrits permet de démontrer l’importance, dans le poids financier global des sectes, des revenus directement tirés de leurs activités. Les organisations concernées passent sous silence cet aspect de leurs pratiques. Elles mettent généralement en avant la particularité des modalités de paiement offertes à leurs adeptes pour tenter d’occulter le bénéfice qu’elles en tirent. On a déjà évoqué le recours à la vente déguisée qui consiste à transformer la facturation en donation. Certaines sectes présentent les prestations qu’elles fournissent comme la contrepartie des cotisations qu’elles perçoivent. L’AMORC, par exemple, déclare ne pas pratiquer de prix de vente, mais recevoir un dédommagement des services qu’elle rend à ses membres par des cotisations élevées. Ces dernières atteignent en effet chaque année plus de 20 millions de francs et représentent l’essentiel des revenus de l’association. Ce mode de facturation n’a cependant pas empêché l’administration fiscale d’assujettir les activités de l’association aux impôts commerciaux, redressement sur lequel elle n’est que partiellement revenue.
En outre, les sectes utilisent, pour camoufler le caractère commercial de leur démarche, un dernier procédé, de loin le plus inquiétant, qui consiste à demander à leurs adeptes de travailler pour l’organisation afin de financer leurs stages, séminaires ou autres prestations. Un ministre du culte scientologue a notamment déclaré à la Commission avoir payé l’essentiel de ses cours en offrant ses services à la secte. Cette dernière a en effet institutionnalisé ce procédé en ouvrant des centres où les adeptes les moins fortunés travaillent gratuitement, dans des conditions extrêmement précaires, pour financer leur parcours scientologue. On a là un exemple caractérisé d’une vente déguisée en faux bénévolat. Cette pratique soulève le problème juridique déjà évoqué de l’utilisation de la notion de bénévolat, mais aussi la question morale de l’apparition d’une forme d’esclavagisme fondé sur la manipulation mentale.
Les sectes bénéficient de financements publics qui, dans quelques cas, peuvent représenter leur troisième source de financement. Les montants en cause n’ont heureusement pas de commune mesure avec les revenus tirés des dons et des activités sectaires. Ils constituent cependant une bonne illustration de la capacité des sectes à agir sous couvert de structures écrans ou de prête-noms, et la grande vulnérabilité de l’administration souvent incapable de contrôler l’identité et la réalité des pratiques des organismes qu’elle subventionne.
Le Patriarche est certainement le meilleur exemple de secte subventionnée par l’Etat. C’est également le plus connu depuis la publication des observations formulées sur cette organisation par la Cour des comptes dans son rapport sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie. La Cour a établi que les associations créées ou contrôlées par M. L.J. Engelmajer ont reçu de l’Etat, entre 1992 et 1995, un total de 24,4 millions de francs. Elles ont également bénéficié d’aides de collectivités locales dont le chiffrage n’a, à la connaissance de la Commission, jamais été réalisé. Pour recevoir de telles sommes, la secte a indéniablement profité des hésitations de l’administration de la santé et de la communauté médicale face aux méthodes de sevrage des toxicomanes et à l’expansion de l’épidémie de sida. Les principales subventions ont en effet été versées aux structures créées par la secte sous le nom d’Association des droits et devoirs des positifs et porteurs du sida (ADDEPOS) auxquelles certains médecins ont, en toute bonne foi, adressé leurs patients, faute de thérapeutiques alternatives.
Le Patriarche est actuellement en pleine restructuration. On a vu qu’il œuvre sous le sigle DIANOVA qui lui sert de nouvelle appellation sociale. D’après les informations communiquées à la Commission, il ne bénéficierait plus de financements publics. Cependant, en proie à d’importantes difficultés financières, il a lancé plusieurs appels de fonds auprès d’organismes privés spécialisés dans l’aide d’urgence (comme par exemple la banque alimentaire de Clermont-Ferrand) et auprès de particuliers sollicités par des quêtes, des collectes ou des braderies. La Commission ne peut qu’inviter à la plus grande circonspection dans l’octroi de ces aides. Il importe en effet de vérifier au préalable la réalité de la restructuration des activités de Dianova et de l’apurement du passif que M. Engelmajer a laissé derrière lui.
L’Office culturel de Cluny continue à bénéficier d’aides financières publiques. À la suite du rapport de la précédente commission d’enquête, l’agrément d’association nationale d’éducation populaire lui a été retiré par un arrêté du ministre de la jeunesse et des sports en date du 28 octobre 1996. Cet arrêté a été annulé, le 5 mars 1998, par le Tribunal administratif de Paris. Le juge s’est cependant fondé sur un vice de procédure, et n’a pas pris position sur le fond de l’affaire. En effet, le Tribunal a motivé sa décision par le fait que le Conseil de la jeunesse, de l’éducation populaire et des sports, compétent en la matière, " n’était pas, à la date où il s’est prononcé, saisi de l’ensemble des pièces du images lui permettant de se prononcer sur la question qu’il lui appartenait d’examiner ". Par ailleurs, l’association culturelle du café des arts, " filiale " de l’Office implantée dans l’Isère, reçoit toujours une subvention de 40.000 francs du Conseil général de ce département, et une aide de 50.000 francs de la ville de Grenoble. En contrepartie de son soutien, cette dernière a demandé à l’association de se conformer au droit du travail en procédant à la déclaration des bénévoles dont elle bénéficie.
La Commission a eu également connaissance de subventions versées par la ville de Chatou, le conseil général des Yvelines et le conseil régional d’Ile-de-France à l’Ecole Perceval. Cette dernière appartient au réseau des établissements d’enseignement contrôlés par la société d’Anthroposophie.
Il existe par ailleurs plusieurs cas de financement public indirect. Certaines sectes ont bénéficié des soutiens prévus dans différents dispositifs d’aide à l’emploi. L’Office culturel de Cluny a notamment déclaré avoir employé en 1998 une personne en contrat emploi solidarité (CES), de même que l’association Azur mieux être, une des principales structures chargées de propager les pratiques de la secte Siderella. Au cœur de la communication a bénéficié d’une subvention de 7.000 francs pour l’emploi d’un salarié en contrat de qualification. Ce sont là les seuls exemples portés à la connaissance de la Commission. Il est cependant clair que ces types de contrats peuvent être utilisés dans une proportion beaucoup plus importante.
Un membre d’une secte, par ailleurs agent de l’Etat ou d’une collectivité locale, peut également mettre à la disposition de son organisation les moyens matériels que lui offre son administration. C’est une pratique qui a été, par exemple, utilisée par le Mandarom dont l’actuelle dirigeante, Mme Christine Amory-Mazaudier, est agent du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et affectée au Centre d’étude des environnements terrestres et planétaires. Il a été établi qu’elle a utilisé les moyens de communication de son laboratoire (fax, e-mail, courrier) pour ses activités sectaires.
Les sectes ont recours à un autre procédé de détournement de fonds publics, plus pernicieux, qui consiste à exiger de leurs adeptes le bénéfice des allocations ou revenus de remplacement qu’ils reçoivent de la collectivité. Le Patriarche a demandé à certains de ses pensionnaires de lui reverser leur revenu minimum d’insertion. Tabitha’s Place est une secte financièrement peu importante, connue pour les mauvais traitements qu’elle réserve aux enfants, qui vit en partie grâce à la collecte des allocations familiales perçues par les familles de la communauté, et dont le montant était estimé pour 1994 à près de 500.000 francs. De tels détournements ont tendance à se développer de manière inquiétante, les sectes s’intéressant de plus en plus à un public disposant de revenus de remplacement, et notamment aux chômeurs. La Commission a relevé par exemple l’existence de campagnes de prosélytisme sectaire auprès de demandeurs d’emploi.
C.— une puissance financière utilisée à des fins convergentes
Les sectes utilisent leur argent selon des modalités convergentes qui illustrent, au-delà des disparités de fortune, la véritable communauté d’objectifs qui les anime. On retrouve en effet dans la plupart des sectes trois attitudes dominantes qui ne sont pas incompatibles entre elles : l’argent est utilisé comme un moyen d’asseoir la puissance du mouvement ; il peut également être employé à l’enrichissement de ses responsables ; il sert enfin à financer l’organisation internationale sur laquelle la secte s’appuie, soit de manière publique lorsque cette dernière veut mettre en avant une vocation humanitaire, soit de manière clandestine lorsqu’elle prend garde à ne laisser apparaître aucun signe extérieur de richesse.
1.– Asseoir l’influence du mouvement
La plupart des sectes utilisent leurs revenus pour acquérir un patrimoine, essentiellement immobilier. Cet investissement constitue la face apparente de la richesse sectaire, choisie dans l’intérêt matériel de l’organisation mais aussi parfois destinée à lui servir de " vitrine ".
a) L’acquisition d’un patrimoine souvent éloigné de l’objet des associations concernées
De fait, le patrimoine des sectes atteint une importance quantitative inquiétante. L’actif détenu par certaines associations, au but religieux, spirituel ou cultuel apparent, peut présenter une nature et des montants disproportionnés par rapport à leur objet social.
Les associations françaises de Témoins de Jéhovah sont, rappelons-le, à la tête d’un capital d’un milliard de francs. Le capital associatif de la branche française de la Soka Gakkaï s’établit à plus de 240 millions de francs, à près de 140 millions de francs pour l’AMORC, et à 60 millions de francs pour Mahikari France.
Il peut s’agir d’un capital industriel ou commercial. Les Témoins de Jéhovah ont investi dans une imprimerie industrielle comportant des installations d’impression, des locaux de stockage et du matériel de transport. D’autres associations sectaires sont propriétaires de participations dans des sociétés commerciales, comme le montrent les exemples des sociétés de restauration détenues par le Patriarche, de la société Diffusion rosicrucienne contrôlée par l’AMORC, ou de l’entreprise LH France, possédée par Mahikari.
Le patrimoine des associations sectaires est souvent constitué d’un portefeuille financier dont l’importance varie selon les mouvements. Au-delà du rôle spirituel qu’ils s’attribuent, certains dirigeants de secte se révèlent être des financiers avisés, si l’on en juge par les actifs financiers figurant au bilan de leurs associations et les revenus qu’elles en tirent.
Les associations françaises de la Soka Gakkaï disposent d’un portefeuille en SICAV dont la valeur nette comptable au 31 décembre 1997 s’établissait à 64 millions de francs. Les immobilisations financières et les valeurs mobilières de placement détenues par les instances nationales des Témoins de Jéhovah atteignaient, au 31 août 1998, 62,9 millions de francs. Les associations locales de la même secte auraient également procédé à des placements financiers qui, d’après les informations transmises à la Commission, auraient représenté près de 500 millions de francs déposés sur le réseau d’une seule banque. Cette information ne correspond pas aux estimations des responsables nationaux de l’organisation jéhoviste qui ont déclaré devant la Commission que l’actif des associations locales atteignait un total de 600 millions de francs, essentiellement constitué par leurs investissements immobiliers.
Les placements financiers réalisés par l’AMORC atteignaient, au 31 décembre 1998, 16 millions de francs qui ont apporté, pour les derniers exercices clos, une rémunération annuelle d’environ 1,3 million de francs. Mahikari n’a pas accepté de communiquer le montant de ses actifs, jugeant cette information " confidentielle ", jugement qui semble signifier que sa fortune boursière est suffisamment importante pour mériter d’être gardée secrète. En tout état de cause, ces actifs doivent représenter plusieurs dizaines de millions de francs. Il a en effet été précisé dans les réponses au questionnaire de la Commission que cette association tire de ses placements financiers des revenus annuels variant entre 1,1 et 1,6 million de francs. Le rendement est encore nettement plus élevé s’agissant de l’organisation jéhoviste : les produits financiers de l’Association Les Témoins de Jéhovah ont par exemple atteint, en 1992-1993, 16,6 millions de francs.
La Commission ne dispose pas d’une évaluation des actifs financiers détenus par le Mandarom. Cette secte semble préférer le maniement d’espèces à la détention d’un portefeuille. Le contrôle fiscal réalisé en 1995 sur l’Association des chevaliers du lotus d’or qui formait à l’époque l’instance nationale du mouvement, a néanmoins révélé l’existence de deux investissements : l’association a procédé au début des années 1990 à la souscription d’un certificat de dépôt pour un montant de 511.584 francs et au placement de 690.100 francs sur un compte à terme.
La Commission a par ailleurs relevé la trace de revenus financiers dans les comptes d’Au cœur de la communication, de la Pentecôte de Besançon et de Spiritual Human Yoga France, nouvelle appellation de la branche française de la secte créée par M. Luong Minh Dang et plus connue sous le nom de Human Universal Energy (HUE).
L’existence de ces placements pose le problème des relations entre les sectes et les établissements financiers. Il est clair que le monde de la finance ne reste pas insensible à la puissance financière de certaines organisations sectaires. La Commission a pris connaissance d’un protocole d’accord qui aurait été passé entre les Témoins de Jéhovah et une banque importante afin de mettre en place un partenariat permettant aux associations de la secte de bénéficier de conditions privilégiées auprès de ses agences. Ces conditions porteraient sur le fonctionnement des comptes, la rémunération des ressources et l’octroi de prêts immobiliers à des taux avantageux et selon des modalités de remboursement modulables.
On peut légitimement s’interroger sur l’influence exercée par certains établissements bancaires dans les mécanismes d’extorsion de fonds utilisés par les sectes. L’instruction relative à l’Eglise de scientologie de Lyon a montré le rôle joué par les agences qui ont accepté de prêter à Patrice Vic, alors que ce dernier était manifestement manipulé par le dirigeant de l’association. Elle a même établi que ce dernier proposait à certains adeptes, afin d’appuyer leurs demandes de prêt, d’emprunter auprès de l’agence du Crédit lyonnais où il disposait de son propre compte.
La Commission tient à appeler les banques à la plus grande vigilance dans leurs relations avec les milieux sectaires. Elle les incite à prendre l’habitude de consulter la Mission interministérielle de lutte contre les sectes chaque fois qu’elles ont un doute. Un expert pourrait utilement être détaché auprès de la mission à cet effet.
b) Le parc immobilier des sectes
L’immobilier reste l’investissement préféré des sectes. Réalisé soit directement par les associations, soit par l’intermédiaire de sociétés civiles immobilières, il leur permet de disposer des locaux utiles aux différents rites ou séances qui ponctuent la vie de la secte. Mais ce type d’investissement est aussi un moyen d’écouler, et parfois de blanchir, les sommes versées en espèces que les sectes reçoivent de leurs adeptes.
Chacun connaît des exemples de " châteaux " acquis par une secte. Il est indéniable que les mouvements sectaires disposent de la puissance financière suffisante pour procéder à de telles acquisitions, mais aussi, grâce à leurs adeptes, de la main-d’œuvre gratuite susceptible de les entretenir. L’intérêt des sectes pour les demeures historiques a été jugé suffisamment inquiétant pour que la Direction du patrimoine s’en alarme, et attire l’attention sur les exemples de spoliation de sites classés ou inscrits, à la suite de leur occupation par des associations sectaires.
Le goût des sectes pour les vieilles pierres n’est pas une fausse réputation. Les exemples sont multiples. Citons Krishna installé au château de Bellevue dans le Jura et au domaine d’Oublaisse dans l’Indre ; Tradition famille propriété disposant à travers l’association Avenir de la culture du château de Jaglu dans l’Eure et Loir ; la Nouvelle Acropole propriétaire de la Cour Pétral, ancien monastère situé dans le même département ; l’Office culturel de Cluny qui dispose du château de Machy dans le Rhône ; Orkos installé au château de Montramé en Seine-et-Marne…
L’intérêt des sectes peut également se porter vers des bâtiments commerciaux et des immeubles industriels, comme des entrepôts, ou, dans le cas du Patriarche, une filature, une conserverie ou une station service.
L’évaluation du parc immobilier des sectes est difficile à réaliser. La multiplicité des mouvements, l’éparpillement des investissements et la diversité des montages juridiques demanderaient plusieurs mois d’enquête. Les annexes du rapport donnent une estimation des immeubles appartenant aux principales sectes ou mis à leur disposition. Il s’agit toujours d’une valeur a minima qui indique le plancher au-dessus duquel ce patrimoine se situe. De nombreuses implantations n’ont en effet pas pu être valorisées, faute de temps ou en raison de la difficulté à déterminer la valeur marchande de certains investissements très importants ou particulièrement prestigieux.
En tout état de cause, ces évaluations permettent de situer la fortune immobilière des sectes. Plusieurs organisations sortent du lot et sont à la tête d’un parc supérieur à une centaine de millions de francs. Outre les Témoins de Jéhovah, il s’agit de la Soka Gakkaï qui a procédé à des acquisitions de prestige, l’Eglise néo-apostolique qui s’est offert un parc immobilier afin d’accueillir ses fidèles dans les meilleures conditions et Dianova dont les investissements immobiliers ont été dénoncés par la Cour des comptes. Viennent ensuite l’AMORC, l’Anthroposophie, Moon, Mahikari et la Fraternité blanche universelle dont le patrimoine se chiffre en dizaine de millions de francs. Pour leur part, Krishna, Tradition Famille Propriété, le Mouvement du Graal, l’Office culturel de Cluny, les Roses Croix d’or et la Pentecôte de Besançon se situent entre 10 et 15 millions de francs, les autres sectes se trouvant en deçà.
Le mouvement des Témoins de Jéhovah est certainement la secte qui montre le plus d’intérêt pour les investissements immobiliers. Cet intérêt répond à une volonté d’affirmer la présence de l’organisation sur l’ensemble du territoire à travers le millier de salles du royaume qui ont vu le jour aux quatre coins de la France, parfois acquises, souvent construites en des temps records par des escouades de Témoins mobilisés à cet effet. La secte évalue, on l’a vu, ce patrimoine immobilier à 600 millions de francs. Les acquisitions réalisées par les instances nationales correspondaient davantage à un souci de gérer la fortune de la secte " en bon père de famille ", et de placer ses économies dans la pierre afin de loger des adeptes. Ainsi, la secte possédait plusieurs immeubles dans l’Aisne et dans l’Eure, et surtout un nombre très important d’appartements à Boulogne-Billancourt, principalement des studios qui devaient probablement être utilisés à l’hébergement des membres. Le transfert du siège à Louviers a entraîné une concentration du patrimoine dans cette ville. La secte s’est en effet séparée des terrains qu’elle possédait dans l’Aisne, de maisons situées à Incarville et d’immeubles à Boulogne, dont son ancien siège cédé le 17 novembre 1998 pour 8,1 millions de francs. De 1993 à 1998, ces ventes ont représenté au total une recette d’une trentaine de millions de francs. Elles se sont accompagnées de la construction à Louviers, dans un quartier entièrement possédé par la secte, d’un complexe administratif et d’hébergement devenu le centre européen de l’organisation. Le mouvement détient par ailleurs, sur un autre site de la ville, des installations d’imprimerie ainsi que d’importants ateliers (blanchissage, couture…). Au total, les bâtiments administratifs et d’habitation s’étendent sur 4,5 hectares, tandis que les locaux d’activité et de stockage représentent une surface de 19.500 mètres carrés. La secte évalue ce patrimoine à 240 millions de francs. Les différents biens que les associations nationales possèdent toujours dans d’autres villes de l’Eure, à Boulogne ou dans le sud-est de la France portent le patrimoine total des Témoins de Jéhovah à plus de 860 millions de francs, salles du royaume incluses.
c) Des investissements au service des pratiques sectaires
Quelle que soit sa forme, le patrimoine acquis par les sectes représente un investissement destiné à accroître son influence.
Il a, en premier lieu, pour objectif de mettre l’organisation à l’abri du besoin, notamment en lui procurant des revenus réguliers tirés, par exemple, de placements financiers. Certains mouvements disposent même de propriétés agricoles qui peuvent faire vivre la communauté installée sur place. C’est le cas de Dianova et de Krishna. Les comptes de la Soka Gakkaï font également apparaître des revenus agricoles tirés de la propriété que la secte possède à Trets dans les Bouches-du-Rhône.
Les investissements sont surtout utilisés pour les activités sectaires proprement dites. Animés et mis en valeur par les adeptes invités à offrir bénévolement leurs services, les immeubles acquis par la secte sont autant de lieux de propagation de son message.
Les mouvements sectaires achètent principalement des lieux de réunion. Deux cas d’acquisition de salles de cinéma ont été portés à la connaissance de la Commission. En dehors de l’exemple des Témoins de Jéhovah, la fortune immobilière de mouvements comme Mahikari ou la Pentecôte de Besançon s’appuie sur la propriété de lieux de cultes répartis dans les départements où la secte bénéficie d’une audience. L’Eglise néo-apostolique dispose à Metz d’une " église " de 1.600 m2, construite sur un terrain de 60 ares, capable d’accueillir 1.300 personnes et offrant des installations techniques très modernes. Le Mandarom vient de déposer un permis de construire pour l’édification de la sépulture de Gilbert Bourdin dont le coût est estimé à 50 millions de francs.
Les différents châteaux acquis par les sectes sont souvent destinés à servir de local pour les conférences, les cours ou les séminaires qu’elles dispensent. Par exemple, les Roses Croix d’or utilisent à cette fin leur château de Tourtel en Meurthe-et-Moselle ou le domaine de Rieusselat dans l’Hérault. L’AMORC a récupéré à Orléans les anciens entrepôts de Dunlop pour y réunir les " initiés " de la région. Elle est surtout propriétaire, par l’intermédiaire d’une société commerciale, de l’Espace AMORC sis 199 Rue Saint Martin à Paris, qui forme un complexe de 2.500 m2 modulables, composé de 10 salles réparties sur trois niveaux, d’un auditorium de 400 places, d’une librairie et d’une galerie d’art. On peut enfin citer l’exemple de la Société anthroposophique qui dispose, outre 24 propriétés utilisées comme établissements scolaires ou préscolaires, de plusieurs lieux de culte et de différentes structures d’hébergement.
Le patrimoine sectaire peut également être parfois utilisé comme une vitrine de la secte qui, en montrant sa richesse, cherche à prouver son honorabilité et à assurer sa respectabilité. La Soka Gakkaï est le mouvement le plus représentatif de cette attitude. La secte japonaise a acquis, moyennant l’aide de l’association mère, plusieurs lieux prestigieux susceptibles d’asseoir la réputation culturelle qu’elle revendique. Elle est en effet propriétaire du Château des Roches, ancienne demeure de Victor Hugo située dans la vallée de la Bièvre où elle a installé un " centre cuturel ". Ce lieu a été inauguré par le dirigeant international de la secte, M. Ikeda, en présence de représentants de milieux culturels et politiques français, et des manifestations y sont régulièrement organisées. La secte Moon est également soucieuse de son image et possède des adresses de prestige. Après avoir contrôlé le Trianon Palace à Versailles, elle détient, par l’intermédiaire de deux sociétés de droit étranger, l’hôtel et le restaurant du Château de Bellinglise dans l’Oise. L’AMORC est propriétaire du château d’Omonville dans l’Eure, propriété classée monument historique. L’impeccable façade classique de ce monument orne le bas des courriers officiels de la secte. Dans un registre plus sobre sinon plus modeste, d’autres mouvements utilisent leur siège social comme la vitrine de leur organisation. Le site de Louviers, avec les dizaines de chambres construites sur le même modèle pour l’hébergement des adeptes, joue par exemple ce rôle pour les Témoins de Jéhovah qui y organisent régulièrement des journées portes ouvertes.
L’image du gourou enrichi sur le dos des adeptes est une des représentations du phénomène sectaire les plus souvent véhiculées. Elle traduit la part de fantasmes qu’il suscite et que les sectes elles-mêmes entretiennent en maintenant l’opacité de leurs pratiques.
La Commission a eu, sur ce point, communication d’informations précises. Il en ressort que l’enrichissement personnel n’est pas l’objectif de toutes les organisations sectaires. Les dirigeants des Témoins de Jéhovah ne tirent probablement aucun profit financier personnel significatif de leurs activités. Une telle attitude est en effet très éloignée de l’état d’esprit qui prévaut au sein de cette secte, trop soucieuse de reconnaissance officielle et trop jalouse de l’influence de son organisation pour consentir des avantages particuliers à ses adeptes. Il existe cependant des cas incontestables de sommes directement versées aux responsables d’organisations sectaires qui montrent que l’enrichissement personnel de certains membres constitue une motivation commune à plusieurs sectes.
L’administration fiscale a établi que les recettes de plusieurs structures sectaires ont été utilisées pour verser des revenus à leurs dirigeants. Le contrôle fiscal réalisé sur Au cœur de la communication pour une période allant de 1993 à 1996 a par exemple révélé que cette association a versé, sans les déclarer, des revenus à Mme Claire Nuer, fondatrice de la secte, et à son époux pour un montant de 197.000 francs. La SARL Prima Verba a distribué de manière occulte 233.000 francs à sa gérante, Mme Valérie Haffray. On a là des exemples caractérisés de détournement de l’argent des sectes et, dans certains cas, de dons de leurs adeptes, pour le profit des personnes qui les ont créées, président leurs instances ou, le plus souvent, les dirigent de fait.
Dans d’autres cas, la distribution de revenus est avérée sans que l’identité du bénéficiaire, à supposer qu’elle soit établie, ait été communiquée à la Commission. Les montants en cause montrent les possibilités d’enrichissement offertes par les sectes : les revenus distribués de manière occulte atteignent 586.000 francs dans le cas de l’association Tradition famille propriété (période allant de 1990 à 1992) ; 2,7 millions de francs pour Avenir de la culture (même période) ; 748.000 francs pour le Mouvement raëlien (entre 1987 et 1989) ; 6,4 millions de francs pour l’Eglise de Scientologie de Paris (entre 1981 et 1985) et même 32 millions de francs dans le cas de Krishna selon les résultats d’un contrôle ancien portant sur les années 1982 et 1983. Avant la constitution de la SARL Prima Verba, les différentes structures créées par M. Serge Marjollet, fondateur de la secte du même nom, ont pratiqué la distribution occulte de revenus pour des montants représentant plusieurs centaines de milliers de francs.
Les contrôles réalisés sur les personnes physiques fondatrices ou responsables d’une secte sont également riches d’enseignements sur leur niveau de revenus. M. L.J. Engelmajer a fait l’objet d’une taxation d’office qui s’est traduite par un redressement d’1,1 million de francs, hors pénalités, portant sur une période allant de 1994 à 1996. M. Guy Claude Burger, fondateur d’ORKOS et de l’instinctothérapie, incarcéré en 1997, a subi un redressement de 469.000 francs (toujours hors pénalités) au titre des revenus d’origine indéterminée, du produit de ses activités commerciales et de formation qu’il a reçus en 1994 et 1995. Gilbert Bourdin a également été redressé pour des activités similaires et le rappel d’impôts se chiffrait à 297.000 francs pour trois années (1992 à 1994). M. Serge Marjollet et son épouse Mme Valérie Haffray ont été taxés à hauteur de 385.000 francs pour absence de déclaration de bénéfices non commerciaux, revenus d’origine indéterminée et revenus distribués de manière occulte. Enfin, M. Jean-Jacques Mazier, ancien dirigeant de l’Eglise de Scientologie de Lyon, a fait l’objet, avant sa condamnation pour escroquerie en 1997, d’un redressement de 761.000 francs pour disproportion entre les sommes créditées sur ses comptes bancaires et celles figurant sur ses déclarations de revenus pour 1989 et 1990.
D’autres sectes ne cachent pas l’importance des revenus qu’elles procurent à leurs dirigeants. Dans sa réponse au questionnaire de la Commission, l’association Spiritual Human Yoga a déclaré avoir versé, de 1995 à 1998, 3.203.225 francs à M. Luong Minh Dang, fondateur de cette secte plus connue sous le nom de Human Universal Energy (HUE), incarcéré récemment en Belgique. Cet exemple donne la mesure des revenus que des personnes peuvent tirer d’une organisation sectaire en facturant leurs " services " soit sous la forme d’honoraires qui peuvent figurer dans les comptes des associations concernées, soit par l’encaissement d’espèces issues des liquidités brassées par la secte alimentée par la générosité des membres. Le charisme personnel acquis par les fondateurs de certains mouvements et l’ascendant qu’ils exercent sur leurs adeptes dont la manipulation mentale n’est plus à prouver, constituent autant de moyens de pression qui peuvent être utilisés pour un enrichissement personnel. Il est en effet utile de rappeler que certaines sectes sont réputées pratiquer la facturation des rites, cérémonies ou sacrements administrés par le gourou. D’après les informations communiquées à la Commission, ce serait notamment le cas de l’Eglise universelle du royaume de Dieu qui monnayerait les guérisons miraculeuses et autres délivrances spirituelles qu’elle organise, ou de l’Association orthodoxe du Christ Roi dont le dirigeant ferait payer ses talents de guérisseur et d’exorciste.
Le train de vie des responsables sectaires est également révélateur des revenus qu’ils peuvent tirer de leurs activités. Les informations dont la Commission dispose sur ce point, et dont plusieurs ont été portées sur la place publique, étaient particulièrement difficiles à vérifier dans les délais qui lui étaient impartis. Elle s’en fait par conséquent l’écho avec toutes les précautions qu’exigent la nature de ce type d’informations et l’opacité qui entoure les sectes. La Commission a par exemple eu connaissance de l’existence d’une flotte de bateaux de plaisance et d’une péniche de 38,5 mètres de long utilisés par le fondateur de Siderella. Lui ont également été rapportés le goût de M. Patrick Vorilhon, dirigeant du mouvement raëlien français, pour la course automobile, la propension de ce dernier à multiplier les voyages à travers le monde, et l’habitude des époux Marjollet d’afficher des signes extérieurs de richesse, et notamment des véhicules de luxe.
3.– Financer l’organisation internationale
Les sectes implantées en France ne forment, dans la grande majorité des cas, qu’une des ramifications d’une organisation présente dans plusieurs régions du monde. On peut parler de multinationales sectaires dont chaque branche est un instrument de prosélytisme mis à la disposition d’un mouvement qui traverse les frontières, mais aussi une source de financement pour la maison mère installée à l’étranger.
La Commission a eu confirmation de l’existence de transferts vers l’étranger de revenus perçus par les implantations françaises de plusieurs sectes. Il s’agit bien d’une autre utilisation de la richesse sectaire, pratiquée par un nombre suffisant de mouvements pour être considérée comme un trait dominant du phénomène. C’est aussi une manière de détourner les sommes soutirées aux adeptes.
Comme dans d’autres activités sectaires, le financement de l’organisation internationale revêt deux visages apparemment contradictoires, mais qui, en fait, peuvent être réunis au sein d’un même mouvement. Non seulement certaines sectes ne cachent pas l’existence de transferts de fonds vers l’étranger, mais elles les revendiquent en les présentant sous un habillage humanitaire. C’est en quelque sorte la face " transparente " du financement de l’organisation internationale. Reste, à côté, une version clandestine qui passe par des circuits de financement interne complexes, destinés à enrichir la structure mère.
Les sectes semblent de plus en plus attirées par l’aide humanitaire. On a vu comment le droit international les y incite, et les liens souvent étroits que plusieurs mouvements ont noués avec des organisations non gouvernementales. Ces liens peuvent se traduire par des transferts de fonds importants qui permettent de financer la multinationale sectaire.
Plusieurs sectes utilisent la puissance financière qu’elles ont acquise en France pour soutenir, sous un affichage humanitaire, leurs implantations à l’étranger. Il faut reconnaître que la richesse de certaines autorise ce type de générosité. Ainsi, les associations françaises de Témoins de Jéhovah versent chaque année plusieurs dizaines de millions de francs à leurs frères étrangers. En agrégeant les subventions, les dons de matériaux consentis pour la construction de lieux de culte et les aides versées aux missionnaires envoyés sur place, ce sont, de 1993 à 1998, quelque 150 millions de francs qui sont sortis des caisses des instances nationales de la secte à l’intention des missions étrangères. Ce montant n’inclut pas les sommes qui peuvent être versées par les associations locales sur lesquelles la Commission ne dispose pas d’informations. Les Témoins de Jéhovah présentent ces transferts comme un soutien humanitaire aux pays du tiers monde, et principalement d’Afrique. Ils revendiquent notamment une part de l’aide internationale déployée lors de la dernière crise du Rwanda au cours de laquelle les soutiens financiers versés aux missions locales auraient permis à la secte de jouer un rôle important. La question est bien évidemment de savoir si les fonds restent dans les pays où ils sont acheminés (), et de connaître la façon dont l’aide financière est mise à profit sur place. Le soutien humanitaire peut en effet facilement être utilisé pour faire du prosélytisme. La Commission se contentera donc de constater que les transferts de fonds réalisés par les associations françaises de Témoins de Jéhovah servent à financer les missions implantées à l’étranger, et donc à renforcer l’influence de l’organisation jéhoviste internationale.
Les mouvements financiers observés au sein de l’Eglise internationale du Christ reproduisent le schéma mis en place par les Témoins de Jéhovah. Cette structure dont le siège international est à Boston comprend 280 implantations présentes dans plus de 120 pays différents. La branche française verse chaque année des soutiens financiers aux missions installées à travers le monde. Ces soutiens atteignent 1,5 million par an. Comme on l’a vu précédemment, elle finance également Hope World Wide, organisation non gouvernementale contrôlée par la secte.
Il est intéressant de noter que les implantations françaises de certaines sectes, difficilement capables de dégager des fonds transférables à l’étranger, sont davantage financées par leur organisation mère. En effet, le sens des transferts dépend logiquement de la répartition géographique de l’audience de la secte. Si l’évasion de la France vers l’étranger est dominante, l’inverse existe. La Soka Gakkaï en est le meilleur exemple : la branche française est largement financée par la structure mère japonaise qui lui a notamment versé les apports nécessaires aux acquisitions immobilières décidées sur le sol français. Il est également établi que le siège international de Moon renfloue régulièrement les associations françaises de la secte d’origine coréenne, qui semblent être quelque peu en perte de vitesse.
Par ailleurs, Humana, secte aujourd’hui dissoute en France, on l’a vu, avait organisé des collectes de vêtements qu’elle revendait afin de financer l’organisation internationale dénommée Tvind sur laquelle elle s’appuyait, et de conforter ainsi ses investissements à l’étranger. Moon a procédé au même type d’activité en organisant, notamment lors de la crise du Rwanda décidément propice à une mobilisation des mouvements sectaires, des braderies et des collectes de vêtements.
Au-delà des transferts présentés sous une forme humanitaire, existent les circuits de financement occulte. Il est frappant de constater que, dans la description des deux premières finalités de l’utilisation de la richesse sectaire, à savoir la mise en avant de la puissance du mouvement et l’enrichissement de leurs dirigeants, certaines organisations, pourtant très riches, n’apparaissent guère ou pas du tout. La Scientologie, le Mandarom, l’Eglise universelle de Dieu ou ORKOS ont rarement été cités. Ces sectes ne semblent pas disposer en France d’un patrimoine à la hauteur de leurs revenus. Même si elle est consciente que ses informations sont loin d’être complètes, la Commission n’a pas non plus eu connaissance d’exemple d’enrichissements massifs de leurs dirigeants. Ces constatations soulèvent logiquement la question suivante : où va l’argent ?
La réponse à cette question se situe très probablement à l’étranger. Le contraste entre l’opulence affichée à l’étranger par certaines sectes et l’apparente pauvreté de leur patrimoine en France ne peut qu’inciter à suivre cette piste. Si elle ne semble pas posséder sur le sol français un parc immobilier conséquent, il est de notoriété publique que la Scientologie a pignon sur rue dans d’autres pays, peut-être jugés par la secte moins regardants sur ses pratiques. Elle est notamment à la tête d’un empire immobilier à Copenhague où elle possède plusieurs hôtels et un centre de réhabilitation, de propriétés en Angleterre, sans parler des considérables installations qu’elle utilise en Californie et en Floride, ni du trop fameux Freewinds, navire de 135 mètres de long qui abrite l’organisation " maritime " de la secte dans les eaux internationales.
L’ampleur des transferts clandestins de fonds est, par définition, impossible à chiffrer. Le financement des organisations sectaires internationales rejoint en effet le problème plus général de la fraude internationale. Il passe par l’utilisation de circuits frauduleux qui seront examinés plus loin. Après l’analyse quantitative de l’influence économique des sectes et la mesure de leur poids financier, la dernière partie du rapport aborde le phénomène dans une approche plus qualitative afin d’examiner les dérives et les fraudes qu’il comporte.
troisième partie :
les pratiques sectaires : une fraude très répandue
L’acquisition d’un poids économique et financier important, dont on a vu qu’il était devenu une préoccupation centrale des dirigeants des mouvements sectaires, implique souvent le recours à la fraude.
L’opacité organisée des structures, des réseaux et des flux financiers fournit les conditions favorables aux infractions à la législation sociale, aux délits économiques et financiers, à la fraude fiscale, y compris dans leur dimension internationale. Elle justifie, de la part des pouvoirs publics, une réponse aussi rapide qu’efficace.
I.— Les infractions à la législation sociale
La première nécessité d’une organisation sectaire est de recruter le plus grand nombre possible d’adeptes, puis d’utiliser ses membres à la réalisation d’un chiffre d’affaires.
Pour cela, la secte va rechercher les moyens de réduire au maximum, voire d’éviter complètement, les charges sociales pesant normalement sur un employeur. Elle aura donc recours à l’abus du bénévolat, au travail dissimulé et à la minoration de ses activités, si toutefois elle les déclare.
L’exercice de la fraude sociale est généralement rendu difficile par un droit social très perfectionné, assorti d’importants moyens de contrôle. Les mouvements sectaires éprouveraient beaucoup de difficultés dans ce domaine s’ils ne s’appuyaient sur des adeptes renonçant à exercer leurs droits normaux de citoyen.
En effet, il ne suffit pas de recruter des membres. Il faut ensuite les garder et les rentabiliser. C’est pourquoi, dans nombre de mouvements sectaires, les recrues subissent des tests d’évaluation, qui permettent de déterminer la meilleure façon de les utiliser. Sous l’apparence de faciliter la vie des adeptes, l’organisation vise à les intégrer dans le groupe et à les séparer de tout autre environnement. L’esprit indépendant ne peut y trouver sa place. Une sélection est donc opérée au détriment de ceux qui ne semblent pas correspondre au profil pré-établi et être facilement manipulables. C’est pourquoi le nombre de plaintes et de témoignages est si faible malgré le poids de l’économie souterraine sectaire.
C’est souvent à l’occasion d’incidents épars – accidents du travail par exemple – que les pouvoirs publics ont pu découvrir et prendre la mesure des infractions à la législation sociale que génèrent les activités économiques des sectes.
A.— les infractions au code du travail
Il n’est pas possible de mesurer la part de l’économie souterraine revenant aux mouvements sectaires. En l’absence de définition juridique de la notion de secte, les organismes de contrôle, notamment la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal, n’appréhendent pas le domaine des sectes en tant que tel, mais l’ont rencontré, à un nombre suffisant de reprises au cours de leurs enquêtes, pour pouvoir considérer que les infractions à la législation du travail tiennent une place importante dans les agissements sectaires.
Le point de départ réside généralement dans l’emploi de bénévoles, pratique très courante dans le domaine associatif, comme nous l’avons vu plus haut. Il y a recours abusif au bénévolat et dissimulation d’emploi salarié lorsque l’on trouve dans l’activité des bénévoles tous les éléments constitutifs du contrat de travail, à savoir : un travail, un lien de subordination entre celui qui le donne et celui qui l’exécute, enfin une rémunération.
Ainsi, l’inspection du travail a démontré que l’utilisation des adeptes à la réalisation des travaux d’imprimerie des publications des Témoins de Jéhovah relevait de la notion de travail et dépassait celle de bénévolat. La mission d’inspection effectuée en juin 1996 a en effet permis d’établir que toutes les caractéristiques d’un travail salarié étaient réunies, notamment l’indication d’horaires, l’organisation des tâches et un lien de subordination hiérarchique pour celles-ci.
Avant la promulgation de la loi du 11 mars 1997, le code du travail liait la dissimulation de salariés à l’existence d’un but lucratif. L’inspection de 1996 n’a donc pas pu déboucher sur des poursuites pour travail clandestin, le caractère lucratif de l’association chargée de l’exploitation de l’imprimerie n’ayant pas pu être démontré, notamment à l’occasion du contrôle fiscal dont elle a fait l’objet et sur lequel on reviendra.
En revanche, le procès-verbal dressé le 22 juillet 1996 par l’inspection du travail a retenu les infractions suivantes : défaut de déclaration préalable d’occupation de personnel salarié (article L. 620-1 du code du travail), absence d’affichage des horaires de travail (article L. 620-2), défaut de tenue d’un registre unique du personnel (article L. 620-3), d’affichage de l’identité et de l’adresse de l’inspection du travail (article L. 620-5), de tenue d’un livre de paie (art. L.143-5), de visite médicale du travail, enfin non-respect des règles de sécurité à l’occasion d’un accident du travail.
Sur le fondement des dispositions votées en 1997 qui pourraient désormais justifier des poursuites pour travail illégal, le parquet d’Evreux a demandé à l’inspection du travail de constater à nouveau les infractions dont la communauté de Louviers est responsable. Une nouvelle inspection a eu lieu en juin 1998.
La Commission a également eu connaissance des agissements d’associations dépendant du mouvement Dianova, employant des chauffeurs-routiers, prétendument bénévoles, et effectuant des transports de marchandises en violation de la réglementation des conditions de travail dans ce secteur. Comme l’a montré la Cour des Comptes, les caisses de plusieurs centres de la secte étaient utilisées pour octroyer des avantages en nature, voire verser des salaires qui n’étaient pas déclarés.
Il est en revanche surprenant qu’aucune inspection n’ait été diligentée pour examiner les conditions de travail en vigueur au sein des associations scientologues. Il est clair que ces dernières fonctionnent dans une proportion importante grâce au bénévolat dont il serait intéressant de vérifier qu’il respecte le droit du travail.
B.— les infractions au code de la sécurité sociale
D’une façon générale, le secteur associatif ne soulève guère de problème au regard du recouvrement des cotisations sociales. Pour les associations, les résultats sont même légèrement supérieurs à ceux de l’ensemble des secteurs, organismes privés et publics inclus, aussi bien au titre du montant de la dette vis-à-vis des URSSAF qu’au titre du nombre de comptes débiteurs. Les taux sont respectivement de 3 % et de 4 % en Ile-de-France, soit au-dessous de la moyenne de l’ensemble des secteurs.
Il n’empêche que, dans tous les cas, le non-paiement de cotisations sociales ou la minoration de celles-ci vont naturellement de pair avec la dissimulation d’activité ou celle d’emploi salarié. La faiblesse du nombre de salariés déclarés par les organisations sectaires laisse craindre de telles dissimulations, alors qu’il ne semble exister que deux exemples de vérification.
1.– Des infractions apparemment peu contrôlées
En matière de sécurité sociale, au moins autant que dans le domaine du droit du travail – où d’une part le récent renforcement des textes, d’autre part la mobilisation de l’administration permettent d’espérer une amélioration notable des contrôles et de leurs effets – le respect par les mouvements sectaires de la légalité paraît difficile à assurer.
S’il est vrai qu’il n’est ni dans la vocation ni dans les moyens des URSSAF de prendre en compte le fait sectaire en tant que tel, la Commission craint toutefois que cette situation ne permette, dans certains cas, de couvrir des dérives sectaires.
On sait par exemple que l’Ile-de-France compte sur son territoire plus de 140 mouvements sectaires. La Commission a pu examiner la situation de 21 de ces mouvements au regard de leurs obligations vis-à-vis de l’URSSAF d’Ile-de-France pour le dernier trimestre 1998.
Un seul, l’Eglise du Christ de Paris, déclare plus de 10 salariés (17 précisément). Cinq organisations déclarent entre 5 et 10 salariés : Tradition famille propriété (9), L’Eglise universelle du Royaume de Dieu (7), Soka Gakkaï internationale France (7), Invitation à la vie (IVI) (6), Landmark Education International (5). Les 15 autres déclarent entre 0 et 4 salariés.
Dix-neuf organisations sont à jour de leurs cotisations. Les restes à recouvrer et les majorations de retard des deux autres ne représentent que des montants financiers modestes.
Ces chiffres laissent craindre, quand on les met en rapport avec ce que l’on sait du nombre d’adeptes et des activités économiques exercées par les mouvements sectaires en Ile-de-France, des pratiques de dissimulation d’emploi salarié et de fraude au droit de la sécurité sociale.
2.– Le litige avec la Scientologie
En 1985, l’Eglise de Scientologie de Paris, qui avait spontanément ouvert un compte à l’URSSAF en 1978, suspendit le versement de ses cotisations au motif que la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) avait refusé d’inscrire un de ses membres, employé par l’association Celebrity Center, ce qui paraissait remettre en cause le principe de l’assujettissement des membres actifs de la Scientologie au régime général de la sécurité sociale.
Deux contentieux parallèles ont été ouverts :
Le Tribunal des affaires sociales a confirmé, le 4 décembre 1995, la dette chiffrée par l’URSSAF et, le 18 mars 1996, validé toutes ses mises en recouvrement.
Le 30 novembre 1995, le Tribunal de commerce avait prononcé la liquidation judiciaire de l’association Eglise de Scientologie de Paris, au titre de laquelle la créance de l’URSSAF a été admise au passif pour 13,3 millions de francs.
Cette créance a été intégralement soldée par l’administrateur judiciaire. Mais la Commission n’a pu connaître la nature et l’origine des fonds ayant permis ce règlement.
Il est frappant de constater, à travers cet exemple, que la Scientologie continue depuis lors d’exercer ses activités, à Paris comme partout en France, et, selon les renseignements dont a pu disposer la Commission, ne figure plus en tant qu’association dans la liste des cotisants à l’URSSAF de Paris. La secte a déclaré avoir concentré ses activités commerciales au sein d’une SARL, dûment immatriculée. On peut pourtant considérer que l’accumulation par la Scientologie d’une dette à l’égard de l’URSSAF de plus de 13 millions de francs, traduisait l’existence d’activités à caractère économique dont on peut se demander si elles continuent à être exercées par les structures associatives de l’organisation. Une intervention de l’inspection du travail pourrait éclairer ce images.
3.– Le redressement opéré sur les Témoins de Jéhovah
Au cours des mois de mai et juin 1996, l’URSSAF de l’Eure a diligenté un contrôle sur l’association " Communauté chrétienne des Béthélites ", en la considérant comme un employeur potentiel puisque des activités économiques à Louviers, notamment d’imprimerie, étaient notoires et que l’association ne versait aucune cotisation.
Le contrôle a établi que les membres de la communauté exerçaient une véritable activité professionnelle, recevant une rémunération, composée d’une allocation mensuelle de 475 francs et d’avantages en nature tels qu’hébergement et nourriture, qui devaient servir d’assiette de cotisation. L’URSSAF a, sur ces bases, notifié un redressement de 10,3 millions de francs, que l’association a réglé.
Depuis lors, l’Association cultuelle des Témoins de Jéhovah et la Communauté chrétienne des Béthélites cotisent régulièrement à l’URSSAF de l’Eure, la première déclarant une masse salariale de 4,8 millions de francs pour 306 salariés et la seconde de 6,6 millions de francs pour 284 salariés (au 31 décembre 1998).
Antérieurement à 1996, les membres permanents des associations des Témoins de Jéhovah n’étaient pas couverts par l’assurance-maladie et bénéficiaient d’un système de protection interne par auto-assurance. Ils ont, depuis, la possibilité d’être assujettis au régime général de la sécurité sociale.
Cette solution n’est cependant qu’apparemment équilibrée. En effet, l’URSSAF ne peut, sans investigation de l’inspection du travail, connaître le volume réel du travail effectué qui, s’il était établi comme un travail salarié à temps plein, pourrait se voir appliquer le mécanisme de l’assiette forfaitaire minimale, à savoir le nombre d’heures de travail effectuées multiplié par la valeur du SMIC. Dans cette hypothèse, le redressement de l’URSSAF aurait été de 22 millions de francs, soit plus du double de ce qu’il fut.
La Commission estime donc indispensable, au vu de ces éléments, qu’un contrôle approfondi de l’inspection du travail établisse la réalité quantitative de l’activité salariée dans les deux associations concernées. Elle s’étonne que ce contrôle n’ait toujours pas été réalisé et que l’URSSAF de l’Eure se contente de percevoir un montant de cotisations calculé sur la base d’une assiette forfaitaire dont on peut se demander quel rapport elle a avec l’activité salariée réelle.
II.— Les infractions économiques et financières
Les infractions économiques et financières relevées à l’encontre de mouvements sectaires présentent comme caractéristiques d’être multiples, fréquentes et souvent impunies. Car si l’arsenal juridique disponible permettant de les réprimer paraît assez bien adapté, il est en revanche difficile à utiliser.
A.— des infractions pénales multiples et fréquentes
L’examen des infractions pénales retenues dans des affaires liées au phénomène sectaire fournit un indice incontestable du caractère frauduleux des manœuvres qui se déploient en son sein.
1.– Un développement inquiétant de la délinquance économique et financière
L’évolution du nombre des procédures engagées et de la nature des infractions relevées traduit un développement inquiétant des délits économiques et financiers dont sont responsables les mouvements sectaires.
Au 1er février 1999, la Chancellerie recensait 182 procédures pénales engagées à l’encontre de personnes liées à une organisation sectaire, hors procédures pour diffamation ou dénonciation calomnieuse. Des recensements similaires relevaient, en novembre 1995, 60 plaintes, 27 enquêtes préliminaires, 26 informations judiciaires et 27 procédures clôturées en cours d’année, puis, en novembre 1997, 134 procédures pénales. Entre le 1er mai 1998 et le 1er février 1999, 30 nouvelles procédures pénales ont été répertoriées, dont certaines ont pu être initiées antérieurement à ces dates.
Les 182 procédures pénales liées au phénomène sectaire actuellement répertoriées se décomposent en 82 enquêtes préliminaires et 100 informations judiciaires. Sur les enquêtes préliminaires, 45 ont été classées sans suite, 28 sont en cours, 4 font l’objet d’un jugement de relaxe et 5 d’une décision de condamnation. Quant aux informations judiciaires, 66 sont en cours, 9 ont fait l’objet d’un non-lieu (dont un n’est pas définitif) et une d’une ordonnance d’incompétence, tandis que, par ailleurs, une affaire a été close pour extinction de l’action publique, deux ont bénéficié d’une relaxe et 21 ont entraîné une condamnation dont quatre ne sont pas définitives.
Ces procédures concernent en majorité des infractions de nature économique et financière, traduisant ainsi le rôle grandissant que joue l’argent dans la délinquance sectaire. La Chancellerie recense en effet 104 affaires mettant en cause un délit rentrant dans l’objet de la Commission. La répartition des chefs d’infraction prononcés ou envisagés reflète les pratiques utilisées. L’escroquerie et l’abus de confiance constituent, de loin, les infractions les plus fréquemment relevées. Vient ensuite l’exercice illégal de la médecine, révélateur de la place grandissante que les sectes occupent sur le marché de la santé. On note également un nombre important d’abus de faiblesse, d’infractions au code du travail, d’extorsions de fonds, de publicités mensongères, de corruptions et de prises illégales d’intérêts. Ces incriminations sont caractéristiques de l’influence économique désormais jouée par les réseaux sectaires.
2.– Les condamnations prononcées
Un nombre important de procédures ont d’ores et déjà fait l’objet de condamnations pénales pour des infractions économiques ou financières. Les imagess concernés sont trop nombreux pour être examinés de façon exhaustive. La Commission a en revanche recensé les décisions de justice relatives aux mouvements sectaires les plus représentatifs. Ces décisions sont présentées dans le tableau ci-dessous. Il s’agit de jugements et d’arrêts définitifs ou provisoires, certains d’entre eux pouvant être frappés d’appel ou de cassation pour le moment non encore jugés. Seules les infractions pénales présentant un caractère économique ou financier ont été retenues.
Condamnations pénales () relatives aux principaux mouvements sectaires
Nom de la secte |
Nom de l’organisme concerné |
Chefs d’infraction () |
Jugements, arrêts et peines prononcées () |
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Krishna |
Fédération française pour la conscience de Krishna |
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